Le molletisme se porte bien. Voyez Jean-Paul Huchon.

Michel Soudais  • 12 mars 2010
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Illustration - Le molletisme se porte bien. Voyez Jean-Paul Huchon.

Les derniers sondages laissent à penser que le PS pourrait arriver en tête du premier tour, devant l’UMP. Les socialistes seront donc, selon toutes probabilités, les premiers bénéficiaires du rejet de la politique de Nicolas Sarkozy. Ils n’ont durant cette campagne pas ménagé leurs efforts pour se présenter en rempart du libéralisme dévastateur du gouvernement, quitte à écrire dans leurs tracts le contraire de ce qu’ils écrivaient il y seulement quelques mois. Et ce qu’ils pensent sans doute toujours.
Le molletisme n’est pas mort. Il se porte même très bien. Jean-Paul Huchon en est un bon exemple.

Le président de la région Ile-de-France , la plus grosse région de France, a présenté, le 1er février un programme qui prétend mettre en œuvre « un bouclier social pour tous les franciliens » . C’est osé ! Loin d’avoir été inventée par le PS, la notion de « bouclier social » a d’abord été lancée par l’association Attac à l’automne 2008, au plus fort de la crise financière. Elle a été aussitôt reprise par Jean-Luc Mélenchon et l’association PRS (Pour la République sociale), le Parti de gauche en faisant dès sa création le thème phare de ses premières affiches et premiers tracts. Le PS pour sa part n’adhérait pas à la formule. Le 31 janvier dernier, dans un article montrant bien comment les régions socialistes avaient été plus un « amortisseur de crise » qu’un « contre-pouvoir » , Christine Garin et Jean-Michel Normand expliquaient d’ailleurs que les socialistes « tentés un moment d’adopter le slogan du « bouclier social » pour définir l’action des régions y ont renoncé. Le terme serait apparu en trop fort décalage avec la réalité politique… »
Pourtant, dès le lendemain, Jean-Paul Huchon présentait un programme dont le « bouclier social » était le principal mot d’ordre, faisant croire implicitement que le président de la région Ile-de-France se serait rallié aux idées d’Attac ou du PG.
Or c’est un tout autre discours que cet ancien directeur de cabinet de Michel Rocard, classé parmi les strauss-kahniens au sein du PS, tenait récemment. Ses propos rapportés dans un livre d’entretien publié en mars 2008 [^2] et aujourd’hui oublié conduisaient même à douter qu’Huchon soit encore de gauche. Extraits :

Hors du marché, point de salut: « Le marché est la seule méthode pour gérer les échanges entre les hommes, les sociétés et, d’une manière générale les acteurs économiques. » (p. 51-52)

À bas les entreprises publiques: « Il ne faut pas confondre service public et entreprise publique. Je pense qu’il n’y a plus tellement de justification à l’existence d’entreprises publiques. On peut imposer à certaines entreprises un cahier des charges, l’Etat peut disposer de Golden shares pour faire entendre sa voix, bref on peut imaginer des dispositifs qui font que l’Etat a son mot à dire, pour autant on ne peut ignorer le marché et maintenir à tout prix une entreprise dans le secteur public lorsqu’elle est soumise aux impératifs de la concurrence. » (p. 135)

Nationaliser, jamais: « Tout débat sur la renationalisation est de nature à nous renvoyer 25 ans en arrière, donc je n’y suis pas favorable.On peut encadrer très strictement une entreprise concessionnaire sans la nationaliser. C’est ce qu’il faudrait faire si on privatisait complètement EDF. Au fond, la question, désormais, est ailleurs. Les problèmes de taille d’entreprises, d’investissement et de rapprochement qui s’imposent du fait de la mondialisation rendent le débat sur les nationalisations caduc. » (p. 136)

Subventionnons les grands groupes: « La région Ile-de-France vote des crédits, y compris pour des grands groupes, pour développer des pôles de compétitivité. Sincèrement, il y a encore 3 ans, je n’aurais pas été capable de faire adopter ces mesures par ma majorité. … puisque les crédits sont versés dans des zones qui marchent. » (p. 72)

Pour un service minimum public

Des services publics réduits au minimum: « Si l’on veut éviter, d’une part, que la dette et les déficits publics s’aggravent, d’autre part que l’Etat soit efficace, il faut limiter [le service public] à des fonctions régaliennes [^3] extrêmement précises et à des fonctions d’égalité ou de péréquation entre les collectivités et entre les populations. C’est à lui de veiller au maintien d’un système de sécurité sociale qui permette aux malades d’être financés par les bien-portants, aux vieux d’être soutenus par les jeunes; bref d’organiser un système global de régulation sociale.» (p. 136-137)

Régionalisons l’éducation: « Il faudra quand même, un jour, oser poser la question de la régionalisation de l’Education nationale. Je sais bien que je brise, là, un tabou fondamental de la gauche, mais on vient de nous confier les personnels techniques, on va certainement nous confier dans la foulée les personnels administratifs, c’est-à-dire les intendants et les personnes qui font tourner la boutique, qu’est-ce qui empêche que l’on nous confie les professeurs dès lors qu’il existe toujours des programmes élaborés au plan national par une cellule de prospective intelligente de l’Education ? Franchement, je ne vois rien qui puisse s’opposer à cette mutation ! » (p. 125)

