La discrétion et le commerce dirigent l’Europe

Michel Soudais  • 20 novembre 2009
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Alléluia ! L’Europe a trouvé son président. Ce George Washington si souvent annoncé est un… inconnu. Sauf pour nos voisins belges puisque Herman Van Rompuy dirige leur gouvernement. Dans la foulée, les Vingt-sept ont aussi désigné la Baronne Catherine Ashton of Upholland au poste de Haut représentant de l’UE aux Affaires étrangères.

Cette double nomination ne déroge pas au traditionnel équilibre politique européen : avec un chrétien social et une travailliste aux deux postes clefs créés par le traité de Lisbonne, la TINA [^2] chère à Margaret Thatcher joue les prolongations. Comme le disent nos socialistes français, l’Europe transcende le clivage gauche-droite.

Illustration - La discrétion et le commerce dirigent l’Europe

Mais il y a mieux. M. Van Rompuy, le président nommé (seuls les naïfs « ouistes » pouvaient croire à une procédure démocratique) à la tête du Conseil européen, a aussitôt déclaré vouloir se contenter dans sa fonction d’un rôle de facilitateur de compromis entre les pays de l’UE. Promis, il restera « discret » (c’est lui qui le dit) et ne se répandra pas en interviews dans les médias. Donc si ses opinions sur les questions européennes sont, comme on nous le dit, encore peu connues, il est probable qu’en juin 2012, au terme de son mandat, elles ne le seront guère plus.

Si les chefs d’Etat et de gouvernement des grands pays européens avaient voulu choisir un président qui ne leur ferait pas d’ombre, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Cela n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’assurer à nos confrères qu’il ne s’agissait « pas d’un choix par défaut » , mais que M. Van Rompuy était au contraire le « président fort » qu’il avait toujours souhaité. Il est interdit de rire. Pour faire bonne mesure, notre bateleur élyséen a précisé que l’heureux lauréat, « profondément européen » (ça on s’en doute), était « un homme de très grande qualité dont [il a] toujours apprécié les prises de position volontaristes à la table du Conseil » . Un «toujours» très relatif puisque cela ne fait pas encore un an que Herman Van Rompuy dirige le gouvernement belge. Il a d’ailleurs accédé à ce poste au dernier jour de la présidence française de l’Union européenne, si bien que Nicolas Sarkozy n’a guère dû le rencontrer plus de quatre fois à la table du Conseil.

La diplomatie européenne, c’est le commerce

Baronne Catherine Ashton of Upholland

Plus délicieuse encore est la nomination de Catherine Ashton à la tête de la diplomatie européenne. Les premiers commentaires s’étonnent que les Vingt-sept aient choisis pour ce poste une… novice en diplomatie. Certains notent que les Britanniques qui voulaient tuer ce poste de Haut représentant ont réussi en y faisant désigner une personnalité sans grande expérience. « On va perdre cinq ans » pour mettre en place une diplomatie européenne ambitieuse, pronostiquait un (vrai) diplomate à l’annonce de cette nomination.
Ce constat, fort juste, passe toutefois à côté du sens profond de cette désignation surprise. En choisissant à ce poste, la commissaire européenne chargé du Commerce, les Vingt-sept ont clairement signifié que, pour eux, la diplomatie de l’Union européenne devait avant tout favoriser le développement du commerce. Et pour le coup, cela ne devrait nullement surprendre tous ceux qui nous vantaient le traité constitutionnel européen et son clone de Lisbonne puisque tel est l’esprit de ces textes.
En un an à la Commission européenne, Mme Ashton qui a succédé à son compatriote Peter Mandelson en 2008, a obtenu quelques résultats notables, a d’ailleurs fait valoir son entourage. « Elle a trouvé une solution au conflit sur le bœuf aux hormones avec les Etats-Unis, elle a conclu un accord de libre-échange avec la Corée du Sud et a normalisé les relations avec les Etats ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) » , a résumé un proche. Si ce n’est pas de la diplomatie…

[^2]: Acronyme de « There is no alternative ».

Temps de lecture : 4 minutes
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