L’Importance D’Être Constant

Sébastien Fontenelle  • 11 novembre 2009
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Le 21 septembre dernier, le site du Nouvel observateur met en ligne une contribution de «l’écrivain et prix Nobel de la paix Elie Wiesel» , qui, prenant position dans «le procès qui oppose SOS Racisme à Pierre Péan» , s’interroge gravement: «Où commence et où s’achève la responsabilité d’un écrivain?»

Elie Wiesel écrit: « Péan est-il raciste ? Je n’en sais rien. Je veux bien le croire. Est-il négationniste ? Il le nie. Je l’espère pour lui. On me dit que, lors de son procès, il avait éclaté en pleurs lorsqu’un témoin compara certaines de ses expressions contre les Tutsis aux propos antisémites du Mein Kampf _. Son émotion ne peut que me toucher_ (…) _. Cependant je ne peux me libérer d’un sentiment de malaise en relisant certains passages sortis de sa plume»_ .

En clair: je ne sais pas si Pierre Péan est un raciste et un négationniste, lui-même s’en défend et après tout je veux bien le croire, mais tout de même, j’ai l’impression qu’il est assez raciste, et quelque peu négationniste.

Jusque là, rien d’exceptionnel: nous sommes en présence d’un cas, très incommodant, certes, mais tristement ordinaire dans l’époque, de chantage au racisme et au négationnisme.

Mais voyons maintenant, avec le journaliste américain Max Blumenthal, ce qu’a été l’emploi du temps récent du même Elie Wiesel qui s’est montré si empressé de salir Pierre Péan par de nauséeuses imputations.

Le 3 septembre dernier, acte 1: l’écrivain-et-prix-Nobel-de-la-paix accorde aux États-Unis un entretien (voir ici) au télévangéliste John Hagee, supporteur inconditionnel du gouvernement israélien, et lui déclare notamment: «My dear pastor, in the past—the distance past—whenever Christianity unified its ranks, it was against the Jewish people. For the Crusades and the pogroms—it was always like that. Now, when I hear that Christians are getting together in order to defend the people of Israel, of course it brings joy to my heart. And it simply says, look, people have learned from history» .

Le «cher pasteur» John Hagee et ses ouailles mettent donc de la «joie» dans le «coeur» d’Elie Wiesel, qui, de fait, quelques semaines plus tard, le 25 octobre, acte 2, prend la parole au cours d’un rassemblement de soutien au gouvernement israélien organisé par ce même «cher» prédicateur.

Or: ce personnage pour qui l’écrivain-et-prix-Nobel-de-la-paix éprouve tant de vive sympathie est, comme l’explique ici Max Blumenthal, un illuminé antisémite, qui a notamment déclaré, j’espère que tout le monde est assis, que l’Holocauste avait été un événement divin, et que l’Antéchrist était homosexuel et «partiellement juif, comme l’était Adolf Hitler, comme l’était Karl Marx» .

John Hagee supportait bien évidemment John McCain contre Barack Obama, pendant la campagne présidentielle de 2008, mais, comme le souligne encore Max Blumenthal: «Quand les délires antisémites» du prêcheur dément ont été dénoncés pour ce qu’ils étaient, le candidat républicain a renoncé à son inconvenant soutien.

Et justement, observe encore Max Blumenthal: «À la différence de McCain» , Wiesel ne peut absolument pas «feindre» d’ignorer les divagations antisémites d’Hagee, précisément parce que la «rupture» avec McCain a fait, en son temps, beaucoup de bruit (voir ici).

En clair, le même écrivain-et-prix-Nobel-de-la-paix qui se permet de traiter Pierre Péan de raciste et de négationniste n’éprouve manifestement aucune difficulté à se produire au flanc d’un prédicant ravagé qui voit en Hitler un «envoyé de Dieu» : il me semble que nous sommes dès lors fondés à nous demander, avec un peu de gravité, où commence et où s’achève la responsabilité d’un écrivain-et-prix-Nobel-de-la-paix.

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