L’écologie n’est pas une chasse gardée

En déclarant que Jean-Luc Mélenchon n’a «aucune légitimité pour parler des questions écologiques» , Eva Joly s’est engagée dans une bien mauvaise polémique.

Michel Soudais  • 18 mars 2012
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Quelle mouche a piqué Eva Joly ? Invitée vendredi à s’exprimer au Forum alternatif mondial de l’eau à Marseille, comme Jean-Luc Mélenchon la veille, la candidate d’Europe écologie-Les Verts (EELV) à la présidentielle a estimé que son rival du Front de Gauche était « encore dans le schéma productiviste » et n’avait « aucune légitimité pour parler des questions écologiques, n’étant pas non plus clairement anti-nucléaire » . Pas moins.

Mélenchon et la planification écologique

Intitulée Réinventer la gauche , la contribution présentée par Jean-Luc Mélenchon au congrès de Reims, fin juin 2008, mérite d’être relue. Elle contenait déjà bien des thèmes portées dans la campagne du Front de gauche. Malheureusement, le PS ne prenant pas grand soin pour rendre accessibles les textes de ses congrès, elle semble avoir été effacée du net. Je vous offre donc la version qui dormait dans mon disque dur. Le chapitre sur la planification écologique est en page 8.

Encore dans le schéma productiviste Mélenchon ? Ce n’est pas l’avis de Paul Ariès qui appelle à voter pour lui, jugeant que sa candidature est « une étape dans la construction d’une gauche antiproductiviste, un premier pas possible vers le socialisme gourmand » . Dans un communiqué du 9 mars, le rédacteur en chef du Sarkophage et directeur de la rédaction de la revue Les Z’indignées estime que « les thèses en faveur de la planification écologique, de la relocalisation, de la transition énergétique, du ralentissement, d’un revenu maximal autorisé, de la réduction du temps de travail et même de la remise en cause du culte de la croissance (productivisme et consumérisme) sont présentes dans sa campagne » . Depuis, Paul Ariès a initié avec Jacques Testard un Appel des gauches antiproductivistes et objectrices de croissance à voter pour Jean-Luc Mélenchon. Et ce n’est pas un cas isolé puisque d’autres écologistes patentés (je veux dire estampillés EELV jusque-là) ont fait ce choix: Martine Billard et ses camarades en juillet 2009, et plus récemment Stéphane Lavignotte, ou la conseillère régionale d’Ile-de-France Safia Lebdi. Pour ne rien dire de la comédienne Anémone.

Jean-Luc Mélenchon n’aurait « aucune légitimité pour parler des questions écologiques » ? Allons donc, faut-il détenir un brevet ? La carte d’un parti qui a pris pour emblème le tournesol ? Un rappel de faits devrait suffire, Eva Joly ayant elle-même déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’était « pas née écologiste » . En juin 2008, quand l’ancienne juge exprimait sa volonté de s’engager dans le débat européen aux côtés de… François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon défendait la nécessité d’une « planification écologique » dans la contribution générale qu’il versait aux débats du congrès de Reims (Voir encadré). Après sa démission du PS, quelques mois plus tard, il n’a cessé de développer cette idée, de l’enrichir, de la faire inscrire dans le programme du Front de gauche dont elle constitue un chapitre, et de la défendre. Jusque dans cette campagne présidentielle où, c’est vrai, je n’ai pas entendu beaucoup de candidats argumenter en faveur de l’écologie dans leurs meetings. Comme ici, à Besançon, devant un auditoire populaire.


J.-L. Mélenchon sur l’écologie à Besançon par lepartidegauche

Je fais bref, ceux d’entre vous qui désirent en savoir plus pourront regarder la vidéo du meeting de Clermont-Ferrand au cours duquel Jean-Luc Mélenchon a déclaré vouloir «introduire dans la constitution à la place de la règle d’or, celle qui propose d’éteindre la dette écologique, la règle verte» . Et bien d’autres prises de position que Corinne Morel Darleux recense très bien sur son blog.

Enfin, Jean-Luc Mélenchon ne serait pas clairement anti-nucléaire. Eva Joly et quelques responsables d’EELV reprochent violemment au Front de gauche et à son candidat de faire campagne pour un référendum sur le nucléaire. A leurs yeux, promettre un référendum, comme Nicolas Hulot, José Bové, Daniel Cohn-Bendit et… Eva Joly le réclamaient dans une tribune du Monde le 14 mai 2011, ce serait une manière d’éviter de prendre position. Sauf peut-être quand ce sont eux qui le demandent. Comprenne qui pourra. Notons toutefois que Daniel Cohn-Bendit, pas plus tard que mercredi dernier, dans un meeting avec Eva Joly, à Strasbourg, a redit sa conviction qu’un référendum sur le nucléaire était la bonne solution.
Eva Joly ne peut néanmoins ignorer que depuis plus d’un an Jean-Luc Mélenchon, à titre personnel, a maintes fois dit son opposition au nucléaire. Il a d’ailleurs participé à plusieurs manifestations anti-nucléaires, notamment les 20 mars et 30 avril 2011 à Paris. C’était certes avant d’être désigné candidat commun du Front de gauche, rassemblement qui inclut un parti, le Parti communiste, qui reste attaché à cette énergie, même si en son sein les esprits évoluent. Mais l’accord sur un programme partagé (de compromis) qui a permis cette désignation n’a fait disparaître ni sa conviction personnelle (qu’il rappelle de temps en temps) ni la position de son parti. Accuse-t-on EELV d’avoir changé d’opinion sur le nucléaire en signant avec le PS un accord qui aboutira à la fermeture d’une seule centrale dans les 5 ans à venir? Evidemment non.

Eva Joly serait mieux inspirée d’utiliser son temps de parole à convaincre les électeurs de l’importance des questions écologiques et de la nécessité de les prendre en considération dans tous nos choix politiques, plutôt que d’engager de vaines polémiques.

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