Entre les murs 4 : Autisme en France, où en est-on réellement ?

Après avoir souligné dans mon billet précédent certains enjeux spécifiques concernant la dynamique développementale de l’autisme et la légitimité théorique des interventions, il convient désormais d’aborder les réalités institutionnelles et les enjeux politiques. Quelles sont les orientations actuelles des prises en charge concernant l’autisme en France ? Quels en sont les soubassements idéologiques ? Qu’en est-il actuellement des revendications inclusives ? Il s’agira ainsi de dépeindre les grandes tendances du panorama contemporain concernant l’autisme, avant d’aborder concrètement la question des pratiques soignantes lors du prochain (et dernier) billet consacré à cette question complexe.

Docteur BB  • 20 janvier 2020
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Entre les murs 4 : Autisme en France, où en est-on réellement ?
Dans l’usine Novandie d’Andros, huit personnes autistes ont été embauchées, avec un encadrement spécifique. PASCAL PAVANI / AFP

Comment résumer en quelques lignes des décennies de politiques sanitaires, de débats idéologiques, d’anathèmes et de prosélytismes, de faits alternatifs et de lobbying… Je vous renvoie pour cela aux perspectives historiques dressées par le Dr Bouquerel.

Le fait est, qu’outre Atlantique, un intérêt spécifique pour la prise en charge de l’autisme s’est largement développé depuis les années 60-70, avec une forte implication universitaire et la mobilisation de moyens financiers conséquents. En effet, aux Etats-Unis, le domaine des interventions rééducatives dans le champ de l’enfance est, pour des raisons historiques, culturelles juridiques et politiques, un secteur libéralisé et potentiellement lucratif. Ceci s’explique notamment par le fait qu’un amendement de la constitution américaine oblige les Etats à donner un accompagnement éducatif pour tous les enfants, alors même que les carences du système de sécurité sociale entravent régulièrement la possibilité même d’accéder aux soins. La prise en charge des enfants autistes s’est donc déportée vers le secteur éducatif, avec des potentialités d’investissements importantes. Ainsi, des programmes de recherches d’envergure ont pu être commandités et organisés par des intérêts privés, aboutissant à la réalisation de nombreux essais randomisés. Dès lors, de nouvelles méthodes sont apparues sur le marché, avec un vernis scientifique et des résultats fondés sur des « preuves ». Les approches comportementalistes de type Applied Behavioral Analysis ABA (Ivar Lovass), ou le programme TEACCH (Eric Shoppler) ont ainsi pu s’imposer à l’international comme les seules méthodes efficaces, par le biais de stratégies marketing musclées. Un intense travail de lobbying s’est effectivement déployé, tant auprès des instances scientifiques, que de groupes parlementaires ou des associations de famille.

En France, l’organisation de la prise en charge des enfants autistes s’est initialement inscrite dans le mouvement de refondation institutionnelle de la psychiatrie, au décours de la seconde guerre mondiale. Dans une dynamique politique, humaniste et intégrative, se sont ainsi mises en place les premières équipes pluridisciplinaires, avec médecins, éducateurs, psychologues, assistants sociaux, infirmiers. Puis, au sein de ces nouvelles institutions, sont apparues de nouvelles professions, comme les orthophonistes ou les psychomotriciens, tout en y associant de plus en plus l’Education Nationale, avec détachement d’enseignants spécialisés et création des premières classes spécialisées. Voici par exemple le témoignage que faisait le Pr Roger Misès de ses premières expérience institutionnelles dans les années 60 : « la fondation Vallée était vraiment un asile au fonctionnement archaïque où se trouvaient reçus des enfants considérés comme inéducables, et de ce fait abandonnés à de simples mesures d’assistance. Les transformations ont porté sur différents plans : il a fallu humaniser les locaux, les conditions d’accueil, mais aussi introduire des orientations nouvelles, de façon à assurer des actions coordonnées qui associent la pédagogie (on a créé beaucoup de postes d’enseignants de l’Éducation nationale), l’éducation (on a mis en place des éducateurs) et le soin, qui s’est trouvé soutenu à travers divers aspects, y compris des médiations d’ordre pédagogique ou éducatif ».

Ainsi, sous l’influence de la psychothérapie institutionnelle et des approches psychodynamiques, les soins se sont de plus en plus adressés à la singularité de la personne, considérée en tant que sujet traversé par une histoire, des désirs, des émotions, des refus, des représentations, des empêchements, etc. Et progressivement, les institutions se sont ouvertes vers le social, avec des perspectives d’intégration et des projets d’autonomisation sur le long terme. Ces spécificité du modèle français ont ainsi persisté pendant plusieurs décennies : « les pédopsychiatres ont moins utilisé de solutions médicamenteuses et durant la seconde moitié du XXème siècle, ils ont développé les approches multidimensionnelles offrant au quotidien pour ces enfants des temps d’éducation, de pédagogie, mais aussi de thérapie afin de leur donner la possibilité d’acquérir des compétences sociales et scolaires et de développer leurs capacités d’imagination et de symbolisation », comme le rappelle le manifeste pour une prise en charge plurielle et éthique de l’autisme de la CIPPA.

Cependant, il faut reconnaitre que ce souffle émancipateur s’est progressivement tari, et que la question de l’autisme en particulier n’a sans doute pas suffisamment suscité de mobilisation spécifique et de créativité collective, à part quelques exceptions isolées (par exemple les travaux de G. Haag sur les particularités sensorielles et sur la construction de l’image du corps chez les enfants autistes). Ainsi, au tournant des années 70-80, il n’y a pas eu de véritables innovations institutionnelles, pas suffisamment de transmission et de relais quant aux pratiques existantes, voire une certaine naïveté isolationniste de la part de cliniciens convaincus de la pérennité de leur modèle de soins publics. Cela tient sans doute à la revendication d’une approche très généraliste, ouverte, et non clivante de la souffrance psychique ; les psychiatres ont toujours privilégié le soin singulier à destination d’une personne, plutôt que ciblé sur des troubles ou sur un syndrome. Néanmoins, on peut légitimement pointer une certaine inertie institutionnelle, en rapport à la fois avec des contraintes administratives et gestionnaires de plus en plus sclérosantes , mais aussi avec une difficulté à percevoir certaines dynamiques sociales et à prendre en compte l’air du temps – ce qui n’est pas forcément un défaut….Enfin, il est certain que l’absence totale de culture de l’évaluation et de la diffusion médiatique a contribué à marginaliser de plus en plus la spécificité des approches cliniques et institutionnelles « à la française ». « Au même moment, les autorités publiques et le compagnies privées d’assurances, soucieuses de contrôler les dépenses de santé et alliées objectivement à l’offensive des firmes pharmaceutiques pour développer la prescription de médications de psychotropes sur des arguments capables de résister aux exigences de validation scientifique et aux critiques de l’opinion, remettaient en cause les acquis de trente années d’une véritable révolution psychiatrique. Dans le cadre de l’Evidence Based Medecine et des protocoles pour groupes homogènes de malades, les pratiques d’individualisation du soin risquaient de ne plus avoir leur place » (J. Hochmann).__

Des critiques de plus en plus acerbes et violentes ont alors dénoncé l’archaïsme, l’inefficacité, voire le caractère maltraitant des dispositifs thérapeutiques existants – non sans raison, mais en se trompant peut-être de cible : la psychanalyse – et non le manque de moyens…- était en effet désignée comme l’épouvantail à abattre, car ses théorisations malfaisantes auraient effectivement infusé dans l’esprit de tous les soignants, en les amenant systématiquement à « culpabiliser les parents » voire à proposer des thérapies inefficaces, ineptes, ou même barbares…A titre illustratif, je ne résiste pas à citer à nouveau Franck Ramus, l’infatigable pourfendeur des institutions thérapeutiques, tel un justicier chevauchant le noble destrier de la Science toute-puissante : « ces structures de « soins » sont souvent des remèdes pires que le mal, faute à nouveau de formation adéquate du personnel bien souvent encore englué dans la psychanalyse » -allégation évidemment fondée sur une solide analyse sociologique et de santé publique, non sur de simples préjugés, cela va de soi…

