« Macbeth » de Justin Kurzel, bilan et palmarès idéal

Christophe Kantcheff  • 24 mai 2015
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« Macbeth », de Justin Kurzel

[compétition]

Illustration - « Macbeth » de Justin Kurzel, bilan et palmarès idéal

La compétition s’est achevée ce matin sur un film pompier : Macbeth , de l’Australien Justin Kurzel. Réinstaller le héros shakespearien sur des champs de bataille grandeur nature (dans une Ecosse par définition splendide), avec l’extrême violence des affrontements, c’est-à-dire jouer la carte du réalisme, n’était pas forcément une mauvaise idée au cinéma. Mais il aurait fallu un réalisateur dénué du goût de l’emphase. Justin Kurzel est surtout préoccupé par les quantités. « Double ration, aubergiste ! » , clame l’animal, qui aime le sang par hectolitres, les ralentis jusqu’à plus soif, les effets de lumière d’une « kolossale » finesse, la musique assourdissante (fâcheuse tendance dans le cinéma actuel à gonfler la bande son aux amphétamines – ce qui en dit long sur le manque de confiance dans le spectateur, et aussi dans son propre film !)

Cette triste fin ne détonne pas avec le niveau médiocre d’une compétition apathique. Dans cette sélection, on déplore zéro choc esthétique. J’aurais sans hésiter placé le film d’Apichatpong Weerasethakul, Cemetery of splendour , dans cette catégorie mais, peut-être pour qu’il ne puisse prétendre à une seconde palme, il faisait partie de la section Un certain regard. Dans la même section, An , de Naomi Kawase, pourtant une habituée de la compétition, en aurait aussi relevé le niveau. Quant à mon propre moral de festivalier, j’ai pu le rehausser en découvrant les beaux films de Philippe Garrel, l’Ombre des femmes , Arnaud Desplechin, Trois souvenirs de ma jeunesse (tous deux à la Quinzaine des réalisateurs) et Robert Guédiguian, Une histoire de fou (sélectionné en séance spéciale), ou encore deux films de l’Acid, Je suis le peuple , d’Anna Roussillon et Volta à terra de Joao Pedro Placido. Mais aussi en réussissant à organiser mon emploi du temps de telle sorte que je puisse voir les trois épisodes de plus de deux heures chacun d’une aventure visuelle et conceptuelle unique, une métaphore politique à la dimension d’une odyssée, les Mille et une nuits , du Portugais Miguel Gomes, présentée à la Quinzaine des réalisateurs.

En revanche, je ne partage pas l’enthousiasme de beaucoup à propos du film d’Hou Hsiao-Hsien, The Assasin . Son dernier long métrage remontait à 8 ans, d’où l’attente particulière qui accompagnait ce nouvel opus, dont l’action se déroule dans la Chine du IXème siècle. On ne peut nier que le film soit éclaboussant de beauté. Mais celle-ci est livrée de façon ostentatoire, comme surimposée. C’est de la beauté au carré. Hou Hsiao-Hsien accumule les tableaux léchés de la période Tang, avec des combats au sabre et au couteau superbement chorégraphiés (où Shu Qi semble danser avec son visage d’ange à se damner), mais ces tableaux ne vibrent pas. Ils peuvent même parfois irrités, comme ces nombreux plans d’intérieurs filmés derrière un rideau de tulle légère qu’une brise agite.

La compétition a déroulé son lot de films antipathiques, pour certains seulement stupides, d’autres idéologiquement douteux, d’autres encore agrémentant ces « qualités » d’une nullité crasse de la mise en scène. Mon roi , de Maïwenn, décroche le grand prix de cette catégorie (c’est une sélection maison), où l’on retrouve pêle-mêle les affreux Sicario , de Denis Villeneuve, Youth , de Paolo Sorrentino, et The Lobster , de Yorgos Lanthimos, avec en annexe l’accessit du film vain et moche (et qui se voudrait évidemment tout le contraire) que je réserve au Conte des contes , de Matteo Garrone.

