Dans le rétro

Un roman télévisuel sur les années 1950, décennie turbulente, tout en contrastes.

Jean-Claude Renard  • 24 janvier 2007 abonné·es

Ça commence par un bal musette, avec la voix chevrotante de Bourvil. La Libération a été l’occasion d’une brève période d’euphorie et d’illusion lyrique. 1945, « année zéro », dit-on, qui avait révélé « le corps bouleversé de la France » , selon l’expression du général de Gaulle. Ce constat ouvre la « parenthèse » mythologique des années 1950, dont Alain Moreau et Patrick Cabouat ont fait un « roman » télévisuel. Années de contrastes, tragiques, berceuses, opulentes…

D’abord, le tableau de l’immédiat après-guerre est franchement sombre : paupérisation, conditions sanitaires déplorables, villes en ruines, ravitaillement défaillant. Voilà qui donne des envies d’appétence, dare-dare. On répare, on reconstruit, on rebâtit, redresse. La France s’inscrit dans le « re ». Et veut (ré)inventer la vie. Il paraît alors que les Français se (re)mettent à faire l’amour. Ça branche-gourdine, et, forcément, les enfants naissent (presque trois par femme).

Bon, côté amour, pas de mal à ça. Mais surtout, au lendemain de la guerre, rares sont les mois où le passé récent n’éclate pas à la gueule du Français, même moyen. On juge, condamne, exécute. À hue à dia. Puis de Gaulle décanille, le monde se partage en deux blocs, le rideau de fer tombe. Cette France des années 1950, c’est encore une majorité agricole (un Français sur quatre est paysan, comme en 1850). L’heure de l’exode approche, et au deuil de la terre succèdera celui de la grandeur, la fin des colonies. La télévision balbutiante, d’emblée contrôlée par le ministère de l’Information, se veut populaire ; le tiercé est le nouvel opium des masses ; et, après la Grande Guerre du grand-père, la Drôle de guerre du père, survient en Algérie la sale guerre du rejeton, qui ne dit même pas son nom…

Voilà donc tout le roman des années 1950. Foisonnant. La Quatrième République s’empêtre dans les tringles des rivalités de partis, les grèves, les changements de gouvernement (140 ministres en sept ans de présidence Auriol !), Marcel Cerdan répond aux rêves de fureur et de lumière (Cerdan foudroyant d’un ultime crochet du gauche Tony Zale pour un titre de champion du monde des poids moyens). Et naissent les « sans-logis », apparaît un certain abbé (nommé Pierre) sur le petit écran, puis tout s’accélère, s’électrifie. On ne gagne plus sa croûte, mais son bifteck. Nuance de taille. C’est le moment de la Complainte du progrès de Boris Vian (1956), avec son frigidaire et « une tourniquette à faire la vinaigrette » . De quoi voir Miles Davis improviser sur les images d’un Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, de quoi encore voir (ou lire) la clique sartrienne face aux Hussards, s’émanciper Robbe-Grillet, Duras et Butor loin d’une littérature Paul Bourget plus qu’à moitié (Céline est étrangement absent du tableau, quand pourtant Féerie pour une autre fois (1954) et D’un château l’autre (1957) assoient définitivement un style toujours influent).

Mais, au-delà de la littérature, gavé d’archives et débarrassé de toute nostalgie, le documentaire compte ses piqûres de rappel, son lot d’échos, ses jeux de miroir bien actuels. Le verbe raciste de Poujade cinglant le sang de Mendès-France, les sans-logis, une consommation tous azimuts, une Amérique triomphante, en tout cas impérialiste. C’est aussi dans cette décennie que se fera le lit de Mai 68…

Médias
Temps de lecture : 3 minutes