Actuellement, l’ABA est la méthode la plus recommandée en France pour la prise en charge des autistes, sans véritable validation scientifique ; pour la Haute Autorité de Santé, il n’y a effectivement qu’une « présomption d’efficacité », ce qui démarque cependant ce programme de toutes les autres approches. Cette « méthode qui marche » – selon Mme Carlotti, ancienne ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion – suppose l’exercice récurrent de contraintes, avec même, historiquement, l’utilisation de pratiques aversives, ce qui devrait pour le moins soulever certaines objections éthiques. Dans un article publié en 2018 dans Advances in Autism, Henny Kupferstein a mis en évidence le fait que 46% des autistes ayant été exposés à la méthode ABA dans leur enfance présenteraient à l’âge adulte un syndrome de stress post-traumatique (PTSD), et qu’il existerait une corrélation statistique positive entre la gravité des symptômes et la durée d’exposition aux méthodes comportementales intensives de conditionnement. Les témoignages rétrospectifs d’autistes ont pu confirmer que leurs protections contre l’angoisse se voyaient heurtées frontalement et douloureusement par les méthodes comportementales. Par ailleurs, suite à la plainte d’un parent, une enquête menée en 2011 par l’Agence Régionale de Santé du Nord-Pas-de-Calais sur le fonctionnement du Centre Camus pratiquant l’ABA avait conclu que cette structure présentait des « dysfonctionnements » constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d’avoir des répercussions sur les enfants accueillis ».

Le fait est qu’en prenant appui sur une circulaire du 5 janvier 2010 de la Direction Générale de l’Action Sociale, 28 structures expérimentales ABA ont été créées en France, avec la mise à disposition de moyens financiers et humains très avantageux ; dans ces établissements, les enfants autistes ne sont jamais seuls : ils sont en permanence pris en charge et stimulés par un professionnel, avec un nombre d’heures d’accompagnement hebdomadaire moyen par enfant de 26 heures.

Cinq ans après, la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) a rendu publique une « Evaluation nationale des structures expérimentales Autisme », dont J.-C. Maleval a pu extraire certains éléments. Cet audit mettait en évidence « _des problèmes de turn-over, à tous les niveaux hiérarchiques et particulièrement au niveau du personnel éducatif », en rapport avec la répétitivité harassante des protocoles ABA, mais aussi avec la confrontation répétée aux souffrances des enfants suscitées par la rigidité des contraintes imposées. Ces constatations témoignent à l’évidence d’une forte charge de stress et d’insatisfaction imposée aux équipes, du fait notamment d’une forme de dissolution de l’éthos professionnel et d’un délitement du sens des interventions. De fait, la question des finalités et des perspectives à plus long terme semble réduite à sa portion congrue, en dehors du lit de Procuste des procédures ABA, sans prise en compte des profils singuliers, des désirs et des négations, des enjeux personnels et familiaux, etc. Sans direction, sans tiers, sans créativité, sans plaisir, sans autonomie, sans élaboration commune, soumise à des ingérences chroniques, à l’absence de projet fédérateur au-delà de l’application des protocoles, on peut tout à fait saisir l’intensité de la souffrance des équipes, et les conséquences en termes d’efficience thérapeutique. Comme le rappelait Winnicott en 1947, « lorsque l’on s’occupe d’êtres humains, il faut savoir faire preuve d’originalité et avoir un sens aigu des responsabilités. (…) Il est déconseillé d’engager pour ce travail des fonctionnaires ne demandant qu’à suivre des directives strictes« …Ainsi, en dépit des progrès individuels constatés pour une grande majorité d’enfants et de jeunes, le nombre de sorties est resté très limité sur la période d’évaluation de 5ans, alors même que la « transition inclusive » et l’intégration sociale auraient dû être la finalité d’une telle prise en charge. Sur 578 enfants, seuls 19 seraient sortis vers le milieu scolaire ordinaire (y compris en ULIS), 18 vers une structure médico-sociale, et 5 se seraient retrouvés au domicile sans solution. Pour 54 enfants, l’orientation à la sortie n’était pas connue, car non renseignée par les équipes – ce qui ne laisse rien présager de bon… Des résultats bien décevants au vue de l’investissement financier et humain déployé et des revendications triomphalistes préalables.

Quel était l’arrière-plan politique ayant amené à de telles orientations de la prise en charge ? En 2012, la Haute autorité de Santé (HAS) a effectivement publié une série de recommandations concernant la prise en charge des enfants autistes. Ces conclusions se basaient essentiellement sur l’étude de la « littérature » scientifique internationale, donc anglo-saxonne, avec le souci d’extraire des résultats prouvés dans le cadre de l’Evidence Based Medecine – ce qui excluait de facto toute l’expérience pédopsychiatrique française, dans la mesure où, pour des raisons historiques, culturelles et méthodologiques, aucune étude randomisée n’avait jamais été réalisée concernant les prises en charges intégratives et les soins institutionnels menés depuis des décennies. Ces recommandations insistaient en premier lieu sur certains points tout à fait pertinents et consensuels concernant l’accompagnement des enfants autistes et de leur famille : l’importance d’un diagnostic précoce, la nécessité d’évaluations régulières pour appréhender les évolutions et ajuster les interventions, la mise en place d’un projet thérapeutique structuré et cohérent, la promotion d’une communication adaptée, le contrôle des prescriptions médicamenteuses dans les cas où elles s’avèreraient indiquées, l’articulation des champs éducatif, pédagogique, rééducatif et thérapeutique, ainsi qu’une logique de parcours assurant la pérennité du suivi en évitant les ruptures. En termes de préconisation éthiques, la Haute Autorité de Santé incitait à prendre en compte « les goûts, les rythmes, les capacités » et même « les désirs » propres de l’enfant autiste – ce qui soit dit en passant est tout à fait contradictoire avec les stratégies comportementalistes visant à éteindre des comportements inappropriés, à lutter contre les stéréotypies et à contourner les intérêts restreints par une forme de forçage.
Les auteurs de ces recommandations déclinaient ensuite une liste provisoire des méthodes thérapeutiques utilisées dans l’autisme, en précisant leur supposé efficacité au vue des preuves scientifiques disponibles. Ainsi, les méthodes ABA, TEACCH et Denver sortaient du lot, nom pas du fait d’une véritable certitude quant à leur validité, mais plutôt faute de mieux – au pays des aveugles, les borgnes sont rois… Car, en dépit de tous les essais financés depuis plusieurs décennies, ces méthodes ne pouvaient se prévaloir que d’une « présomption d’efficacité » dans le meilleur des cas, ou sinon d’un « faible niveau de preuve ». Résultats bien modestes comparés à la suffisance des flagorneurs prosélytes de ces traitements comportementaux intensifs, censés être infaillibles et miraculeux.

Toutes les alternatives furent donc balayées d’un revers de la main pour la simple raison qu’elles n’avaient pas de preuves statistiquement valides de leur efficacité – et qu’elles ne pouvaient certes en présenter, puisque aucune étude évaluative n’avait été financée. A partir de là, « toute distance critique, tout relativisme épistémologique a été banni au profit d’une certitude agissante » (Bouquerel) : seules les méthodes comportementalistes marchent, elles marchent à coup sûr, pour tous, et toute autre approche constitue du charlatanisme et doit donc être vilipendée, voire décriée comme maltraitante, délictuelle ou criminelle – certains parlementaires ont effectivement chercher à faire interdire par l’assemblée nationale les prises en charge d’inspiration psychanalytique.

A ce sujet, il me semble important de citer la quasi-totalité de cette proposition de résolution portée par le député Daniel Fasquelle, tant les propos tenus témoignent non seulement de l’ingérence du politique à l’égard des pratiques médicales et de la recherche scientifique, mais aussi de la prégnance d’une idéologie libérale et légaliste imprégnée de « faits alternatifs ».

