IBM, la médecine du travail en souffrance

Thierry Brun  • 4 décembre 2007
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Le géant de l’informatique IBM a obtenu gain de cause contre l’un de ses médecins du travail. Le blog de Politis avait en effet publié les 18 septembre et 25 octobre deux articles faisant état d’une souffrance au travail importante, s’appuyant sur les observations des médecins du travail des sites de La Gaude (Alpes-Maritimes) et de La Défense (Hauts-de-Seine). Les articles avaient également décrit les conditions dans lesquelles le docteur Georges Garoyan exerçait sa profession à La Gaude, indiquant aussi qu’il était le troisième médecin à exercer sur le site en quatre ans. Or, ce médecin salarié du service de santé au travail Ametra, qui a tenté de tenir tête à la direction d’IBM, sera remplacé à la suite d’une enquête controversée (1).

L’alerte sur la santé très dégradée de salariés du site de La Gaude, adressée le 27 juillet par le docteur Garoyan à la direction médicale d’IBM, a-t-elle ni plus ni moins conduit à une procédure pour se débarrasser de ce médecin du travail ? A la suite de cette alerte, la direction d’IBM met à l’ordre du jour du comité d’entreprise du site une demande de remplacement du médecin du travail qui provoque l’intervention de l’inspection du travail des Alpes-Maritimes pour rappeler à la direction d’IBM la procédure légale en la matière. La direction persiste le 12 septembre en convoquant à nouveau le comité d’entreprise de La Gaude « pour statuer sur une demande explicite de remplacement du docteur Garoyan, rappelle la CGT d’IBM-La Gaude. Les neufs membres du CE votèrent non à l’unanimité ». Et pour cause, dès le mois de mars, le docteur Garoyan relève dans son rapport annuel un facteur de stress important sur le site, et évoque « la personnalité de certains manageurs, la surcharge de travail et le principe de notation ». Le même médecin entame une enquête sur le stress qui révèle un taux de 30 % d’insomniaques. « soutenu par les organisations syndicales et par le personnel, le docteur Garoyan affichait son intention de poursuivre sa mission avec altruisme et détermination », rapporte un récent communiqué de la CGT IBM.

L’inspection du travail des Alpes-Maritimes donne raison au médecin du travail le 18 septembre. Il est cité comme ayant « alerté plusieurs fois et dès le début du mois d’août 2007 la direction d’IBM La Gaude » qui « n’a pas donné suite aux solutions recommandées par le médecin ». L’inspection du travail précise dans sa « mise en demeure », « invitant expressément à réaliser une évaluation des risques professionnels de souffrance mentale existant » dans l’établissement de La Gaude, qu’un droit d’alerte a été exercé le 7 décembre 2006 par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de La Gaude. Il aboutissait au constat, le 7 juin, « de risques de souffrance mentale pouvant affecter le personnel employé dans le département de la propriété intellectuelle », risques contestés par la direction du site.

Pourtant, le 27 novembre, l’inspection du travail notifie, dans un courrier adressé au docteur Garoyan, que son changement d’affectation est « accordée », alors qu’il n’a décelé « aucun élément susceptible de porter atteinte à l’indépendance technique du médecin du travail sur la plan médical ». La direction d’IBM a en effet lancé dès le mois d’octobre un recours hiérarchique auprès de la direction régionale de la médecine du travail qui a diligenté le docteur Marie-Hélène Cervantes. « Il ressort ainsi de cette enquête, explique l’inspection du travail, que si le docteur Garoyan est perçu favorablement par le personnel pour sa compétence et sa disponibilité lors d’examens médicaux, son implication réduite en milieu de travail et son absence d’approche partenariale des problèmes de santé au travail, s’avèrent non compatibles avec la prise en charge d’un établissement de la taille d’IBM-La Gaude ». Comprenne qui pourra ! « La lecture de cette enquête, qui ne tient que sur une seule page, démontre en fait que le docteur Cervantes a permis le limogeage du docteur Garoyan uniquement sur des questions de forme », constate la CGT. Le syndicat ajoute : « Il est reproché en filigrane au docteur Garoyan la forme de sa “communication”, plus exactement la franchise de ses diagnostics et surtout la source qu’il donne au stress subit par le personnel. Ce faisant, il met en cause l’organisation même de l’entreprise éprise d’une insatiable rentabilité ».

Les syndicats notent aussi une enquête des plus sommaires, à charge, et plus grave, qui ne tient pas compte des principaux intéressés. Le site d’IBM La Gaude devrait accueillir bientôt un quatrième médecin du travail.

(1) Lire aussi l’article du Monde économie, « Des médecins considérés comme des gêneurs », daté du mardi 4 décembre 2007 (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-985115,0.html)

Temps de lecture : 4 minutes
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