Congrès de Reims (épisode 4)

Michel Soudais  • 16 novembre 2008
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Rude retour au Parc expo, ce matin. Les militants ont la gueule de bois. Leurs dirigeants ne sont pas parvenus à s’entendre. Aucune synthèse ne s’est faite. Le PS n’a pas de majorité mais quatre textes d’orientation dont aucun ne s’impose. En ce début de matinée, il a deux candidats au poste de Premier secrétaire, Ségolène Royal et Benoît Hamon. Dans un ultime réflexe de sauvegarde, la commission des résolutions a tout de même validé les résultats du vote du 6 novembre. Maigre résultat. Vers 3h00, Michel Sapin a résumé la situation: «Nous sortons du congrès comme on y est entré.»

8h00. Les motions se réunissent en AG à huis-clos sous leur tente pour prendre connaissance des résultats de la nuit.

9h10. «C’est la première fois qu’une direction sortante ne présente pas de candidat» , commente dépité un conseiller du maire de Paris en sortant de sa réunion de motion. Bertrand Delanoë était soutenu par François Hollande et le noyau dirigeant du PS autour de lui, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Bel et Bernard Poignant, les présidents des trois groupes parlementaires, et les anciens premiers ministres Lionel Jospin et Michel Rocard.

9h20. «Ma candidate est candidate!» Jack Lang, qui donne des interviews sur le parking à proximité de la tente de la motion D (Aubry), est le premier à lever le dernier suspense: la maire de Lille sera candidate au poste de Premier secrétaire.

9h30. A l’heure où les travaux du congrès devaient reprendre, l’AG de la motion D commence enfin, en l’absence de Martine Aubry. La plupart des responsables de cette motion (Laurent Fabius, Marylise Lebranchu, Jean-Christophe Cambadélis…) sont arrivés très tardivement. Après l’échec de la commission des résolutions, ils se sont concertés toute la nuit pour décider finalement de présenter la candidature de la maire de Lille.

Le congrès n’est pas terminé!

10h10. «Avec tristesse» , Alain Bergounioux fait le rapport de la commission des résolutions. Il fallait bien que quelqu’un s’y colle. Le secrétaire national aux études fait «factuellement» le récit de la nuit.

10h15. Le même donne lecture des résultats définitifs du vote du 6 novembre, en omettantr toutefois de préciser que seules les motions de Delanoë et Royal les ont approuvé, avalisant ainsi des pratiques qui auraient dû conduire à des annulations:
– Motion A [^2] (Bertrand Delanoë): 32.942 voix, 25,24%.
– Motion B [^3] (Pôle écologique): 2.075 voix, 1,59%.
– Motion C [^4] (Benoît Hamon) : 24.162 voix, 18,52%.
– Motion D [^5] (Martine Aubry): 31.734 voix, 24,32%.
– Motion E [^6] (Ségolène Royal): 37.941 voix, 29,08%.
– Motion F [^7] (Utopia): 1.632 voix, 1,25%.

10h20. «Le congrès n’est pas terminé. Il se poursuit ce matin et la semaine prochaine, conclut Alain Bergounioux. Il y a encore une place pour le débat, le dialogue, et peut-ête place pour un rassemblement.» Tout est dans le «peut-être»…

10h25. «Triste et déçu» , Bertrand Delanoë annonce, à la tribune: «En conscience, en responsabilité, avec toujours cette gravité qui ne nous quitte pas, nous n’aurons pas de candidat au poste de premier secrétaire, parce que ce n’est pas une question de personnes, mais nous voulons une orientation politique dont on déduit le leader du parti.» Nous voulons mais nous ne pouvons pas… Le Maire de Paris et ses amis sont les grands perdants de ce scrutin. Dans quelques heures, ceux qu’il avait rassemblé se diviseront (les uns voteront Royal, d’autres Aubry) et ne manqueront pas de le faire savoir.

10h40. « Nous ne voulons pas que le PS sorte déchiré de ce congrès» , risque Marylise Lebranchu, au nom de la motion Aubry. Elle aussi demande aux militants de trancher ce congrès.

10h50. Vincent Peillon refait le match des derniers jours et de la nuit, au cours duquel un rapprochement entre Delanoë, Aubry et Hamon, excluant les royalistes, a été discuté. «Il nous semble que dans notre parcours politique, il était plus logique que Michel Rocard se sente plus proche de Ségolène Royal que de Gérard Filoche» , lance-t-il suscitant des huées et sifflets. Aux deux précédents congrès, Peillon dirigeait le NPS, qui était alors le courant de… Gérard Filoche. Du coup c’est à peine si la salle l’entend dire que les royalistes veulent consulter les « militants pour résoudre, avant même les élections régionales , dans la clarté, la stratégie politique du Parti socialiste» . Mercredi, Ségolène nous expliquait sur TF1 que la question des alliances n’était pas d’actualité, du moins pas avant la présidentielle. En quatre jours, son actualité s’est déjà rapproché de deux ans. On est passé de 2012 à 2010, de la présidentielle aux régionales.

