Martine Aubry, au « forcePS »

Michel Soudais  • 26 novembre 2008
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Martine Aubry succède à François Hollande à la tête du PS. Le contentieux électoral qui opposait la maire de Lille à sa rivale, Ségolène Royal a finalement été tranché dans la soirée de mardi par le conseil national du PS, après quatre jours de psychodrame.

Ce vote clos l’incertitude issue du scrutin du 21 novembre qui, samedi matin, donnait Martine Aubry gagnante d’un cheveu (42 voix la séparait alors de Ségolène Royal sur 134.784 suffrages exprimés), élection aussitôt contestée par Ségolène Royal et son entourage. A main levée, le conseil national, seule instance dans les statuts du PS à pouvoir prendre des décisions entre deux congrès, a adopté par 159 voix contre 76 et 2 abstentions, le rapport d’une «commission de récollement» qui concluait au résultat suivant:
– Suffrages exprimés: 134.800 voix
– Martine Aubry………: 67.451 voix
– Ségolène Royal……: 67.349 voix

Statutairement, le PS a donc une Première secrétaire. Politiquement, il est loin d’être sortie d’affaire.

1. Les 102 voix d’écart accordées par la commission de récollement paraissent bien mince au regard de la marge d’erreur possible. D’autant qu’elles ne sont pas mieux établies que les 42 de samedi matin. La commission, qui comprenait à égalité des représentants de chacune des candidates, s’est contenté de procéder à un état des lieux des irrégularités constatées et de les corriger le cas éventuels. Elle n’a pas procédé à un recomptage, comme l’indiquait lundi son président, Daniel Vaillant. En présentant le rapport de la commission devant le conseil national, Kader Arif a indiqué que des contestations avaient été soulevées dans 25 fédérations, sans préciser la nature de celle-ci et comment elles avaient été résolues car «ce serait insultant pour les fédérations» (sic).

2. «La solution est politique» , avait prévenu François Hollande , à l’ouverture du conseil national. En l’absence de résultat net, le conseil national s’est érigé en tribunal arbitral et, faute de se prononcer sur une instruction, son vote reflète les choix politiques de ses membres, très majoritairement issus des trois motions hostiles à Ségolène Royal. Au nom de la motion de Bertrand Delanoë, Jean Glavany n’a pas caché que l’exactitude ou la sincérité du vote était secondaire. La seule question que les membres du conseil national devaient, selon lui, avoir en tête était l’intérêt du parti. «Voulons nous le sauver ou l’achever?»

3. Ce scrutin , avec les accusations de fraude et de manipulation médiatiques échangées ensuite entre les deux camps, révélatrices d’un climat délétère, laissera des traces dans le parti. Hier soir le camp royaliste n’admettait pas la défaite. Si Patrick Mennucci faisait un distingo subtil («Je ne reconnais pas le vote, j’accepte la décision du conseil national.» ), Manuel Valls, le «méchant» de la bande, confirmait l’intention des royalistes d’intenter des recours en justice: «Ce qui s’est passé ce soir est un déni de justice. Il y aura bien évidemment des tribunaux qui seront saisis.»

«L’Europe est un projet pour la gauche en soi»

4. Ségolène Royal elle-même ne s’avoue pas vaincue: «Nous avons réussi cet exploit de convaincre la moitié, et peut-être un peu plus , du Parti socialiste, en ayant la totalité de l’ancien appareil du Parti socialiste contre nous» , a-t-elle déclaré lors d’un point de presse, à l’issue du conseil national. Non sans annoncer que «la bataille pour la transformation du Parti socialiste continue» . Et pour bien montrer qu’elle n’était en rien abattue, c’est debout, entourée de son équipe, qu’elle a tenu son point de presse. Quelques minutes auparavant, Martine Aubry avait fait le sien sagement assise entre Marylise Lebranchu et Harlem Désir. La maire de Lille, qui devra sans doute faire face à une guérilla permanente de sa rivale, va surtout être sous la pression de ce qu’incarne Ségolène Royal. Car celle-ci n’a pas pu réunir autant de suffrages sans être portée par un mouvement de fond. Le nouveau parti, charismatique, dépolitisé et composé de supporters, auquel elle s’adresse dans ces discours les plus provocateurs existe déjà dans le PS actuel. Il pèse près de 50% et cherchera à prendre rapidement sa revanche.

5. Martine Aubry, juste élue, et mal élue puisqu’il a fallu recourir au «forcePS» du conseil national, alors qu’elle était à la tête d’une coalition hétéroclite, devra rapidement donner des gages à la pensée dominante dans le parti. Que restera-t-il alors de la soit-disant ligne de gauche qu’on lui attribuait? On en a eu un aperçu lors du point de presse. Affirmant que les socialistes avaient entendu le message des Français, elle a déclaré que son PS serait « ancré à gauche, bien sûr d’une gauche réformiste (…), bien sûr d’une gauche européenne» : « **L’Europe est un projet pour la gauche en soi , même si nous voulons qu’elle bouge et devienne une Europe politique, une Europe sociale.»** On connaît la chanson, c’est celle qui dit «oui» à tous les traités. Celle qui se moque du contenu de ces textes pourvu qu’ils soient estampillés des douze étoiles sur fond bleu.

Voilà un point sur lequel le PS ne change pas. Il s’enferre même dans l’erreur. Pas de chance, les élections européennes constituent le prochain rendez-vous électoral.

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