« Considérant que les recommandations de bonnes pratiques de prise en charge de mars 2012 de la Haute Autorité de santé de l’ANESM sont d’importance vitale pour l’amélioration de la prise en charge de l’autisme », – des « recommandations d’importance vitale » : serait-ce là une figure de style, une sorte d’oxymore ? Y aurait-t-il d’emblée une volonté de dramatiser, ou d’induire des mouvements émotionnels susceptibles de parasiter l’analyse posée et réfléchie de la situation ?

« Considérant que le Comité des droits de l’enfant ONU désigne les « thérapies psychanalytiques » comme « inefficaces », – cette instance a-t-elle une quelconque légitimité scientifique ou médicale ?

« Considérant que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France en février 2015 pour « manque d’accompagnement adapté des personnes autistes » au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits l’Homme et des libertés fondamentales », – en conséquence, faut donc attaquer et mettre en péril les institutions thérapeutiques ? Désavouer les pratiques soignantes, plutôt que d’envisager les déterminants politiques qui ont conduit à un manque structurel de moyens ?

À ce sujet, il me semble nécessaire ouvrir une parenthèse pour préciser les enjeux.

Commençons par prendre un parallèle : l’Education Nationale va mal. Faut-il considérer des enjeux systémiques, des problèmes de moyens et d’organisation politique, une démission coupable de l’Etat, ou désigner les enseignants comme fautifs? Ceux-ci seraient trop réfractaires aux méthodes pédagogiques qui marchent, à la neuro-éducation, à l’utilisation des outils numériques (même si toutes les études sérieuses dénoncent l’ineptie scientifique de ces méthodes miracles…) ; ils seraient trop archaïques, corporatistes, syndiqués, attachés à la transmission relationnelle, à la qualité de leur environnement de travail ; trop rejetants, hostiles à la différence, incapables d’accueillir les souffrances sociales, de corriger les inégalités, de prendre en charge le handicap, de s’adapter aux évolutions du monde contemporain…Il est toujours facile d’accabler les acteurs de terrain pour dédouaner les responsables politiques de leur inconséquence et du délabrement qu’ils ont sciemment élaboré, afin de justifier après-coup les orientations de programmes néolibéraux (démantèlement des services publics, privatisation, création de marché lucratif, au nom du Droit et de l’efficacité…)…

En février 2015 le commissaire des droits de l’homme du conseil de l’Europe pointait «un certain nombre de situations à la fois inquiétantes et paradoxales: ainsi, des personnes qui auraient pu bénéficier d’un maintien en milieu ordinaire à condition de recevoir l’accompagnement personnalisé nécessaire se trouvent placées en institutions, faute d’une évaluation pertinente de leurs besoins ou de disponibilité des services médico-sociaux adaptés». De fait, environ 20 000 enfants handicapés étaient alors sans solution, alors même que l’Etat semblait tout à fait incapable de fournir des données précises susceptibles d’orienter des perspectives politiques plus concrètes en termes de dispositifs de prise en charge. Etaient notamment pointés le manque de financement d’institutions spécialisées sur le territoire, l’absence de stratégie nationale conséquente et d’investissements à la mesure des besoins, etc.

A ma connaissance, aucune dénonciation de la psychothérapie institutionnelle et des thérapies d’inspiration psychodynamiques, même si pour Mr Fasquelle celles-ci semblent être synonymes d’institutionnalisation forcée, ce qui témoigne de sa méconnaissance absolue en la matière…

Voici un petit exemple illustratif : le 17 septembre 2015, l’ONU s’insurgeait contre l’hospitalisation d’un adolescent autiste de 16 ans dans un hôpital psychiatrique pour adultes. Je n’ai trouvé nulle part une description clinique précise de la nature et de l’intensité des troubles de ce jeune (visiblement, la prise en compte de la réalité semble négligeable pour tous les défenseurs du Droit abstrait). Quelques mois avant cette hospitalisation, une juge des enfants avait confié la garde de cet adolescent à son père, qui était favorable à une prise en charge spécialisée. En effet, la mère avait jusque-là refusé toute orientation institutionnelle, ayant imposé une scolarisation de force de son fils, contre l’avis de l’école et de la MDPH, allant jusqu’à nécessiter une intervention des forces de l’ordre sur l’établissement scolaire. Suite au changement de cadre de garde, cet adolescent a finalement pu intégrer un institut médico-éducatif, à même de proposer, conformément à l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique, « un accompagnement et une prise en charge individualisés, précoces et adaptés, à la fois sur les plans éducatif, comportemental, et psychologique (qui) augmentent significativement les possibilités relationnelles et les capacités d’interaction sociale, le degré d’autonomie, et les possibilités d’acquisition de langage et de moyens de communication non verbale par les enfants atteints de ce handicap. ».

Cependant, dans notre situation, on peut légitiment penser que cette prise en charge s’est avérée bien tardive, et que les troubles de cet adolescent étaient devenus difficilement gérables sur une institution de ce type – qui plus est à l’école…- car une hospitalisation s’est avérée indiquée après quelques jours, avec l’accord du père. A nouveau, personne ne semble avoir pensé qu’une description minimale des troubles aurait aidé à penser les enjeux de cette situation…

Faute de places disponibles pour hospitaliser des mineurs en souffrance psychique, c’est malheureusement sur un hôpital psychiatrique pour adulte que ce jeune autiste a été accueilli, pendant 9 jours.

Voilà donc le contexte à propos duquel Catalina Devandas Aguilar, rapporteuse de l’ONU, spécialisée en droit des personnes handicapées, a déclaré que « l’institutionnalisation de Timothée D. en milieu psychiatrique constitue une grave atteinte au droit à la liberté et sécurité de sa personne et au respect de son intégrité physique et mentale ». Elle précisait également que cette hospitalisation violait « les droits de cet adolescent à l’autonomie et à l’inclusion dans la société, à vivre au sein de sa famille et à exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant ». Quelques précisions paraissent nécessaires : nous parlons là d’un mineur, soumis à l’autorité parentale, notamment en termes de décisions concernant ses soins. A aucun moment, dans cette histoire, le droit n’a été bafoué, puisque le père, auquel la garde de l’adolescent avait été confiée, avait donné son consentement à l’hospitalisation. Mais peut-être faut-il considérer que les enfants devraient pouvoir décider par eux-mêmes de leurs orientations : dénonçons cet ordre générationnel aliénant et infantilisant ! Par ailleurs, il aurait sans doute été intéressant de préciser le degré d’autonomie effective de ce jeune autiste – était-il oralisé? Déficient Présentait-il des troubles majeurs du comportement – avant de revendiquer abstraitement son avis libre et éclairé. Il y a malheureusement des situations qui entravent la compréhension et le consentement, qui altèrent la responsabilité, qui empêchent une intégration « normalisée », et qui font violence. Et parfois, garantir la sécurité et l’intégrité d’une personne peut nécessiter d’en passer par des soins hospitaliers, n’en déplaisent à Mme Devandas Aguilar. Je rappellerais simplement qu’une hospitalisation est avant tout une décision médicale, basée sur une analyse précise de l’état de souffrance d’une personne, et ayant pour finalité la protection, le rétablissement et la restauration de l’autonomie. L’absence de places adaptées, le délitement des structures, le manque de personnel, etc., constituent évidemment une entrave conséquente par rapport à ces objectifs. Mais cela ne fait pas de l’hôpital une prison, un lieu de rétention ou de mauvais traitements….

Pourrait-on simplement avoir l’honnêteté intellectuelle de considérer que, dans certains cas, une inclusion scolaire inadaptée peut être susceptible de mettre en danger la sécurité tant individuelle que collective, et qu’elle constitue alors une perte de chances en termes de pronostic, de possibilités évolutives, et de perspectives d’autonomisation à plus long terme? Ou faut-il céder aux diktats idéologiques et légalistes qui dénient le réel en faveur de principes, aussi justes soient-ils dans l’absolu?

De surcroit, il n’est sans doute pas superflu de souligner que la préservation du secret médical est également un impératif éthique ; avant de savoir si un enfant autiste a pu s’exprimer en son nom propre – ce qui est justement une des difficultés de ce trouble…. -, il faudrait déjà garantir la confidentialité, le respect de son intimité, et ne pas prétendre s’exprimer à sa place dans l’espace public au nom de ses droits….

