Enfin «La Vérité» Sur Les Musulman(e)s Des Banlieues

Sébastien Fontenelle  • 12 octobre 2011
Partager :

Le Monde a récemment fait le compte-rendu d’une (fort intéressante) étude au long cours de l’Institut Montaigne sur les «banlieues» et l’ «islam» , dans quoi le quotidien vespéral (mais de référence) a voulu voir une «enquête qui dérange» – sans toutefois préciser qui elle dérange(r)ait, au juste.

Au demeurant, cette édifiante investigation, loin de gêner le moins du monde l’éditocratie, par exemple, la ravit positivement, puisqu’elle lui offre, comme sur un plateau, la possibilité d’user de l’un de ses procédés de prédilection – qui est de truquer la réalité, pour mieux braire qu’on vous l’avait bien dit, mâme Dupont, que d’entiers pans musulmans de la population fomentaient d’installer du califat long comme le bras dans nos départements et territoires d’outre-périphérique (DOP-TOP), alors que nous, on leur a strictement rien fait, à ces foutu(e)s Maures.

(C’est-y pas la preuve, dites-moi, qu’il faut décidément s’en défier?)

Deux récentes dissertations, prises, l’une, dans Le Nouvel Observateur , que d’aucun(e)s regardent comme une publication plutôt «de gauche» , et, l’autre, dans Le Figaro (de Serge Dassault, de l’UMP), qui est à la droite régimaire dont nous tolérons depuis cinq ans l’emprise ce que la Правда fut naguère au Коммунисти́ческая па́ртия Сове́тского Сою́за, illustrent en majesté cette manie de subvertir le réel, pour le plier à un dessein idéologique, et, disons-le, phobique.

Il s’agit, d’abord, dans Le Nouvel Observateur , de l’éditorial de la semaine de Jean Daniel.

Jean Daniel, c’est qui?

Jean Daniel, c’est le gars qui depuis tant d’années qu’il serait épuisant de vouloir les compter, va répétant qu’il n’est bien évidemment pas (du tout) islamophobe, voyons, mâme Dupont – mais qui, nonobstant, et sous le couvert de cette psalmodiation qu’il est quelque chose comme le meilleur ami des mahométan(e)s dans la moitié occidentale de notre complexe monde, ne peut littéralement pas s’empêcher de caqueter que nous avons un problème, Houston, avec les filles & fils d’Allah, et que ça serait donc bien qu’on mesure enfin qu’ils n’ont d’autre fin que de nous planter dans le terroir deux minarets par église, de telle sorte que d’ici deux à six mois, prenons-y garde, ça sera très difficile de pèleriner vers Saint-Jacques par la via Podiensis sans marcher tous les dix mètres dans une foutue mosquée, ça sera genre, notre cher und vieux pays sera comme une couverture de L’Express , mais en pire[^2].

Illustration - Enfin «La Vérité» Sur Les Musulman(e)s Des Banlieues

J’exagère?

Nenni.

Jean Daniel est, pour de vrai, le gars qui se gargarise, par exemple, d’avoir tôt prévenu François Mitterrand contre la prolifération des muslims , en lui tenant ce rude langage: «Président (…), le pays est en train de changer, le clocher de votre affiche électorale, dans peu de temps, vous le verrez entouré par deux minarets» .

Illustration - Enfin «La Vérité» Sur Les Musulman(e)s Des Banlieues

Jean Daniel est, pour de vrai, le solide limier qui a, tôt itou, su déceler
« la connivence secrète des musulmans avec les terroristes même quand ils les désavouent publiquement » .

Et donc, le voilà qui, cette semaine, pas du tout dérangé par l’enquête de l’Institut Montaigne, l’empare, au contraire, et nous dit, sur sa foi, qu’enfin (c’est pas trop tôt, on a a failli attendre): «La vérité sur les banlieues vient d’exploser» .

Et quelle est cette vérité (dont Jean Daniel déplore qu’elle n’ait «pas encore suffisamment préoccupé les candidats» à la primaire socialiste )?