Faisons un détour par la sélection française, en se remémorant ce que le délégué général du festival, Thierry Frémaux, avait déclaré à propos des films français cette année : « c’est une belle année pour le cinéma français » . Je passe sur Mon roi , car on ne tire pas sur une ambulance et il est laid de s’acharner. Marguerite et Julien , de Valérie Donzelli, est d’une tout autre nature. D’après un scénario de Jean Gruault, l’un des scénaristes de François Truffaut, que celui-ci avait pour projet de tourner s’il n’était pas mort prématurément, Marguerite et Julien raconte l’histoire d’amour impossible entre une sœur (Anaïs Demoustier) et un frère (Jérémie Elkaïm). Un « fait divers » tragique, qui s’est déroulé au XVIIeme siècle, mais Valérie Donzelli a voulu l’actualiser pour le rendre universel, mêlant des époques différentes dans un film qui voudrait retrouver le souffle romantique d’ Adèle H. en même temps que la stylisation des contes de Jacques Demy. L’ambition est belle mais le ratage est patent. Marguerite et Julien est un film arty où la passion ne fait aucun ravage : dommage.

Dans ces chroniques cannoises, j’ai déjà dit tout le bien de ce que je pense de la Loi du marché , de Stéphane Brizé (dont la sortie en salles prend le tour d’un succès, ce qui est une bonne nouvelle) et de Valley of love , de Guillaume Nicloux. Reste Dheepan , de Jacques Audiard, qui raconte l’arrivée en France d’un homme, d’une femme et d’une petite fille de Sri Lankais fuyant la violence de leur pays et se faisant passer pour une famille, alors qu’ils n’ont aucun lien entre eux. Ils trouvent à s’installer et à travailler dans une cité, en grande banlieue, tenue par des dealers. Difficile de parler de ce film en quelques lignes. Beaucoup de choses bien vues, bien amenées et en même temps, Dheepan m’a laissé dans un état de malaise – notamment en raison de sa dernière demi-heure et de son épilogue, qu’il serait indélicat de dévoiler. Quel point de vue Jacques Audiard développe-t-il dans son film à propos de la banlieue ? J’avoue que la réponse à cette question ne m’est pas aisée. Il sera temps de revenir sur Dheepan au moment de sa sortie, à la fin du mois d’août.

Outre les deux français cités plus haut, deux autres films m’ont enthousiasmé, dont j’ai déjà parlé ici : Mia Madre , de Nanni Moretti, et Carol , de Todd Haynes. Le « tableau d’honneur », en ce qui me concerne, s’avère donc maigre, et c’est parmi ces quatre films que je piocherai pour établir un palmarès idéal.

Je destinerais les prix d’interprétation à Vincent Lindon ( la Loi du marché ) et à Cate Blanchett ( Carol ). Le Grand prix à Valley of love . Et ma palme d’or irait à Nanni Moretti – ce serait sa deuxième après celle décernée pour la Chambre du fils .

Mais je ne donne pas cher de la peau de Mia Madre pour la palme aux yeux des frères Coen, les deux présidents du jury. Tout pronostic reste cependant aléatoire. On peut imaginer que Sicario , au moins pour des raisons de proximité (l’acteur Jake Gyllenhaal, qui est dans le jury, tourne régulièrement avec Villeneuve, tandis que Xavier Dolan, également au jury, est un compatriote québecquois) sera au palmarès. Ainsi que The Lobster , qui passe pour un des favoris de la palme. Le fils de Saul , du Hongrois Laszlo Nemes, évoqué dans cette chronique, sera vraisemblablement salué. Et la Loi du marché , d’une manière ou d’une autre, récompensé.

Dernier rendez-vous de cette chronique : le commentaire du palmarès !

Temps de lecture : 7 minutes
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