10h53. Franck Pupunat surgit comme un diable à la tribune. Le leader d’Utopia est furieux: normalement, toutes les motions s’expriment s’exprimer sur le résultat de commission des résolutions. Pas cette fois. D’où une courte protestation contre cette censure, symptomatique de la manière dont le PS fonctionne, traite les minorités et le débat d’idées.

10h55. Co-président de séance, Malek Boutih demande aux délégués de voter sur le rapport de la commission des résolutions et appelle les scrutateurs à se mettre en place. «Qui est pour?» Les délégués s’exécutent pour la plupart. Certains s’interrogent: pour quoi au juste? pour un rapport qui ne tranche rien? Après une minute de flottement, Malek Boutih corrige, il s’agit juste de prendre acte qu’il n’y a pas eu d’accord. Les délégués lèvent leur carton. Ce sera le seul vote de ce congrès. Le rapport d’activité, dont l’examen était prévu vendredi, a été oublié.
### Une petite araignée

11h04. Première des candidats au poste de Premier secrétaire à s’exprimer devant le congrès, Martine Aubry s’interrompt pour signaler qu’ «il y a une petite araignée là» sur son pupitre. «Je ne sais pas si c’est un signe de malheur… décidément, Adeline, franchement, le ménage aurait pu être fait cette nuit!» blague-t-elle.

11h07. La maire de Lille évoque un texte qui pourrait servir de base de «rassemblement entre les motions A,C et D» . «Ce texte est très clair» , assure-t-elle, affirmant qu’on y trouve: «La volonté d’un parti à gauche avec la question sociale au cœur de tout, un parti profondément européen, un parti de militants, des alliances à gauche.» Un bémol toutefois: si ce texte existe, personne hormis ceux qui l’ont négocié, ne l’a vu; il n’a pas été signé par les parties prenantes et l’accord «n’a pas été possible sur le dispositif humain» .

11h15. «Mes chers camarades, j’ai tué l’araignée!» annonce fièrement Benoît Hamon à son arrivée à la tribune. Le jeune eurodéputé salue et souhaite «bon vent» à Eric Hénard, le candidat du PS dans une législative partielle, dimanche prochain, à Reims, qui n’aura pas la tâche simplifié par le résultat du congrès.

11h17. «La crise politique» que traverse le PS est «sérieuse» , mais elle n’est pas isolée, explique-t-il. «C’est toute la social-démocratie européenne qui s’interroge aujourd’hui sur sa fonction, son rôle» et les «capacités de l’Etat à intervenir» .

11h32. Après avoir prôné «un parti musclé» , «décomplexé» et demandé l’honneur d’être en première ligne, Benoît Hamon s’en va faire la bise à Martine Aubry, puis à Ségolène Royal.

11h35. «Si je suis élue, j’aurai, nous aurons besoin de toi, Bertrand (Delanoë), et de tes amis» , lance Ségolène Royal. «Nous aurons besoin de toi, François, à qui tous les militants savent ce qu’ils te doivent pour avoir notamment maintenu contre vents et marées l’unité de notre Parti socialiste.» La président de Poitou-Charentes n’a cité ni Martine Aubry, dont elle a snobé le discours, ni Benoît Hamon. Ce qui s’appelle choisir ses alliés.

11h49. Ségolène Royal, qui vient d’achever son discours, reste de longues, très longues secondes, à la tribune. Elle savoure les applaudissements que lui adressent ses fans debouts, comme si elle s’y voyait déjà.

12h00. Kader Arif, secrétaire national aux fédérations, n’en finit plus d’égrainer la liste des candidats aux instances nationales présentés par chaque motion. Les délégués commencent à se disperser.

12h04. François Hollande ayant renoncé à prononcer son dernier discours de Premier secrétaire, Adeline Hazan, maire de Reims délivre quelques mots de conclusion. «Ce congrès n’a été ni celui d’Epinay, ni celui de Rennes , rassure-t-elle, juste le congrès de Reims, 75e congrès du Parti socialiste.» Que restera-t-il de ce cru, une fois les bulles dissipées?

[^2]: «Clarté, courage, créativité: Une gauche conquérante pour redonner un espoir à la France»

[^3]: «Face à l’urgence sociale et écologique. Pour un parti socialiste résolument écologique»

[^4]: «Un monde d’avance, reconstruire l’espoir à gauche»

[^5]: «Changer à gauche pour changer la France»

[^6]: «L’espoir à gauche, fier(e)s d’être socialistes»

[^7]: «Socialistes, Altermondialistes, Ecologistes»

Temps de lecture : 8 minutes
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