Une intelligence artificielle signe un soi-disant court-métrage

C’est l’un des derniers buzz en ligne : une intelligence artificielle (IA) a écrit le scénario d’un petit film, qui a ensuite été tourné en 48 heures et présenté au festival Sci-Fi de Londres. Le résultat est hilarant, beau et étrange pour certains, absurde pour d’autres.

Christine Tréguier  • 23 juin 2016
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Une intelligence artificielle signe un soi-disant court-métrage

A l’origine de cette « oeuvre », Ross Goodwin (chercheur en intelligence artificielle à l’université de New York) développeur de réseaux de neurones spécialisés dans la création de textes et son ami Oscar Sharp, réalisateur, qui rêvait de créer des scénarii de films aléatoires.

L’intelligence artificielle (IA) développée par Goodwin est ce qu’on appelle un réseau de neurones LSTM (long short-term memory) récurrent, fréquemment utilisé pour la reconnaissance de textes. Elle s’est elle-même prénommée Benjamin. On l’a nourrie de douzaines de scénarii de classiques du cinéma de science-fiction comme 2001, l’Odyssée de l’espace, X-Files, Abyss, Star Trek, Le Cinquième élément ou Interstellar. En un an, Benjamin a appris à imiter la structure d’un script, avec indications de réalisation et découpage de dialogues et produit cinq pages mettant en scène trois personnages enfermés dans une station spatiale. Oscar Sharp a transformé ce brouillon en un court métrage de 9 minutes intitulé Sunspring

Le résultat a bien la forme d’un découpage, mais il serait osé de parler de scénario.

Ce type d’IA est supposée capable de construire des paragraphes à partir du corpus analysé. Pourtant, hormis quelques répliques dignes d’écrits surréalistes du genre « rien ne va devenir quelque chose », le reste des dialogues est une sorte de cut-up dépourvu de cohérence tant syntaxique que sémantique. « Dans un futur où règne le chômage de masse, les jeunes sont obligés de vendre leur sang. C’est la première chose que je peux dire » dit le personnage nommé H. H2 lui répond : « Tu devrais voir les garçons et te taire. J’étais celle qui allait avoir cent ans »et C enchaine sur «et bien je vais devoir aller au crâne, je ne sais pas.» Les indications de réalisation sont tout aussi saugrenues. «Il est debout dans les étoiles et assis sur le plancher», ou _«__Il voit un trou noir dans le plancher qui mène à l’homme sur le toit._»

Les deux créateurs se disent enchantés du travail de Benjamin qu’ils voient comme une « version moyenne » de de tous les films ingurgités par l’IA. On trouve dans les dialogues des phrases récurrentes comme « je ne sais pas de quoi tu parles », « que veux tu dire ? », « je ne sais pas » ou « je ne suis pas sûr », qui rappellent les formules des IA lorsqu’elles cherchent à faire préciser ce que les humains leur demandent. Sharp et Goodwin préfèrent penser que Benjamin a campé des personnages qui « questionnent l’environnement, ce qu’ils ont en face d’eux. C’est quelque chose de récurrent dans les films de SF où les personnages essaient de comprendre leur environnement. »

Sans vouloir vexer Benjamin, le battage médiatique fait autour de Sunspring se résume à beaucoup de bruit pour pas grand chose. Pas besoin de réseau de neurones pour pondre des scénarii désopilants ou absurdes. A l’époque de l’OULIPO (Ouvroir de littérature potentielle) Queneau, Perec et leur bande avaient mis au point une méthode simple dite S + 7. Elle consiste à remplacer chaque substantif d’un texte existant par le septième substantif figurant après lui sur la page du dictionnaire. Exemple tiré de « La Cigale et la Fourmi » devenue « La Cimaise et la fraction ».

La fraction n’est pas prévisible : C’est là son moléculaire défi. « Que ferriez-vous au tendon cher ? Discorda-t-elle à cette énarthrose.

  • Nuncupation et joyau à tout vendeur, Je chaponnais, ne vous déploie.
  • Vous chaponniez ? J’en suis fort alarmante. Eh bien ! débagoulez maintenant. »

Le film et l’article dans Ars Technica

Le scénario complet de Sunspring

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Temps de lecture : 3 minutes
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