Soutenons l’enseignement privé: « Au sein du Conseil régional d’Ile-de-France, par exemple, j’ai fait voter par les socialistes, l’UMP, l’UDF et le Front national une aide à l’enseignement privé dans les lycées. Les chevènementistes ont voté contre mais les communistes et les Verts se sont, eux, abstenus, ce qui, en soi, est déjà un progrès ! » (p. 72)

Autonomie des universités: «Les régions souhaitent l’autonomie des universités pour pouvoir donner la priorité à leurs filières.» (p.137)

Ni Nation, ni Etat

Désétatisons la recherche: «Est-ce vraiment le rôle de l’État de s’occuper de l’implantation d’un laboratoire de recherche? (…) Il peut la favoriser, la cofinancer, imposer un certain nombre de conditions, par exemple d’éthique de la recherche, mais il n’y a aucune raison que des milliers de fonctionnaires de la recherche relèvent de l’État.» (p. 137)

Hors l’Europe et la Région, il n’y a rien: « Je vous livre le fond de ma pensée : je me sens plus européen que français. Il m’est très facile d’imaginer une cosmogonie institutionnelle dans laquelle il y aurait l’Europe, directement branchée sur les régions, et les régions sur des communes regroupées par l’intercommunalité. C’est la logique à venir de la chaîne du pouvoir. Je n’ai pas d’attachement national. Je me sens plus à l’aise dans certains pays qui sont moins violents, moins durs, moins discutailleurs. J’ai une sympathie naturelle pour les Anglo-Saxons, les Scandinaves : ce sont des gens qui font la queue, qui ne vous klaxonnent pas quand vous êtes perdus, il y a une discipline. Cette civilisation n’existe malheureusement pas en France ! Autrement dit, je n’aurais aucune difficulté à vivre dans une patrie qui serait l’Europe, avec une patrie secondaire qui serait la région dans laquelle je vis, à condition qu’elle ait un dessein culturel suffisamment compréhensible et partagé. La Nation ? Je ne crois pas à son avenir parce que je n’ai jamais cru à cette histoire d’identité nationale. Je ne m’accroche pas à ces idées-là ! » (p. 142-143)

À mort le département: « Si une collectivité devait disparaître, à long terme ce serait évidemment le département. Non parce qu’il gère la proximité (au contraire) mais parce qu’il est devenu, en fait, le refuge du jacobinisme. C’est là que s’installent les services de l’Etat pour se développer. » (p. 127)

Pour une alliance entre la gauche et le centre

Vive le pragmatisme: « Nous sommes un parti d’élus relativement pragmatiques. Le socialisme municipal ne s’est, en effet, jamais soumis au communiste ou au marxisme. » (p. 29)

Le prix de l’Union de la gauche: « La stratégie d’Union de la gauche a été d’une redoutable efficacité. Elle a inversé très vite le rapport de force entre PS et PC. Mais nous avons payé un prix idéologique très élevé. » (p. 54) « La SFIO puis le nouveau parti socialiste, à partir du congrès d’Epinay, ont toujours dû prouver qu’ils étaient à gauche. Le PCF a contraint les socialistes à une permanente surenchère. » (p. 28)

Le communisme a disparu: « Les communistes peuvent évoluer mais ce n’est plus un parti véritablement national : il contrôle des poches électorales, il n’a plus de doctrine, ses dirigeants sont perdus, une partie d’entre eux pensent qu’ils sont encore les porte-parole des damnés de la terre mais cela ne va pas au-delà. Et plus personne ne croit, par ailleurs, au communisme salvateur. Dans une certaine mesure, on peut dire, tant pis si ça choque, que le communisme, au sens historique, messianique, a disparu. » (p. 85)

L’alliance avec le centre, vite: « Le seul chemin possible, c’est de continuer à refuser la domination idéologique des communistes et de laminer les gauchistes, d’accepter que la mouvance écologique a sa place dans le système, ce qui suppose la proportionnelle, et de se rapprocher des chrétiens-démocrates (…). Cette nouvelle alliance entre les socialistes modérés et les chrétiens-démocrates est, en fait, plus facile à réaliser qu’en Allemagne où la tradition chrétienne-démocrate est beaucoup plus conservatrice que la tradition chrétienne-démocrate française. Au fond, sur l’acceptation du capitalisme, sa correction sociale, sur la solidarité, l’État minimum social, sur les libertés universitaires, sur l’acceptation d’une école qui ne serait pas à deux vitesses, sur la recherche, sur la décentralisation, les convergences sont évidentes. J’ai la conviction que nous n’avons jamais été aussi proches de cette alliance entre la gauche et le centre. » (p. 86)

Conclusions

La gauche est morte mais ne le sait pas (J.-P. Huchon): « La pensée de la gauche aujourd’hui est une pensée morte parce que le programme du parti socialiste et ses alliances reposent sur des idées mortes depuis longtemps. » (p. 36)

Donner au PS une bonne gauche (conseil personnel de l’auteur de ce blog): Tous les électeurs socialistes qui ne sont pas d’accord avec Huchon et ses amis, nombreux à diriger des régions, peuvent opter pour une gauche qui ne renonce pas.


[^2]: Jean-Paul Huchon, De battre, ma gauche s’est arrêtée. Conversations avec Denis Jeambar , Seuil, 190 p. On peut encore le trouver sur certains sites au prix de… 1,25 euros, une cote qui se passe de commentaire.

[^3]: Les affaires étrangères, la police, la justice. NDLR

Temps de lecture : 9 minutes
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