Denis Olivennes, Moralisateur (Des «Pouvoirs Médiatiques» Et) Du Capitalisme

Sébastien Fontenelle  • 15 janvier 2011
Partager :

Illustration - Denis Olivennes, Moralisateur (Des «Pouvoirs Médiatiques» Et) Du Capitalisme

Novembre 2010 : Denis Olivennes est toujours le patron du Nouvel observateur (où il défend depuis deux ans, non sans courage, et un peu comme dans un essai de Pierre Bourdieu, «la « libre communication des pensées et des opinions (…), l’un des droits les plus précieux de l’homme“, comme dit la Déclaration de 1789» , contre «la concentration des pouvoirs médiatiques entre les mains de quelques groupes industriels, avec la connivence d’intérêt ou la complaisance qu’une telle situation implique parfois, soit vis-à-vis du monde économique, soit vis-à-vis de telle ou telle force politique et plus généralement du pouvoir» ).

Le 25 novembre , manifestement pris de communisme, Olivennes dénonce, dans un enlevédito, la «réforme fiscale» d’un «président» qu’il ne hait (pourtant) point – et clame, très justement, qu’il s’agit d’une «réforme de riches» , où ledit Sarkozy va «diminuer la taxation de la détention» pour mieux «accroître celle des revenus » (et donc, les «inégalités» ), puisqu’il ne va nullement «supprimer l’ensemble des niches, exonérations et autres abattements (…) qui bénéficient aux plus riches» , comme le souhaiterait Olivennes, qui est de «gauche» , lui, pas comme Sarkozy, et qui d’ailleurs (c’est bien la preuve) t’ «emmerde» , non mais sans déconner, qui t’es, pour lui faire des leçons?

Illustration - Denis Olivennes, Moralisateur (Des «Pouvoirs Médiatiques» Et) Du Capitalisme

Janvier 2011 : Olivennes, toujours le doigt sur la joue, n’est plus, depuis deux mois, le patron du Nouvel observateur – mais celui d’Europe 1 (qui est la propriété de l’un de ces «quelques groupes industriels» où se concentrent les «pouvoirs médiatiques» ).

Et là, devine quoi?

Le 13 janvier , Le Nouvel observateur publie, aux pages 66 à 69 de son numéro 2410 une «enquête exclusive» montrant «à quel point certaines niches fiscales ont été dévoyées par un petit groupe de patrons déjà hyper-privilégiés» .

Plus précisément: une – seule – «niche fiscale discrète et très avantageuse» , qui «n’a profité qu’à une douzaine de milliers de contribuables, a coûté bien davantage» encore «à la collectivité en 2009 que le bouclier fiscal.»

Cette martingale est, raconte L’Obs , un «dispositif mis au point en 2003 par Brigitte Girardin, alors ministre de l’Outre-Mer du gouvernement Raffarin, afin de favoriser le développement économique des DOM-TOM» .

Le «principe» en est d’une émouvante simplicité: « Vous investissez 100 dans les DOM-TOM (bâtiment, tourisme, bateaux, énergies renouvelables…).»

Et certes: «C’est un placement à fonds perdus» , puisque «vous ne pouvez pas récupérer votre argent» .

Mais.

«Le fisc vous offre une réduction d’impôts de 125 à 140, applicable dès l’année suivante» .

Même: «Si la réduction excède votre impôt dû, le surplus est reportable pendant cinq ans» .

Et ça, n’est-ce pas: c’est, comme le souligne L’Obs , « un mécanisme incroyablement généreux pour les riches contribuables, avec un retour sur investissement de 25 % à 40 %, quasiment sans risque» .

Ainsi, en 2007, narre l’hebdomadaire: Patrick Ouart, «conseiller justice à l’Élysée» , met «plus de 120.000 euros dans sept sociétés en nom collectif (SNC)» , qui «achètent et louent des équipements à des entreprises ultramarines, investies dans les énergies renouvelables» – secteur où «la réduction d’impôt est encore majorée de 10 %» , comme dans un conte de fées laurenceparisotes.

Puis, en 2009, «entré chez LVMH» , le gars remet ça, et se fend de 180.000 nouveaux euros, qu’il met «dans douze SNC à vocation solaire ou éolienne» .

Si t’as bien suivi: t’as compris que notre Pat aura déboursé, en deux ans, 300.000 euros.

(Une coquette somme, quand on y pense, hein, l’ami(e)?

Hein, que t’y penses, quand tu revérifies bien ta monnaie aux caisses de chez Lidl, où tu claques sans compter l’entièreté de ton RSA?)

Mais avec ça: «Il a obtenu une réduction d’impôt de l’ordre de 400.000 euros, suivant le rendement moyen de ce type d’opération» .

À la santé de qui?

À la santé du contribuable – nous, donc.

En effet, le «Girardin Industriel» – c’est le poétique nom de cette ravissante niche – a ceci de particulier qu’il se révèle être «effroyablement coûteux pour les finances publiques: en 2009, son coût a atteint 767 millions d’euros, contre “seulement” 679 millions pour le bouclier fiscal» .

Bon.

Me diras-tu.

Mais quel rapport avec Olivennes – sinon que nous avons là, en majesté, l’une de ces niches dont il a si bolcheviquement réclamé le 25 novembre dernier, dans sa dénonciation d’ une injuste «réforme de riches» qu’on les supprime, et vite, ou j’appelle Arlette Laguiller?

Ben, c’est tout simple, et je pensais que t’aurais deviné: dans la clientèle du «cabinet de conseil en gestion des affaires privées» dont la «spécialité» consiste à «faire fondre les impôts des “happy few” du CAC 40 grâce au Girardin Industriel» (ou de ses partenaires), qui trouve-t-on, d’après L’Obs , parmi des pair(e)s?

Illustration - Denis Olivennes, Moralisateur (Des «Pouvoirs Médiatiques» Et) Du Capitalisme

«Denis Olivennes, ex-dirigeant du Nouvel Observateur *, aujourd’hui à la tête d’Europe 1»* .

L’homme qui lorsqu’il écrit n’aime ni «la concentration des pouvoirs médiatiques entre les mains de quelques groupes industriels» , ni «les niches, exonérations et autres abattements (…) qui bénéficient aux plus riches» – mais qui dans la vraie vie se complaît, dirait-on, dans les endroits mêmes qu’il n’aime pas quand il écrit: ça ferait-y pas un bon sujet, pour le caustique Morandini?

Soutenez ce blog: faites un (non déductible) don.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don