Je rappellerais également que la psychanalyse a justement comme perspective de restaurer une parole subjective, intégrant l’histoire et ouverte sur le devenir ; de faire émerger les désirs et les refus, en prenant en compte l’intime et la singularité ; d’appréhender le sens à travers une relation incarnée et sensible ; loin, très loin, des contraintes imposées inlassablement par les méthodes comportementalistes intensives « qui marchent »…

Avant d’accabler les soignants, et de dénoncer certains dispositifs thérapeutiques sur la base de grossiers préjugés, la moindre des décences serait déjà d’appréhender les responsabilités politiques. En 2018, le 4ème plan autisme a été doté de 344 millions d’euros, auxquels s’ajoutaient 53 millions d’euros de « crédits » issus du 3ème plan, financé à hauteur de 205 millions d’euros sur la période 2013-2017. A titre de comparaison, le plan Alzheimer avait été doté de 1,6 milliards d’euros pour la période 2008-2012…Les associations de familles d’autistes avaient alors dénoncé un « matraquage de communication » et déploré « une montagne qui a accouché d’une souris », avec des visées électoralistes évidentes. En mai 2017, l’IGAS rendait son rapport d’évaluation sur le 3ème plan autisme, critiquant notamment des modalités de gouvernance ne prévoyant pas l’association de toutes les professions de santé concernées…C’est ballot, surtout si on considère que « les parcours des familles demeurent très heurtés, dans un paysage éducatif, sanitaire, social et médico-social éclaté« . En dépit des satisfecit officiels, voici une illustration des réalisations concrètes de ce genre de planification technocratique : pour 1500 places promises aux adultes autistes, seules 267 places avaient alors été créées…

A force de concentrer les reproches et d’attiser une haine irascible à l’endroit des institutions pédopsychiatriques et médico-sociales, qui pendant longtemps furent les seules à s’occuper des autistes, on en vient à oublier de voir combien le drame absolu est celui du manque de moyen effectif à tous les niveaux ; ce qui fait qu’aujourd’hui, dans tous les lieux et structures, soit on sélectionne la « clientèle » – et ce sont toujours les familles les plus dotées en capital économique et culturel qui tirent leur épingle du jeu- , soit on crée des listes d’attentes effarantes avec des effets catastrophiques en termes de pronostic…Dans les meilleurs des cas, on peut dorénavant espérer obtenir une orientation en IME ou en HDJ dans des délais de 2 à 3 ans, à un moment où l’établissement sollicité ne correspond plus, soit du fait de l’âge de l’enfant – mince, maintenant il est adolescent – soit du fait de l’aggravation de ses troubles ou du délitement de son environnement socio-familial….

Fermons la parenthèse pour en revenir au projet de résolution de Mr Fasquelle.

« Considérant qu’en 2014, 44 % des personnes autistes étaient victimes de maltraitance, de mauvais traitements ou de carence en matière de soins », – de quoi parle-t-on exactement ? D’où sort ce chiffre ? Comment est-il établi ? A quelles réalités se réfère-t-il ? Mr Fasquelle qui revendique son attachement à la rigueur scientifique véhiculerait-il des vérités floues, équivoques, partiales, sans fondement fiable… ? Ces statistiques sont effectivement assénées par des d’associations militantes, sans aucune crédibilité épidémiologique.

« Considérant qu’il relève du rôle du Parlement de défendre les victimes de mauvaises pratiques par la réaffirmation des valeurs défendues par la représentation nationale », – on passe donc de méthodes « non consensuelles » à « mauvaises pratiques » par un habile tour de passe-passe …Quelle honnêteté intellectuelle, dénuée de tout jugement a priori ! Quant aux valeurs défendues, elles excluent sans doute l’exigence de vérité.

« Invite le Gouvernement français à réallouer en totalité les financements des prises en charge n’étant pas explicitement recommandées aux approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité » ; – en tant qu’expert autoproclamé, Mr Fasquelle aurait pu consulter les données réactualisées de la littérature internationale avant d’affirmer péremptoirement ses certitudes quant à l’efficacité et au caractère scientifiquement prouvé des « approches validées ».

« Invite le Gouvernement français à actualiser d’urgence le contenu de toutes les formations des filières professionnelles et académiques intervenant auprès des personnes autistes afin de les mettre en conformité avec l’état de la science internationale » ; – La mise en conformité des cursus par les instances étatiques…Il fut un temps où l’on appelait cela de l’embrigadement idéologique ; mais désormais, on n’inculque plus le matérialisme dialectique mais le Droit néolibéral et neuro-essentialiste.

« Invite le Gouvernement français à prendre « des mesures immédiates pour assurer que les droits des enfants autistes, en particulier leur droit à l’éducation inclusive, soient respectés, que les recommandations de la Haute Autorité de santé de 2012 soient juridiquement contraignantes pour les professionnels qui travaillent avec des enfants autistes, et que seuls les thérapies et les programmes éducatifs qui sont conformes aux recommandations de la Haute Autorité de santé soient autorisés et remboursés » comme le Comité des droits de l’enfant de l’ONU le préconise » ; –des contraintes juridiques, ce qui équivaut à rendre délictuel certaines pratiques : les cliniciens fautifs devront-ils également faire leur autocritique ou réapprendre l’orthodoxie dominante dans des camps de rééducation ?

« Invite le Gouvernement français à faire cesser immédiatement la violence institutionnelle que subissent les personnes autistes comme le demande le Comité précité : « certains parents qui s’opposent à l’institutionnalisation de leurs enfants sont intimidés, menacés, et, dans certains cas, perdent la garde de leurs enfants, qui sont institutionnalisés de force ou font l’objet d’un placement administratif » ; – on y arrive : la violence institutionnelle…Je rappelle juste que ce ne sont pas les méchants psychanalystes maltraitants qui placent certains enfants ou les séparent de leur famille, mais des juges intervenant dans un contexte de protection de l’enfance…En tant que juriste Mr Fasquelle devrait pourtant le savoir…Les parents sont toujours souverain par rapport à la prise en charge ou au mode de scolarisation de leur enfant ; ils peuvent, à tout moment, refuser telle ou telle indication thérapeutique, telle orientation, sans contrainte. Par contre, en cas de péril immédiat sur le plan médical ou social, de négligences graves, ou de suspicion étayée de maltraitance familiale, une Ordonnance de Placement Provisoire peut être ordonné par la justice, afin que le mineur en danger soit confié à une structure susceptible d’assurer provisoirement son accueil, quel que soit le statut de cette structure (judiciaire, social, médicosociale ou sanitaire), et dans l’attente d’une réévaluation. Pour mémoire, un enfant meurt tous les 5 jours en France, tué par sa famille (et là, ce sont des statistiques officielles)…

(…)

« Invite le Gouvernement français à faire systématiquement engager la responsabilité pénale des professionnels de santé qui s’opposent aux avancées scientifiques et commettent des erreurs médicales en matière d’autisme conformément à l’article L. 1142-1 du code de santé publique » ; – condamnons l’obscurantisme au nom de la Science officielle et désignons les ennemis du peuple, les hérétiques !

« Invite le Gouvernement français à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme car n’étant pas recommandées par la HAS. » – On avait compris Mr Fasquelle, vous radotez dans l’énoncé de vos fantasmes d’inquisition et de censure….

