La bourde de Hollande

Le système s’articule sur une série d’interdits. Ce n’est pas un conflit « colonial ». À Gaza, il n’y a pas de « blocus ». Et, en face, ce sont des « terroristes ».

Denis Sieffert  • 16 juillet 2014 abonné·es
La bourde de Hollande

Le langage diplomatique est pourtant assez riche en litotes et autres circonlocutions pour qu’un homme politique d’expérience ne trébuche pas sur un dossier aussi ancien – hélas – que le conflit israélo-palestinien. Trébucher, c’est pourtant ce qui est arrivé, le 9 juillet, à François Hollande. Au soir des premiers bombardements sur Gaza, il a cru devoir assurer de sa « solidarité » le Premier ministre israélien, sans un mot pour les civils palestiniens morts le jour même. Faut-il que le sujet soit chez lui passionnel pour qu’il en oublie ainsi « la position traditionnelle de la France » et les obligations de sa fonction ? Le trouble a été perceptible une seconde fois, lundi, lorsque le journaliste Gilles Bouleau, préposé à l’interview du 14 Juillet, l’a interrogé sur ce qu’il faut bien appeler une énorme bourde. « Ce que j’ai dit… », a répondu François Hollande, c’est qu’Israël « a droit à sa sécurité » et que, « en même temps », il doit faire preuve « de retenue et de réserve ».

L’ennui, c’est que ce n’est pas ce qu’il a dit le 9 juillet, se contentant d’affirmer son soutien à Benyamin Netanyahou, alors que nous en étions déjà à 50 morts à Gaza… Devant nos deux confrères de la télévision, le président de la République s’est ensuite lancé dans une reconstitution hasardeuse des événements, peu conforme à la chronologie (voir p. 6 et 7). La presse, dans sa majorité, n’a évidemment pas manqué de relever le parti pris de François Hollande en faveur d’Israël, mais elle a rapidement passé l’éponge lorsque le Président a enfin songé, 24 heures plus tard, à appeler Mahmoud Abbas. Indulgents que nous sommes ! Car on a beau lire et relire le communiqué publié après l’entretien téléphonique avec le Président palestinien, on ne trouve toujours pas trace de la moindre critique à l’encontre d’Israël. Tout juste une vague condamnation de « l’escalade ». Dans cette affaire, ce n’est d’ailleurs pas tant le tropisme pro-israélien qui étonne que son expression béate. Car, sur le fond, François Hollande est l’héritier de la vieille tradition coloniale SFIO. Pas plus que Guy Mollet pendant la bataille d’Alger, il ne semble percevoir le caractère colonial du conflit. C’est pour lui une histoire de démocratie aux prises avec des « terroristes », nés terroristes, et qui le demeurent de pères en fils. Cette représentation d’un peuple sans histoire, qui vivrait à Gaza dans l’abondance, mais qui aurait la sale manie d’envoyer des roquettes sur le voisin, n’est-elle pas précisément le produit de ce qu’on appelle l’inconscient colonial ? En attendant, François Hollande a plongé dans l’embarras le Quai d’Orsay. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. On se souvient de sa visite en Israël, en novembre dernier, et de la fameuse vidéo dans laquelle on le voyait déclarer « son amour », non seulement pour Israël – et pourquoi pas ? – mais aussi pour ses « dirigeants ». On se souvient encore de ses atermoiements lorsqu’il s’est agi d’accorder à la Palestine le statut d’observateur à l’ONU, en novembre 2012. C’est Laurent Fabius qui avait finalement imposé le vote positif de la France.

Ce parti pris qui resurgit à chaque occasion fait aussi des dégâts dans notre société. Il aggrave ce sentiment d’amertume et de rage chez tous ceux qui, chez nous, sont sensibles au sort des Palestiniens. Il ne peut qu’encourager – sans jamais les excuser – les débordements, comme ceux qui ont émaillé la fin de la manifestation de dimanche, à Paris. Il semble bien cependant que le récit médiatique officiel des incidents n’ait pas grand-chose à voir avec la réalité [^2]. François Hollande devrait se souvenir de l’exemple de François Mitterrand, estampillé lui aussi « ami d’Israël », mais qui, fort de ce label, avait reçu Yasser Arafat comme un chef d’État. C’était en mai 1989, et nous étions pourtant en pleine intifada. Cette fois, ce n’est pas de Paris que viendra un geste susceptible de faire bouger les lignes. Pas de Washington non plus. L’administration Obama s’est surpassée elle aussi. Alors qu’il y avait déjà une trentaine de morts à Gaza, la porte-parole de la Maison Blanche, Jennifer Psaki, a indiqué qu’aucun pays « ne peut accepter de rester les bras croisés lorsque des roquettes lancées par une organisation terroriste tombent sur son territoire et touchent des civils innocents ». Le « mot à mot » officiel israélien. Dans ce registre, Angela Merkel et David Cameron n’ont pas été en reste non plus. Comme toujours dans cet interminable conflit, la « communauté internationale » a choisi son camp, au risque de la plus détestable mauvaise foi. Ce qui est choquant, c’est que la France, de De Gaulle à Chirac, en passant par Giscard et Mitterrand, avait toujours fait entendre une musique différente.

Or, voilà que Paris fait désormais chorus avec Washington. Sarkozy avait commencé ; Hollande y ajoute une part d’affect. Ici et là, c’est le discours du Likoud que l’on nous sert. Ce n’est d’ailleurs pas la droite israélienne qui l’a inventé. C’est une constante de toute politique coloniale. Il s’agit de rendre le conflit « innommable ». Souvenons-nous que la guerre d’indépendance algérienne n’a jamais été rien d’autre que des « événements ». Le système s’articule sur une série d’interdits. Ce n’est pas un conflit « colonial ». À Gaza, il n’y a pas de « blocus ». Et, en face, ce sont des « terroristes ». Pas question par conséquent de discuter avec eux. Avec cela, vous pouvez peut-être obtenir un cessez-le-feu, mais certainement pas la paix.

[^2]: Voir notre écho

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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