Essonne : une vieille histoire d’eau entre Manuel Valls et Serge Dassault

Le rapport 2013 de la Cour des comptes s’est penché sur la gestion du traitement des eaux usées dans la région de Corbeil-Essonnes et d’Évry, pendant la période où Serge Dassault et Manuel Valls cumulaient les mandats locaux. La note est salée.

Thierry Brun  • 13 février 2013
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Le chapitre du rapport public annuel 2013 de la Cour des comptes consacré aux collectivités territoriales recèle un dossier aux épisodes dignes d’un Clochemerle. Les magistrats ont donné dans la sobriété en titrant : « Le traitement des eaux usées de la région de Corbeil-Essonnes et d’Evry : l’oubli de l’intérêt général » . Car le traitement des eaux usées de la région centre-est du département de l’Essonne, organisé autour de deux villes, Corbeil-Essonnes et d’Évry, présentent la particularité « d’être effectué par deux stations d’épuration contiguës, sises en bordure de Seine, sur le territoire de la commune d’Évry »  (voir la photo).

Deux stations d’épuration contiguës

D’un côté, une station sur laquelle Corbeil-Essonnes a la haute main par le biais du syndicat intercommunal d’aménagement, de réseaux et de cours d’eau (Siarce), qui a fait « couler beaucoup d’encre » ces dernières années, quand Serge Dassault était encore maire UMP de la commune. On se souvient qu’en 2007 la commune, plombée par des déficits, a transféré au Siarce la gestion de ses eaux usées.

À l’époque, il s’agissait pour la ville de se délester d’un budget de 2,8 millions d’euros par un tour de passe passe, car, dans ce cas particulier, la loi impose un transfert de fonds. Or, la municipalité n’a généreusement octroyé que 800 000 euros au Siarce, et a conservé les deux millions d’euros restant, soit 10 points de fiscalité locale… à partager entre communes adhérentes du Siarce. Ce qui a valu quelques observations sur ces eaux troubles de la part de la chambre régionale de la Cour des comptes.

Rappelons aussi qu’en 2008, une belle bagarre eut lieu pour la présidence du Siarce, entre Patrick Imbert, le candidat de Dassault, et Xavier Dugoin, qui a finalement remporté la présidence et la détient toujours. Pour mémoire, l’ex député UMP, ex président du conseil général de l’Essonne, fut condamné, dans les années 1990, pour prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics, et bien d’autres pratiques douteuses, puis déchu de ses mandats, et emprisonné quelques mois à Fleury-Mérogis.

A quelques mètres de la station du Siarce, une autre, sur la commune d’Evry, dont le maire a été le socialiste Manuel Valls (2001-2012). La maîtrise d’ouvrage de cette station est assurée par la communauté d’agglomération Evry-Centre-Essonne (Caece), présidée par Jean Hartz (UMP) de 2001 à 2008, puis par… Manuel Valls, de 2008 à 2012. Ces dernières années, la proximité des stations a donné lieu à des échanges polis mais cocasses de courriers entre les deux gestionnaires. Un exemple parmi d’autres : dans un courrier du 4 janvier 2005 adressé au syndicat, le président de la Caece « rappel[ait] que la Communauté d’Agglomération Évry Centre Essonne n’[était] en aucune manière intéressée à traiter les effluents en provenance du Siarce et n’[était] donc pas demandeuse »… Le même jour, le Siarce renvoie la balle dans un courrier et soupçonne la Caese de manœuvrer pour obtenir des subventions pour sa seule station. Conclusion : « N’ayant obtenu aucune garantie (…), le Siarce va se voir obligé (…) de mettre en place une filière individuelle de traitement des graisses, ainsi qu’un séchage sur le site épuratoire du syndicat » . Les magistrats ont livré quelques extraits de ces courriers pour montrer que « les dissensions entre le Siarce et la Caece ont rendu impossible le choix de la solution la plus rationnelle pour la rénovation des deux équipements ».

Manuel Valls et Serge Dassault, le 28 novembre 2010 sur le marché dominical de Corbeil-Essonnes - AFP / BERTRAND LANGLOIS

Certes la construction des deux stations d’épuration accolées l’une à l’autre est issue d’un lourd héritage politique lié à la création, à la fin des années 1960, de la ville nouvelle d’Évry. Les notables locaux se sont superbement ignorés dans les années 1970 et les conflits ont persisté jusqu’à aujourd’hui. La Cour des comptes décrit sans retenue cette « rivalité administrative et politique » qui a conduit à l’échec d’une rénovation « concertée » des stations d’épuration, lancée en 2004 suite à de nouvelles normes édictées par une directive européenne de 1991. Ainsi, « les villes de Corbeil-Essonnes et d’Evry ont toujours été dirigées, depuis la création du Siarce, par des majorités politiques opposées, y compris après les changements de majorité intervenus à Evry en 1977, et à Corbeil-Essonnes, en 1995 » , soulignent la Cour. De son côté, la chambre régionale de la Cour des comptes, qui a publié en décembre 2012 un rapport « comportant les observations définitives arrêtées par la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France sur la gestion du syndicat intercommunal d’aménagement, de réseaux et de cours d’eau (Siarce) » , a pris un malin plaisir à lister les changements politiques des deux villes.

Les collectivités ont cependant poussé jusqu’à l’absurdité leurs querelles sur la modernisation des stations, retenant le scénario « le moins efficace et le plus onéreux » , et allant jusqu’à réaliser séparément des travaux au cours de la période 2006-2011. Le coût de rénovation de la station du Siarce a augmenté de 54 % en quatre ans, passant de 21,95 millions d’euros en 2006 à 36,22 millions en 2011, notent les magistrats. De son côté, la Caece a engagé la rénovation de son usine, dont les travaux ne sont pas encore achevés : « Le coût global des travaux de mise aux normes de la station s’élèverait à environ 43,5 millions d’euros ».

La facture est salée, car « les travaux d’extension et de mise aux normes des deux stations peuvent ainsi être estimés globalement, à la fin de l’année 2012, à environ 80 millions d’euros », et le surcoût « dû à l’absence de concertation peut être évalué à une dizaine de millions d’euros » . Les magistrats y ajoutent le surcoût global « des charges d’exploitation, dans la mesure où les maîtres d’ouvrage ont renoncé à faire jouer les synergies entre les équipements » , soit une estimation de 1,1 million d’euros par an, que les concitoyens des collectivités de la région se feront un plaisir de payer.

La Cour recommande aux deux collectivités concernées « d’agir désormais de manière concertée et de privilégier l’approche la plus rationnelle pour la gestion de leurs équipements, en termes d’investissement et de coûts d’exploitation » , et pour les services de l’État « de veiller à faire prévaloir l’intérêt général dans l’exercice de leurs responsabilités » . Le Siarce et la Caece ont juré, la main sur le cœur, de ne plus jamais recommencer…

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