La Science, le Droit, sont donc brandis, avec une méconnaissance affligeante des réalités de terrain, des pratiques, et de la recherche, le tout sous-tendu par la volonté affirmée de faire régner le Vrai sur un mode répressif…Que d’amalgames, d’approximations, de dramatiques contre-vérités à l’égard d’authentiques scandales, à savoir le délaissement inepte des personnes autistes par manque de soins et de structures adaptées. En termes de manipulation, voici le genre de propos qui ont pu être publiés en tout impunité dans la presse à grand tirage : « La France dispose d’un système qui enferme les personnes autistes et réduit à zéro leurs chances de progresser » ; « 30% des autistes sont menacés d’un enfermement injustifié en hôpital psychiatrique ou en institution » (par curiosité, je serais vraiment intéressé de connaitre la méthodologie de l’étude qui a pu aboutir à une telle conclusion, et également de savoir dans quelles institutions il y aurait des places disponibles pour « enfermer »). Ou encore « d’après les associations, 67% des parents d’enfants « menacés d’un enfermement injustifié » déclarent avoir subi des pressions en raison de leur refus de voir des traitements inadaptés appliqués à leurs enfants » ; « En France, il y a 50% de placements abusifs. Un acharnement contre des mamans, qui elles, n’ont strictement rien à se reprocher et auxquelles on arrache leurs enfants ». Balancer des pourcentages, cela fait toujours très sérieux et tangible…Quant à savoir ce que cela sous-tend réellement…Juste pour le plaisir, une nouvelle citation de l’infatigable Hugo Horiot : « _l’Aide sociale à l’enfance, a encore frappé et le doute n’est plus permis : l’éradication de l’autisme et l’incitation au suicide des parents d’enfants autistes semble bel et bien êtr__e_ le projet de cette institution _»_ (les éducateurs et travailleurs sociaux engagés sur le terrain apprécieront…). On pourrait donc s’étonner que ne soient pas plus souvent dénoncées les gabegies de la justice des mineurs et de l’Aide Sociale à l’Enfance, institutions liberticides qui ne respectent pas le droit des parents, et qui ne sont pas validées scientifiquement. Pourquoi Mr Horiot n’a-t’il pas encore proposé que cette véritable manne financière soit enfin redistribuée en faveur des programmes inclusifs? Quant aux 98000 enfants en danger, aux 19000 victimes de maltraitance (dont 44% ont moins de 6 ans), aux 79000 enfants en situation à risque, il faut mieux ne pas en parler pour ne pas accabler les familles et les priver de leurs droits (même si 86% de ces maltraitances sont intrafamiliales, imputables à 46% aux pères, et à 25% aux mères…). Les 70.000 enfants qui resteront handicapés à vie à cause de ces mauvais traitements pourront néanmoins se réjouir du parcours inclusif que l’on pourra leur proposer.

La HAS rappelle d’ailleurs que la maltraitante est sous déclarée par les médecins en France, avec à peine 5 % des signalements provenant du secteur médical…

« Sortons du Moyen Âge dans le traitement de l’autisme pour éviter une nouvelle « crise » type Mediator » : voici le type d’harangue qu’a pu prononcer Daniel Fasquelle à la tribune pour soutenir son projet de résolution, paraphé par Laurent Wauquiez, Bernard Debré, ou Nathalie Kosciusko-Morizet…Ce qui en dit long sur le délabrement de nos instances représentatives et sur la probité de nos politiciens (en 2013, le même Daniel Fasquelle a d’ailleurs été condamné à l’unanimité par la conférence des présidents de groupe de l’Assemblée nationale après une altercation lors du débat ouvrant le droit au mariage des couples de même sexe, au cours de laquelle une huissière aurait reçu un coup de poing…la grande classe).

L’intensité du lobbying, l’incapacité à légiférer à partir de données fiables, prenant en compte les réalités du terrain et non des revendications militantes et communautaires, le détournement des faits et la fausseté du jugement, donnent une dimension quasiment paranoïaque à des débats qui devraient intéresser des experts indépendants, des acteurs connaissant vraiment le sujet (chercheurs, épidémiologiste, cliniciens, représentants des familles, etc.), et non des groupes de pression animés par des postures idéologiques ou des intérêts privés. Comme le souligne Loriane Brunessaux, « _nous vivons un moment singulier pour la démocratie, qui devrait nous aider à penser ses mutations les plus actuelles, dont l’une est le passage du paradigme « une personne : une voix » au paradigme « une association : un droit », entraînant les instances étatiques dans des errements aussi étonnants que celui d’édicter les normes du soin des personnes autistes ». Heureusement, certains parlementaires (tel le socialiste Denys Robiliard qui a invité à ne pas définir de « science officielle » ni suivre « les préconisations d’un Lyssenko au petit pied ») ou représentants du soin (tel le Pr Golse, qui a pu dénoncer une « menace grave sur la liberté des patients et le choix des familles, et même sur la simple liberté de pensée ») ont pu réagir et s’insurger face à ce dogmatisme décomplexé.

La fédération des CMPP a également dénoncé les implications préoccupantes d’une telle ingérence politique dans le domaine du soin : « _Si cette proposition était adoptée, cela ferait jurisprudence et il n’y aurait aucune raison que cette obligation ne s’étende pas à d’autres pathologies. La Haute Autorité de Santé pourrait ainsi, à l’avenir, dicter à chacun d’entre nous ce qu’il doit penser et comment il doit exercer sa profession. Il y a dans cette démarche, une mise sous tutelle des médecins par des groupes de pression ».

Pourtant, la Haute Autorité de Santé rappelle elle-même que les recommandations de bonne pratique ne sont que « des synthèses rigoureuses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné, décrites dans l’argumentaire scientifique. Elles ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient, qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations ».

Par ailleurs, il faut être bien conscient que les recommandations de la Haute Autorité de Santé, ne font pas consensus parmi les chercheurs ou les cliniciens ; elles se parent d’une scientificité qui n’a pas valeur de preuve irréfutable, ce qui a notamment pu être pointé par la revue « Prescrire » en avril 2013 ou par le Formindep, qui n’hésite pas à dénoncer une « tartufferie de l’indépendance » et des « expertises sous influence ». De fait, la Haute Autorité de Santé est une instance gouvernementale dont le directeur et les membres du collège sont nommés par le président de la République sur avis, notamment, de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Ces recommandations sont régulièrement entachées d’influences commerciales non maîtrisées et de conflits d’intérêts évidents avec le milieu pharmaceutique. De là à vouloir interdire et réprimer ce qui n’a pas été explicitement validé par cette instance étatique non indépendante…

D’ailleurs, la liste des institutions consultées par l’HAS pour émettre les recommandations de prise en charge concernant l’autisme a de quoi nous interpeller : la grande majorité est représentée par des « usagers », c’est-à-dire des associations de familles. Clientélisme et démagogie politiquement corrects… Est-ce ainsi que l’on édicte la Science officielle et que l’on définit les bonnes pratiques ?

Pourtant, comme on l’a souligné, la qualification de « non consensuelle » concernant la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle se justifiait uniquement par l’absence d’essais et de publications répondant aux critères de l’HAS, et non par la preuve de leur inefficacité. Malheureusement, les moyens et le temps nécessaires à de telles études restent indisponibles –surtout en l’absence d’investissements par des intérêts privés – et les critères d’évaluation d’une psychothérapie resteront de toute façon difficilement solubles dans le canevas de l’Evidence Based Medecine. A ce jour, quelques tentatives ont le mérite d’exister, comme l’étude INSERM des Thurin sur les approches psychothérapeutiques de l’autisme ; mais, en dépit de résultats favorables, elles ne bénéficient pas d’une ampleur assez importante et de critères méthodologiques suffisamment approfondis pour pouvoir prétendre à des critères de preuve réellement significatifs et reproductibles au niveau statistique. De façon plus globale et en dehors du contexte spécifique de l’autisme, des études suggèrent que les thérapies psychodynamiques d’inspiration analytique seraient plus efficaces sur le long terme (J. Shedler, 2010) – et donc plus rentables économiquement parlant? A ce sujet, J‌onathan Shedler souligne d’ailleurs un paradoxe : bien que l’évaluation des psychodynamic therapy soit favorable, les psychanalystes revendiquent peu ces résultats positifs, du fait notamment de leur méconnaissance des procédures d’évaluation. En tant que cliniciens, ils auraient effectivement une approche plus empirique, sans souci de validation expérimentale de leurs pratiques.