Cette vérité (un peu éprouvante, je t’en préviens, pour qui n’aurait pas d’ores et déjà pris certaines mesures défensives) est que notre bien connu «souci, absolument légitime et défendable, de lutter contre l’islamophobie sous toutes ses formes [^3] nous a fait sous-estimer les progrès de l’islam, sinon de l’islamisme, dans nos banlieues» , et que cette infect… Ces progrès ne s’expliquent pas (du tout) tant par «le sentiment d’abandon» des ressortissant(e)s de la cité Léonid Ilitch Brejnev (Clichy-le-Sec, 93), que par «le fait qu’un nombre croissant de jeunes citoyens français ne se sentent plus français parce qu’ils reçoivent dans leur environnement un enseignement qui les conduit parfois à s’intégrer de plus en plus dans un islam radical» , genre, ça commence gentiment par un petit la ilaha ila Allah, comme ça, en passant, et ça se termine à la dynamite dans les transports en commun, merci bien.

Au Figaro (de Serge Dassault, de l’UMP), pendant ce temps?

Ivan Rioufol – l’imprécateur maison, toujours totalement halluciné, dit exactement la même chose que Jean Daniel (mais sans du moins faire semblant d’être la mère de tous les antiracistes, quant à lui), et dénonce, pareillement, sur la foi de la même étude, «l’emprise culturelle et religieuse de l’islam, devenu la référence de substitution à la République» , avant d’ajouter que c’est quand même un peu court de rendre «la France responsable de ce processus, en lui attribuant l’échec de l’intégration de l’islam» .

Ivan Rioufol, c’est qui?

C’est le prédicateur déboîté qui regrette quand même un peu qu’on ait perdu au fil des siècles quelques sains réflexes, et que l’Europe ait finalement renoncé à «chasser l’intrus» , comme avait si bien su faire «Charles Martel à Poitiers, en 732» .

Ces deux hautes figures de l’éditocratie, Jean Daniel et Ivan Rioufol, ont là de commun qu’elles font dire à l’enquête de l’Institut Montaigne ce qu’elle ne dit pas.

Puisqu’en effet: cette étude démontre d’abord et avant tout, implacablement, que ce que Jean Daniel appelle un «sentiment d’abandon» est, plutôt qu’un ressenti, le constat, désespérément lucide, que la sacro-sainte République française, dans ses missions de service public, a déserté les «banlieues» – constat dont les sociologues rendent compte depuis une éternité, mais qui, de vrai, n’intéresse qu’assez peu le «Gala pour les riches» et Le Figaro , pour la simple et bonne raison que ces deux élégantes publications militent l’une et l’autre pour toujours et partout moins d’État.

On fabrique pour les populations des DOP-TOP des conditions de vie bien dégueulasses; on les parque loin, surtout, des propriétés dont Le Nouvel Observateur et Le Figaro Magazine font toutes les semaines la réclame [^4]; on les condamne au chômage (mais on leur fait comprendre qu’il serait temps qu’elles s’ouvrent aux suaves douceurs de la compétitivité, comme Mouloud-qui-bien-qu’issu-d’un- quartiersensible -a-su-monter-sa-SARL-et-du-coup-passe-sur-TF1) – mais si d’aventure elles s’offusquent?

On les prie gentiment (mais un peu fermement) de cesser leurs émeutes ethnico-religieuses.

Et si (et quand) elles finissent, bien obligées, par se tourner vers qui leur prête quelque attention, dans l’abandon général?

On annonce, triomphalement: aaaaah, ben, gadez-les – non mais gadez-les, bon Dieu, Seigneur tout puissant, qui se mettent à prier!

(Vous l’avait-on pas dit, mâme Dupont, que ces gens ne veulent décidément pas de nous?)

Puis on précise que c’est qu’un début, et que ça ira pire demain: je sais pas toi, mais moi, je commence à stocker des vivres.

[^2]: J’espère que tu aimes, quand je fais des phrases de vingt-cinq bornes?

[^3]: Et notamment sous la forme, pointue, de la suggestion, obsessivement faite, qu’en tout(e) mahométan(e) sommeille un(e) possible secrétaire général(e) du fan-club du mollah Omar.

[^4]: Un très bel «appartement de 140 mètres carrrés, entre le Champ de Mars, la Tour Eiffel et les Invalides» , prix sur demande, vu cette semaine dans L’Obs : ça te dirait, pour te changer des barres de la cité Staline?

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 7 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don