Climat : l’Institut de la finance durable, entre flou et greenwashing

L’instance, qui remplacera Finance for Tomorrow, devait être lancée mardi 12 juillet. Le coup d’envoi est reporté, le temps d’éclaircir les zones d’ombre qui entourent le projet.

Pauline Gensel  • 12 juillet 2022
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Climat : l’Institut de la finance durable, entre flou et greenwashing
© YVES PERRIER, VICE-PRESIDENT DE PARIS EUROPLACE ET PRESIDENT D'AMUNDI / KENZO TRIBOUILLARD / AFP

L’institut de la finance durable (IFD) : ou comment mélanger vitesse et précipitation. Alors que le projet devait être présenté mardi 12 juillet dans le cadre du Paris International Finance Forum, le lancement est finalement repoussé, le temps de définir plus clairement la gouvernance de la nouvelle instance. Car jusqu’à présent, les acteurs de la finance « verte » étaient dans le flou.

Le projet de création de ce nouvel institut fait suite aux recommandations émises par le rapport Perrier, remis au gouvernement en mars. Piloté par Yves Perrier, vice président de Paris Europlace et président d’Amundi, le plus gros gestionnaire d’actifs européens, ce document met en avant l’importance d’entrer dans _« une logique de co-construction et de co-pilotage » entre les entreprises, le système financier et l’État. Pour permettre un tel cadre de coopération, il préconisait la création de deux instances : un « organisme politique », qui n’est pas encore défini, et un « organisme opérationnel », l’institut de la finance durable.

Risque de rétropédalage

Cette nouvelle instance remplacera Finance for Tomorrow, lancé en juin 2017 et qui réunit aujourd’hui plus de 110 membres désireux de réorienter les flux financiers vers une économie bas-carbone et inclusive. Avec un budget renforcé qui devrait atteindre 6 à 8 millions d’euros, soit plus du double de celui de son prédécesseur, l’IFD aura pour objectif d’accélérer la contribution de la place de Paris à la neutralité carbone 2050, avec une participation renforcée des industriels et un dialogue facilité avec les pouvoirs publics.

L’IFD permettra d’associer un plus grand nombre d’entreprises au projet, notamment des industriels, détaille Pauline Becquey, directrice générale de Finance for Tomorrow. Des entreprises sont d’ores et déjà membres de Finance for Tomorrow, mais leur nombre demeure limité. Or, la transformation de l’économie ne pourra pas se faire sans elles. L’objectif de l’institut de la finance durable, c’est de renforcer le dialogue avec les entreprises, pour trouver des solutions ensemble et les faire avancer plus vite pour répondre à l’urgence.

Une participation accrue des industriels qui n’est pas sans risques. De nombreux acteurs de la finance durable s’inquiètent d’un rétropédalage, d’une reprise en main des enjeux liés à la transition climatique par ceux qui freinaient des quatre fers quelques années auparavant. « Le risque, c’est que les industriels viennent siffler la fin de la récrée, stopper la dynamique de transformation en profondeur de la finance française, impulsée pour aller vers un monde à 1,5° C, explique Lucie Pinson, fondatrice et directrice générale de l’ONG Reclaim Finance. On peut craindre que l’IFD renoue avec une vision assez conservatrice, qui ne soit centrée que sur la gestion du risque financier, ce qui justifierait le maintien de certains services à des entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles. »

Gouvernance floue

Au cœur des débats : la question de la gouvernance de ce nouvel institut. Quelle sera la place occupée par les industriels, par les ONG, par les acteurs financiers ? D’après un document interne que s’est procuré Politis, l’instance sera présidée par un industriel. Un signal fort négatif pour Lucie Pinson :

Certes, les industriels doivent être concertés, mais faut-il leur donner les clés de la présidence pour autant ? Je ne pense pas. Parce que le risque, c’est de perdre de vue les objectifs et de faire en sorte que la finance ne soit utilisée qu’en soutien à des décisions actées par les industriels, et non un moteur d’accélération des transformations.

Alors que Finance for Tomorrow avait été seulement informé des avancées du projet, et non consulté, les discussions entre l’instance et Paris Europlace ont cours ce mardi 12 juillet pour décider, entre autres, de ces questions de gouvernance. « Il faudra trouver un équilibre, faire en sorte que la gouvernance représente tout l’écosystème, y compris la société civile, indique Pauline Becquey. Plusieurs options sont sur la table : une vice-présidence qui représente les acteurs financiers, une présidence tournante… Il nous faudra trancher dans les mois qui viennent. » L’équipe de Finance for Tomorrow sera, selon sa directrice, conservée dans l’IFD.

D’après un membre de Finance for Tomorrow qui a préféré gardé l’anonymat, un autre projet avait été posé sur la table, porté par son président Thierry Déau à la suite du rapport Holroyd remis au gouvernement en juillet 2020 : la création d’une fondation reconnue d’utilité publique. Ce qui aurait impliqué un cadre juridique plus contraignant et la mise en place de garde-fous. Mais le projet aurait été bloqué par Paris Europlace, qui aurait préféré travailler autour des recommandations du rapport Perrier. _« L’État semble frileux à l’idée de poser un véritable cadre. Il laisse Paris Europlace arbitrer, analyse ce membre de Finance for Tomorrow. À trois mois du Climate Finance Day, durant lequel Bruno Le Maire viendra parler charbon et hydrocarbures, il serait intéressant d’interpeller le nouveau gouvernement sur sa feuille de route, concernant ce nouvel institut et la finance durable en général. »

Économie Écologie
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