Rappelons également que, par exemple, les méthodes de communication alternatives, type PECS ou Makaton, ne bénéficient pas de « présomption d’efficacité » – ni d’ailleurs l’inclusion scolaire, les rééducations sensorimotrices, les groupes d’habileté sociale, etc…. Pourtant, ces outils sont utilisés quotidiennement dans les structures prenant en charge des enfants autistes, avec des bénéfices manifestes sur le plan de l’expérience. Faut-il les condamner à l’anathème faute des preuves?

Et quels critères d’évaluation doit-on se donner ? Des résultats quantifiés issus de questionnaires ? Des observations comportementales ? De l’imagerie cérébrale? Des descriptions cliniques intégrant un processus ? Le vécu des patients et de leurs familles ? Des recueils d’information telles que la qualité de l’intégration sociale ou scolaire, la diversification des appétences, la nature des liens intra ou extrafamiliaux ? Ces critères peuvent-ils être équivalents et comparables en fonction de l’intensité initiale des troubles ou de la spécificité des profils cliniques ?

Ceci amène à se poser la question des finalités d’une prise en charge. S’agit-il d’éteindre des symptômes, de favoriser l’autonomie, l’ouverture subjective et relationnelle, la possibilité de s’intégrer socialement en tant que citoyen ?

A travers une large étude de la littérature scientifique, Mottron conclut que les essais les plus approfondis concernant l’efficacité des méthodes comportementales intensives aboutissent à des « résultats négatifs ou peu signifiants », du moins si l’on prend comme variable d’effet l’adaptation sociale et l’autonomie. Michelle Dawson, chercheuse à Montréal, a publié en 2004 un plaidoyer sur le manque d’éthique et d’efficacité de l’intervention comportementale intensive affirmant que «la littérature sur le sujet est énorme en quantité mais pauvre en qualité scientifique ». De surcroit, J.-C. Maleval et M. Grollier soulignent que « _L’équivalent anglais de la HAS, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) a tiré dès 2013 les conséquences d’études de plus en plus concordantes en cessant de recommander les interventions comportementales intensives précoces pour la prise en charge des autistes». Dès lors, le NICE prône désormais des approches pluridisciplinaires, coordonnées par un « intervenant pivot » cherchant à maintenir l’intégration familiale, sociale et scolaire. Le recours aux thérapies comportementales peut constituer l’un des éléments de la prise en charge, mais en évitant les contraintes trop intensives, en ménageant des temps de pause, et en cherchant à intégrer les intérêts spécifiques ou les îlots de compétence de l’enfant.

De fait, toute méthode d’apprentissage qui considère nécessaire d’utiliser des renforçateurs, c’est-à-dire un conditionnement externe, fait l’hypothèse que l’activité proposée ne constitue pas en soi une motivation suffisante. On en arrive donc à une forme de forçage superficiel, sans désir ni plaisir, qui ne risque pas d’élargir le champ des appétences et de la curiosité. Ce qui interpelle à nouveau par rapport aux finalités du soin : l’objectif est-il uniquement de rendre un enfant socialement présentable, de rééduquer des fonctions déficientes, de donner l’illusion d’une normalité d’un point de vue extérieur ?

Ou s’agit-il avant tout de permettre à un enfant de s’épanouir dans son développement affectif et relationnel, en élargissant progressivement ses expériences interactives, de susciter l’émergence d’un intérêt pour le lien, pour la communication, pour les rencontres et les découvertes, de se reconnaitre comme sujet de désirs ? Face à la complexité de la réalité psychique, ne convient-il pas de promouvoir la pluralité des approches, en respectant la singularité et les spécificités de chacun ?

« C’est en ouvrant les portes aux apprentissages, tout en veillant parallèlement à diminuer les souffrances psychiques, que l’on favorise le respect des personnes autistes qui passe par la reconnaissance de leur personnalité, dans sa globalité, et de leurs difficultés spécifiques » (manifeste pour une prise en charge plurielle et éthique de l’autisme de la CIPPA).

A ce sujet, il me parait important d’ouvrir une parenthèse concernant cette sempiternelle antienne accusant la Psychanalyse de systématiquement culpabiliser les mères, en les rendant responsables des troubles de leur enfant. Déjà, la psychanalyse n’est qu’un champ disciplinaire, un corpus théorique s’appuyant sur une méthodologie clinique spécifique, ayant une histoire, des évolutions contrastées, des dissensions et des divergences, des arrière-plans institutionnels et sociaux, des instituts de formation, des revues, des personnalités, des consensus provisoires, des fondements épistémologiques plus ou moins partagés, etc. Quelle pertinence pourrait avoir un énoncé du type : la sociologie, ou l’anthropologie, dit que : « … », comme si c’était une vérité éternelle et gravée dans le marbre. Il faut donc envisager les pratiques, les actes ou les discours incarnés, qui peuvent éventuellement se référer, à un niveau ou à un autre, à la psychanalyse, sans essentialiser un secteur de connaissances et de recherches hétérogène, en mouvement, et non fixé. Certaines théorisations, ou certains agissements ont été, dans leurs soubassements tant cliniques que déontologiques, tout à fait critiquables. Certaines personnes peuvent encore tenir des propos inacceptables au nom de la psychanalyse, sans assumer leurs propres préjugés et leur dogmatisme individuel. Certes, et on peut le regretter. Mais va-t-on condamner la médecine, l’ethnologie, ou la génétique, en tant que champ disciplinaire, parce qu’au cours de leur histoire académique, des programmes ignominieux ont pu être réalisés sous leur caution « scientifique » ? Faut-il jeter le bébé et l’eau du bain ? Méfions-nous donc des généralisations hâtives, anachroniques ou caricaturales, qui nous renseignent davantage sur les projections ou fantasmes de ceux qui les énoncent que sur la réalité des pratiques : « une méthode qui fait peur, c’est une méthode à laquelle il faut renoncer. » (JL Harousseau, président de la Haute Autorité de Santé et D. Langloys, présidente de l’association Autisme France).

Cette tendance à incriminer les parents, et les mères en particulier, est un contre-sens à l’égard de toute pratique clinique authentique, compréhensive, ouverte à la souffrance et au désarroi, et n’imposant pas de jugements a priori ou de catégorisations opératoires et dénigrantes. Cette tendance à la culpabilisation est donc étrangère au sens même de la psychanalyse, même si elle a pu être véhiculée par certains de ses représentants. J. Hochmann rappelle d’ailleurs que l’on peut appréhender la dynamique d’une institution thérapeutique pour enfants en prenant en compte le degré de médisance, de mépris ou de rejet vis-à-vis des parents : plus ce degré est important, plus l’institution est en souffrance, et moins elle pourra garantir une quelconque efficacité thérapeutique. Entendre les familles, intégrer leurs doutes, leurs critiques, leurs angoisses ; essayer de tisser du sens et de l’histoire, les aider à retrouver de la confiance et de l’espoir ; aborder aussi les résistances, les douleurs et les crispations, les colères et l’amertume, mais aussi la culpabilité inévitable ; essayer de déconstruire certaines convictions mortifères, de déjouer certains schémas relationnels, etc. Tout cela fait partie intégrante du travail d’accompagnement, au-delà de tout préjugé. A contrario, les prises en charge comportementalistes intensives ont justement tendance à évacuer les parents, une fois validée l’adhésion initiale au projet – pour ne pas dire la profession de foi- qui doit être sans faille, ni ambivalence. Soit on consent, et on s’éclipse en déléguant, soit on est désigné comme réfractaire et vouer aux gémonies. Dès lors, les parents sont uniquement sommés de suivre les protocoles, et sont simplement informés de l’évaluation quantifiée des procédures. En termes de culpabilisation, les associations et les propagandistes militant pour l’exclusivité des méthodes comportementales devraient d’ailleurs commencer par balayer devant leur porte, car leurs accusations peuvent effectivement devenir très attaquantes à l’égard de familles qui n’en feraient pas assez pour « normaliser » et dresser leur enfant, qui refuseraient d’investir dans les méthodes qui marchent indubitablement, ou qui iraient jusqu’à confier leur progéniture à des praticiens non adoubés, voire hérétiques En effet, si l’on assume la revendication d’être la seule méthode conforme et efficace, que faut-il penser des parents réfractaires ? Doit-on en toute logique leur reprocher leur irresponsabilité, voire une forme de négligence maltraitante ? Faut-il les faire taire, nier leurs éventuelles critiques, quitte à mobiliser l’intimidation ? Les clouer au pilori ou les excommunier ?…

