Vous avez dit «populisme»?

Michel Soudais  • 10 novembre 2010
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Un "dangereux populisme" rode sur les manifestations.

Le populisme est la tarte à la crème de l’analyse politique. Celle avec laquelle les bien-pensants entartent publiquement ceux qui les empêchent de ratiociner benoîtement entre eux. Populiste? Jean-Luc Mélenchon, qui a le culot et l’effronterie de répliquer qu’il «assume» [^2]. Mais aussi Eva Joly [^3]. J’en passe. Et des bien pires.
Ce qui est lassant (pour rester poli), avec les tartes à la crème dispensées par les journalistes politiques et les inévitables politologues convoqués pour donner un habillage savant à des analyses convenues, et du reste essentiellement idéologiques, c’est leur côté répétitif. A la fois contagieux et cycliques.
Car ce n’est pas la première fois que l’on se retrouve subitement à devoir faire face à une flopée de «populistes». Rappelez-vous, Bernard Tapie, Arlette Laguiller, Jean-Marie Le Pen… Aussi avant de devoir me répéter (le journalisme, comme la pédagogie, est parfois un art de la répétition), j’ai décidé de publier à nouveau sur ce blog un petit article que j’avais publié le 23 mai 2002 dans le numéro 702 de Politis et qui m’avait valu une invitation à débattre de cette question à l’université d’été de la LCR [^4]. Je m’y élevais contre la mode d’alors qui consistait à qualifier de « populistes » des mouvements que l’on disait auparavant d’extrême droite au prétexte que ces mouvements, anciens ou nouveaux, avaient changé. Cela ne me semblait «ni savant, ni judicieux» . Mais lisez plutôt:

Le populisme est de retour. Dans le vocabulaire médiatique surtout, comme l’atteste les manchettes des quotidiens : « L’Europe tourne à droite et redécouvre le populisme » ( Le Monde ). « Europe : le virus populiste » ( Libération ). « Pays-Bas : les populistes pourraient entrer au gouvernement » ( Le Figaro ). Etc. Heureuse trouvaille qui permet de réunir sous un même qualificatif – on n’ose parler de concept – la liste de Pim Fortuyn, le Front national de Jean-Marie Le Pen, le FPÖ de Jörg Haider, le Parti du peuple danois de Pia Kjaersgaard, l’Alliance nationale de Gianfranco Fini ou la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, voire Silvio Berlusconi lui-même, le Vlaams Blok de Franck Vanhecke, ainsi qu’un grand nombre de mouvements qui fleurissent aux frontières de l’Union européenne, dans les pays de l’ancien bloc communiste mais aussi en Suisse ou en Norvège.

L’ennui c’est que le mot ne désigne rien de bien clair. « Le populisme n’est ni une idéologie, ni un programme ni un parti » , rappelle le président de l’Institut universitaire de Florence, Yves Mény ( Le Monde , 19-20 mai). Plus gênant encore, note le politologue Guy Hermet, auteur l’an dernier d’une vaste fresque consacrée aux Populismes dans le monde (Fayard), « le populisme est conciliable avec n’importe quelle orientation politique, n’importe quel régime politique » . Historiquement, le populisme, narodnichestvo , désigne le mouvement d’opposition des intellectuels russes au tsarisme dans la Russie des années 1850-1880. On ne saurait le classer à droite même si le socialiste Georges Plekhanov, qui en est issu, en a fait la critique après avoir découvert le marxisme. Plus près de nous, même s’il faut traverser l’Atlantique, l’homme fort du Venezuela, le commandant Hugo Chavez, est volontiers qualifié de populiste. Depuis le XVIIIe siècle, il existe dans notre pays une littérature populiste, dont L’Assommoir de Zola présente une forme très achevée, qui peint les milieux et les caractères populaires à travers leur propre langage.

D’un usage essentiellement péjoratif le terme « populiste » s’est néanmoins imposé depuis une dizaine d’année dans le registre polémique. Non sans effets pervers. Selon la définition du Larousse, le populisme désigne une « attitude politique qui vise à satisfaire les revendications immédiates du peuple, sans objectif à long terme » . Imagine-t-on, dans une démocratie c’est-à-dire un régime sous contrôle du suffrage populaire, un mouvement politique qui viserait à ne pas satisfaire les revendications immédiates du peuple ? Quel serait donc l’antonyme caché d’un mouvement populiste ? Technocratique ? Oligarchique ? Soumis aux intérêts financiers ?

L’usage généralisé de la dénonciation du populisme est suspect quand le mot s’entend – c’est parfois le cas – comme un synonyme de « populaire ». Or c’est bien le plus souvent ainsi que l’entend le langage courant. Dans le climat de défiance du peuple pour ses élites que nous connaissons, la dénonciation du populisme a alors toute les chances de renforcer ce qu’elle prétend exorciser. On ne s’étonnera donc pas que, à tout prendre, Jean-Marie Le Pen préfère être qualifié de « populiste » plutôt que d’extrémiste de droite. « Populiste et fier de l’être » était d’ailleurs le thème de l’université d’été des jeunes du FN, en 1994.

Huit ans et demi après, je ne retire pas une ligne de cet article , que je vous livre ici en guise d’amuse-bouche. Car il m’est avis que la querelle sur le populisme n’est pas prête de se clore de sitôt. J’y reviendrai donc prochainement [^5].


[^2]: Entretien à l’Express, 15 septembre.

[^3]: Pour ceux qui auraient manqué Mots croisés, lundi soir, la candidate pressentie des écolos a ainsi été qualifiée par Charles Beigbeder, un patron qui trouve « normal que les revenus du capital soient moins taxés que le travail car celui qui investit prend un gros risque et peut tout perdre» (il n’a jamais entendu parler des accidents du travail qui coûtent leur vie à de trop nombreux salariés) et Nadine Morano, arbitre bien connue des élégances.

[^4]: Ancêtre du NPA.

[^5]: En attendant, n’oubliez pas que vous pouvez me suivre sur Twitter.

Temps de lecture : 5 minutes
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