À propos de « relations » avec le Front national et quelques autres pestiférés de droite

Grosse polémique après la proposition de Jacques Sapir, économiste revendiqué de gauche, d’envisager, dans le cadre d’un « Front de libération nationale » contre les ravages de l’Euro, des relations, non seulement avec certaines composantes de droite, mais aussi avec le Front national.

Le Yéti  • 28 août 2015
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À propos de « relations » avec le Front national et quelques autres pestiférés de droite

Jacques Sapir

On passera ici sur les réactions enfiévrées, mais caricaturalement convenues, des éditocrates mainstream comme Jean Quatremer. Haro sur le Sapir comme sur tout ce qui dépasse les limites étroites de leur pensée unique. Les chiens aboient contre toutes les caravanes qui les dépassent. Et se jettent sur tous les os venus. pour les discréditer. Normal, c’est leur fonction.

Une proposition inutile de Jacques Sapir

Il n’en reste pas moins qu’à mon sens, Jacques Sapir a en l’occurrence péché par excès de théorisation politique (son péché mignon, avec la modélisation mathématiques des comportements économiques). Deux raisons :

-* Sauf à être le commode épouvantail agité par l’axe UMP/PS, le FN ne possède toujours aucun réel poids politique dans le pays . Après trente-sept ans d’agit-prop régressif, le parti de la famille Le Pen (décomposée) compte toujours ses députés sur les doigts d’une seule main et ne dirige — la plupart du temps très mal — qu’un maximum d’une dizaine de villes importantes. Si tant est qu’aujourd’hui, l’axe UMP/PS, maqué à la mafia financière, est bien plus dangereux que son épouvantail.

-* Si, électoralement parlant, le FN pèse bon an mal an un cinquième des suffrages exprimés, son électorat ne se manifeste surtout qu’à l’occasion de premiers tours sans conséquences . De fait, les voix se portant sur le FN expriment plus un rejet épidermique des partis institutionnels qui se partagent le pouvoir, qu’une adhésion raisonnée aux thèses de l’extrême-droite. Le vote FN est souvent une autre facette, rageuse, de l’abstention.

De fait, quel que soit la justesse de la cause défendue (la neutralisation de la dangereuse monnaie unique européenne en est une), proposer d’ouvrir des relations avec un parti aussi douteux que le FN apparaît donc comme non seulement périlleux et politiquement amoral, mais aussi parfaitement inutile et maladroit : en proposant d’ouvrir des relations avec le FN, Jacques Sapir confère à ce parti une importance qu’il n’a pas.

Le mono-idéisme de gauche de Frédéric Lordon

On se gardera pourtant de tomber dans l’excès de « clarté » idéologique exigée en retour de bâton par Frédéric Lordon. Sous prétexte de pourfendre le « mono-idéisme » de Sapir contre l’euro (face au mono-idéisme des européistes qui veulent y rester), Lordon verse dans un autre travers tout aussi pernicieux : le mono-idéisme de gauche et ses obligations monomaniaques de pureté idéologique qui finissent par confiner la gauche dans un verbiage ampoulé à n’en plus finir (le péché-mignon de Lordon) et dans le cadre électoralement étriqué des cercles exclusivement militants.

Ce n’est pas banaliser le FN que de constater la propagation de ses idées, même si, à juste titre, on les trouve faisandées et pour tout dire puériles. Qui d’entre nous n’a pas dans son entourage (familial, bistrot…) quelques pourfendeurs ardents des immigrés cosmopolites, des fainéants de chômeurs, des arnaqueurs patentés aux prestations sociales, de ces petits salopards de terroristes qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes… ?

Ce n’est pas sacraliser le FN que de prendre acte de son intrusion dans le paysage politique français. Qui niera que sans l’apport des voix frontistes, le non au référendum de 2005 sur le projet de constitution européenne serait resté tristement minoritaire ?

Et alors, qu’est-ce qu’on fait ? On envoie les brebis galeuses frontistes de notre entourage en camp de rééducation ? On les fusille ? On se réfugie dans notre tour d’ivoire de gauche purifiée à 10 % maxi (en comptant large) des voix à chaque élection ? La réalité politique d’un pays est sans doute bien plus complexe que l’idée dont voudraient se convaincre les théoriciens en leur vase clos.

Toujours en vertu des grands principes

En vérité, peu me chaut personnellement de voter comme le FN, ou plutôt que le FN vote comme moi. Que Marine Le Pen en vienne un jour à approuver ma proposition de régulariser tous les migrants sans papier ne me perturberait en rien, bien au contraire. Je l’ai dit et répété, seuls comptent les grands principes auxquels nous nous référons sans défaillir . Ceux-là tiennent en trois mots — Liberté, Égalité, Fraternité — et en 30 articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Point.

A-t-on besoin d’ourdir quelques sombres ou troubles relations pour faire valoir ces grands principes ? Qui les aiment les suivent, de droite comme de gauche, extrêmes ou non, c’est leur problème, pas le nôtre.

Le Conseil national de la Résistance , auquel se réfère Jacques Sapir, et qui rassembla des forces de tous horizons, n’est pas né d’une stratégie politique mûrie en alcôves, mais d’une urgence communément ressentie à un moment critique de l’Histoire. Advienne à nouveau que pourra.

Quant à l’accusation faisandée de « rouge-brun » proférée à l’envi par les zozos hystériques de la pensée unique et leurs médiocres épigones, autant dire que l’on doit s’en foutre comme de l’an quarante.

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