A côté des courtisans des méthodes comportementales intensives, il existe de plus en plus de militants et de représentants associatifs qui militent pour l’absence de tout soin, en revendiquant uniquement l’inclusion scolaire, à l’image de notre inénarrable Franck Ramus, source intarissable d’inspiration : « Le véritable enjeu, ce serait de transférer les montagnes d’argent englouties en pure perte dans ces structures sanitaires et médico-sociales vers l’éducation nationale, afin de donner à cette dernière les moyens nécessaires pour accueillir correctement les enfants en situation de handicap. Le problème, c’est que non seulement ces structures s’y opposent de toutes leurs forces (car ces enfants subventionnés par la sécu sont leur gagne-pain), mais que l’éducation nationale, elle non plus, n’est pas particulièrement pressée de récupérer ces moyens et les enfants qui vont avec ». Etrange… ceux qui veulent imposer cette solution ne sont pas directement impliqués, et resteront tranquillement dans leur laboratoire ou sur leur piédestal médiatique, tandis que tous les acteurs concernés concrètement rechignent…Quel aveuglement, quelle inertie, quelle irresponsabilité !

Ainsi, les enfants autistes relèveraient tous, et exclusivement, d’une intégration à l’école, avec des aménagements pédagogiques pour les apprentissages et des méthodes infaillibles pour « réguler efficacement les comportements perturbateurs », telles que celles préconisées par F. Ramus (donner des choix, proposer des récompenses, ne pas renforcer les comportements perturbateurs, pratiquer l’art de l’extinction, punir efficacement, mobiliser le conditionnement, mettre en place des experts du comportement au sein des écoles…).

Au-delà des discours, il est toujours intéressant de prendre en compte les pratiques. Voici donc deux situations illustrant certaines réalités de la politique inclusive.

Tout d’abord, le témoignage poignant d’une mère d’enfant autiste : « Sous le blason doré d’une société inclusive pour tous, en laquelle j’ai cru, se cachent des centaines d’enfants pris en charge à temps très partiel, une poignée d’heures par semaine. Les temps de prise en charge sont éclatés sur différents sites et pour des séances d’une heure. Toute l’orchestration des soins repose alors sur les familles, il devient impossible de conserver son emploi, ou alors comme moi, en conjuguant travail de nuit, et prise en charge de mon enfant le jour. »_

« Cette société inclusive pour tous sans demi-mesure est un entonnoir dans lequel doivent se glisser tous les enfants de la République et qui en sortent en quelques années autant brisés que leurs familles. »

« J’accuse la violence du slogan de l’inclusion scolaire pour tous, qui tolère nos enfants au mieux quelques heures par semaine à l’école et fait peser tout le poids sur les familles, au mépris d’accueil à temps plein articulant éducation, soin et pédagogie, tels qu’ils sont proposés dans les institutions spécialisées et les lieux de soins. »

« J’accuse la société française d’avoir gaspillé les chances de mon fils de pouvoir bénéficier, dès le diagnostic, d’une prise en charge adaptée, de qualité, à temps complet. »

Sans commentaire…

Autre exemple de certaines dérives des politiques inclusives, dénoncées par le CLE (Comité pour la Liberté d’Expression des Autiste) : le « modèle Andros ».

« Depuis des mois, la secrétaire d’État au handicap Sophie Cluzel et divers organisateurs de festivals nous vantent le « modèle Andros » pour l’emploi des adultes autistes. À tel point que celui-ci s’étale en publicité sur le site officiel gouvernemental. Son initiateur a par ailleurs reçu une légion d’honneur ». Dans l’usine Novandie d’Andros, huit personnes autistes ont effectivement été embauchées, avec un encadrement spécifique, prouvant ainsi que l’exercice d’une activité professionnelle en milieu ordinaire est possible en situation de handicap important. Cependant, les modalités de cette « inclusion » sont vivement critiquées par le CLE : « Les vies entières des personnes autistes « inclues » dans l’usine d’Andros sont placées sous le contrôle paternaliste du propriétaire de celle-ci. Ce contrôle s’étend jusqu’au sein de leur vie privée en foyer « inclusif » qui décide de leur mode de vie (jardinage, sport, médiation artistique…). Ici, les autistes non-verbaux sont « rendus rentables » sans pour autant bénéficier du fruit de leur salaire qu’on place dans les mains de leurs parents et de l’association gestionnaire « pour leur bien » ». Ainsi, les travailleurs autistes sont systémiquement maintenus à l’écart, sans aucune autonomie par rapport à l’organisation de leur activité quotidienne, ou par rapport à l’usage de leurs revenus….

« La plupart [des autistes] aiment les tâches répétitives et font preuve d’une productivité étonnante […]. Faut les exploiter ! […] Exploités, on l’est tous… Alors, s’ils veulent exister il faut les faire travailler » (J.-F. Dufresne, directeur de l’usine Novandie d’Andros)…

Comme le rappelle Romaric Godin « le néolibéralisme peut donner l’illusion de s’inscrire dans un discours social. Les institutions internationales (FMI, OCDE ou Banque Mondiale) utilisent un terme précis pour donner cette apparence sociale : celui de la croissance « inclusive ». Mais ce terme dit clairement qu’il ne s’agit là que de fournir à l’individu la capacité d’entrer sur les marchés et d’y être concurrentiel. Rien de plus. Avec l’idée que, en favorisant la marchandisation de la société, on favorise l’égalité de tous devant les marchés ».

Revenons désormais sur la question de l’inclusion scolaire. En France, le pourcentage d’enfants autistes non scolarisés reste assez difficile à évaluer, du fait notamment de la faiblesse des statistiques officielles. En fonction des sources, les taux oscillent ainsi entre 80 % et 10 % d’enfants sans inclusion à l’école. Le premier chiffre est asséné depuis des années à des fins militantes par certaines associations de parents, sans aucune précision sur le recueil de données …. Le second émane d’une recherche récente effectuée en Languedoc-Roussillon sur des enfants de moins de 5 ans. Parmi les enfants scolarisés en maternelle (petit et moyenne section), les modalités peuvent être assez différenciées : la moitié des enfants avec autisme bénéficient d’une scolarisation « mixte » (présence d’une AVS pour moitié du temps), et un quart d’entre eux ne bénéficient d’aucun accompagnement par AVS. La durée de scolarisation augmente avec l’âge chronologique et, comme on peut s’y attendre, avec les niveaux d’autonomie et de communication. À l’inverse, le temps de scolarisation se trouve réduit en cas de troubles du comportement difficiles à contenir. La situation socio-économique familiale est également un facteur déterminant : l’étendue de la scolarisation est effectivement plus faible pour les enfants dont les parents ont un statut socioéconomique modeste (déciles 1 et 2), ou appartiennent aux catégories socioprofessionnelles inférieures.

Contrairement aux allégations de certains militants, l’inclusion scolaire évolue très largement en France, pour le meilleur et pour le pire… Depuis 2006, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a plus que doublé. En 98-99, 90 000 enfants en situation de handicaps étaient scolarisés ; à la rentrée de 2017, ils étaient 321 476 dans les écoles et établissements publics et privés relevant du ministère de l’Education Nationale (hausse de 80% en 9ans). Et ces chiffres ont encore augmenté de 20 000 à la rentrée de 2018, avec notamment la création de 253 nouvelles unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), dont 38 en lycée, permettant de porter le nombre total des ULIS à 8814. Ce sont les écoles primaires publiques qui accueillent 80% des élèves en situation de handicap, dont la moitié souffre de troubles mentaux. Le plan autisme 2013-2017 a notamment permis la création de 112 unités d’enseignement (UE) en classes maternelles, chacune scolarisant sept élèves à temps plein. Ce dispositif est officiellement censé mettre en place des interventions précoces, personnalisées, globales et coordonnées telles que recommandées par la haute autorité de santé (HAS). Le 4ème plan autisme prévoit dorénavant de tripler le nombre d’Unités d’enseignement en maternelle (UEM). De nouvelles classes spécialisées doivent ainsi être ouvertes en primaire, au collège et au lycée, et une centaine de postes d’enseignants spécialisés dans l’autisme devraient être créés pour soutenir ceux qui ont des élèves autistes dans leurs classes. « Le taux de scolarisation à l’école ordinaire des enfants accompagnés par des établissements spécialisés devra être porté à 50% d’ici à 2020 et à 80% à terme » (4ème plan autisme). « De manière complémentaire, il sera veillé à ce qu’aucune offre nouvelle de prise en charge et d’accompagnement d’enfants et de jeunes en situation de handicap ne puisse être autorisée sans solution scolaire adossée à l’école ». Afin d’être vraiment certain que le secteur médico-social se transforment effectivement en plateformes de services destinées à accompagner l’inclusion scolaire, le 4ème plan prévoit également de « s’assurer, dans le cadre des nouvelles autorisations et en utilisant le levier des CPOM, que l’ensemble des établissements développent une offre de prestation en milieu ordinaire ». Gare aux réfractaires ! ! Les enfants non scolarisables – car il en existe, contrairement aux affirmations péremptoires d’idéologues dérivant sur les courants éthérés de leurs aveuglements doctrinaires – ne pourront donc plus bénéficier d’une prise en charge sur des établissements médico-sociaux…Invisibilisés, reclus chez eux, ils disparaitront tout simplement des statistiques et ne viendront plus ternir les magnifiques graphiques power point auxquels la réalité devra enfin se conformer.

Que de progrès sur le papier ! Les associations devraient revoir leur chiffre et se satisfaire enfin du virage tout inclusif prôné depuis des années. On y arrive !

De surcroit, cela fait du bien à la bourse, à l’égo et aux stratégies de communication ! En effet, l’école coûte moins chère qu’une institution spécialisée (la fameuse manne financière du médico-social…). Et les places sont disponibles tout de suite : et hop, en classe, comme tout le monde. Soyons résolument clientéliste dans nos politiques éducatives et thérapeutiques !

Franchement, c’est si beau et médiatiquement porteur qu’on peut bien oublier le fait que plusieurs enquêtes menées auprès des élèves en situation de handicap ont pu mettre en évidence leur mal-être en classe ordinaire et une meilleure estime d’eux-mêmes dans des structures spécialisées, plus adaptées à leurs besoins spécifiques.

On ne va tout de même pas sacrifier une vision idéaliste et idéologique sur l’autel de la réalité. Il suffit que, dans de nombreuses situations, l’intégration au système scolaire ordinaire puisse être tout à fait positive, pour la généraliser à outrance et l’imposer comme solution unique et magique.

L’école se débrouillera, il faut avant tout favoriser la gestion administrative du handicap ainsi que les « attendus des familles », même si certains parents sont dans le déni par rapport aux difficultés de leur enfant, ou n’ont pas l’expertise nécessaire pour évaluer les besoins spécifiques de celui-ci –oups, que n’ai-je osé suggérer…

La solution est là, simple, évidente : il suffit de transférer la manne financière du médico-social vers l’école, de transformer tous les établissements spécialisés en plateformes de services, et les équipes enseignantes n’auront plus qu’à se charger de toutes les applications pratiques de l’inclusion, du soin, des rééducations, etc. Un peu de bonne volonté, que diable !

Petit témoignage d’enseignant trouvé sur la toile : « _Ah ces personnels de l’éducation nationale ! Ils exagèrent vraiment. Comment leur faire comprendre qu’un enfant avec des troubles autistiques sévères a toute sa place dans une classe avec 31 autres enfants tout aussi dynamiques, eux même plutôt à l’étroit comme des sardines dans leur boîte, avec une ATSEM partagée avec une autre classe et une AVS, payée 630 euros par mois, (souvent une personne de 50 ans fin de carrière et sans formation) ramassant sans se lasser les caisses de jeux et les bacs de semoule renversés par terre, courant sans cesse dans les couloirs, voir à l’extérieur de l’école à la poursuite de cet enfant que le bruit et l’agitation tout à fait normale d’une classe d’enfants de 5 ans a l’air d’angoisser plus qu’autre chose. Comment faire comprendre à tout ce petit personnel que cela suffit ! que son incompétence grave et sa mauvaise volonté empêche l’intégration des enfants autistes alors même que l’éducation nationale, son employeur lui prodigue depuis 2005 soutien et réconfort dans cette tâche et ces moments difficiles. Plus particulièrement ces dernières années, en distribuant avec générosité primes et augmentations aux plus méritants et en développant une école de la bienveillance, de la confiance et de la neuroscience. Comment lui faire admettre que ces enfants bénéficient par ailleurs de structures de soins nombreuses et variées permettant aux parents de faire un réel choix thérapeutique tandis que lui, personnel de l’éducation nationale dont la mission est d’instruire tous les enfants traîne les pieds ! Je propose une chose aux donneurs de leçons : venir dans une classe (et pas une heure avec une délégation ministérielle) mais plusieurs jours pour observer voir gérer une classe de 30 enfants dans ces conditions. »

Je vous laisse consulter les commentaires à ce type de propos : cela vaut le détour pour constater le niveau d’acrimonie et de déni qui se déploie dès que l’on ose émettre un doute à l’égard des dogmes inclusifs.

C’est vrai qu’il y a certaines réalités que l’on préfère masquer, le plus simple étant alors de les désincarner. Comme le souligne Julia Slan dans « Marianne », « _cyniquement, le leurre de la formation dématérialisée avec consulting et e-learning est de nouveau utilisé pour masquer l’abandon des enseignants face à des missions toujours plus lourdes et compliquées. D’une part, ce ne sera que depuis leur bureau que les PIAL (Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés) et les enseignants référents, seuls personnels réellement formés à la prise en charge des E.S.H., superviseront les inclusions. D’autre part, la technologie et divers guides 2.0 seront supposés compenser le manque de formation et de temps d’échange des équipes éducatives. Ainsi, Sophie Cluzel assure béate que « la plateforme de ressources numériques sera suffisante pour leur donner les clés de lecture pour les adaptations »…. »_

L’inclusion scolaire pour tous, il faut y insister, est un rêve bureaucratique, qui conduira à alourdir la charge des parents d’enfants autistes présentant des troubles sévères, faute de lieux pour les accueillir. »

Puisqu’il faut bien conclure, je laisserais la parole à Olivier Brisson : « _la vraie question reste celle-ci : que fait-on pour les enfants pour lesquels cette inclusion est trop violente ? On attaque l’institution, on écrit à l’académie, on accepte de n’emmener l’enfant qu’une heure trente par jour pour garder sa place en école ordinaire ? Ou on fait enfin le choix politique de soutenir la création de structures pédagogiques de qualité et au nombre de places cohérentes avec la réalité des besoins, respectueuses de l’agenda développemental spécifique de ces enfants tout en étant exigeantes quant aux savoirs à acquérir ».

« La véritable inclusion sociale aura lieu le jour où tout le monde pourra bénéficier d’un espace où les apprentissages offriront les outils nécessaires à une émancipation personnelle et une liberté d’exister avec son style, ses spécificités et même ses défauts. »

« En définitive, la véritable vision passéiste c’est celle qui impose ses vues sans doutes aucun, persuadé qu’elle détient la vérité, c’est celle qui ne laisse pas de chemins de traverses et de prise à la créativité, au jeu nécessaire pour que certains rouages restent mobiles. C’est celle qui cherche religion dans la science en oubliant qu’elle-même se sait fragile. C’est celle qui sait, mieux même parfois que les personnes concernés dans leur être, c’est celle qui refuse d’admettre qu’il n’y a pas de solution idéale ou de protocole à la complexe question du développement de l’être humain. C’est celle qui veut imposer au nom de la prise en compte des singularités une solution prête à porter là où seul le sur-mesure sied au sujet ».

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