En finir avec l’urgence

Le plan Borloo annonce un programme de stabilisation et de réinsertion des sans-logis. Mais les acteurs de terrain s’interrogent sur les moyens qui seront mis en œuvre.

Christine Tréguier  • 1 février 2007 abonné·es
En finir avec l’urgence

Dans son rapport 2007 sur le mal-logement, la Fondation Abbé-Pierre alerte sur la prolifération de l’habitat improvisé et des si bien nommés « abris de fortune » . Elle pointe également le décalage flagrant entre la politique du logement mise en place et la réalité du terrain. Ce décalage s’applique-t-il aussi au plan d’action négocié début janvier entre le ministère du Logement et les Enfants de Don Quichotte (EDQ) ? Peut-être, si l’on en croit la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (<www.fnars.org>), qui connaît bien le fonctionnement et les besoins des centres d’accueil d’urgence et des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Dans un communiqué concernant le plan d’action Borloo/Vautrin, cette association déplore qu’il ait été « élaboré encore une fois dans la précipitation et une absence de méthode » , sans « stratégie concertée » . Elle insiste sur la nécessité de procéder de toute urgence à un « inventaire des mesures et dispositifs » et à « un état des lieux rigoureux » .

Le programme d’action aligne fièrement des chiffres : 27 100 nouvelles places créées en 2007, avec des logements pour les bons élèves de la réinsertion, 4 500 nouvelles places en CHRS, 5 000 places de stabilisation et 3 000 places d’urgence généraliste maintenues pour les plus « à la rue », 1 600 places en logis-relais ou maison-relais, etc. C’est peu au regard des besoins, mais beaucoup au regard des moyens affectés, même si, avec 70 millions d’euros, on est loin du « plan Marshall » que réclamaient les EDQ. La Fnars estime que cette somme ne fait que combler la différence chronique entre le budget voté chaque année pour l’hébergement d’urgence et le budget réellement exécuté. Ainsi, en 2006, le budget voté était de 150 millions d’euros, soit inférieur de 67 millions d’euros aux dépenses 2005 : 217 millions d’euros.

S’agissant des SDF, la question n’est pas seulement de « gérer » les présents, mais aussi de prévoir les nouveaux venus. Dans une ville comme Troyes, à 200 kilomètres de Paris, on s’interroge sur ceux-ci : les arrivants de la capitale, en famille parfois, sont plus nombreux depuis quelque temps. « On a connu le même problème en 2001 pour les demandeurs d’asile , se souvient Élisabeth Philippon, adjointe en charge des affaires sociales. On les envoyait en province, faute de place à Paris. » Troyes a la réputation de bien accueillir les démunis. En 1995, le réseau Cadorre (Commission d’admission, d’orientation, de régulation et d’évaluation) est mis en place. Piloté par le centre municipal d’action sociale (CMAS), il réunit les représentants des CHRS locaux mais aussi la Direction départementale de l’équipement (DDE), l’hôpital de Troyes, la Croix-Rouge et le Secours catholique. Sa mission : améliorer le fonctionnement collectif du dispositif d’urgence, de l’accueil au 115 à la gestion des places et des parcours des personnes. Ce qui s’appelle faire de la « stabilisation » sans le savoir. Cadorre offre 42 places en urgence et 252 places en réinsertion (dans six CHRS), mais aussi un accueil ouvert à toute heure du jour et de la nuit, une cantine, un vestiaire, un accueil médicalisé, une permanence dentaire, une unité mobile infirmière de rue/psychologue et le Kangoo vert, un Samu social à la mode troyenne, qui n’attend pas les alertes « grand froid » pour arpenter les rues.

Mais, à Troyes comme ailleurs, les hébergements atteignent un taux d’occupation maximum, et le personnel est en sous-effectif. Élisabeth Philippon reste pourtant optimiste : « Avec des moyens supplémentaires et le maillage de notre structure, nous sommes en mesure de ne laisser personne à la rue et de suivre chacun pour qu’il retrouve, sinon un travail, car tous ne se réinsèrent pas, la dignité et une qualité de vie . »

Restent quand même quelques questions : comment faire si les logements ne suivent pas et que les places de réinsertion ne se libèrent pas ? Faudra-t-il créer des listes d’attente ? En fonction de quelles priorités ? Si la stabilisation se substitue à l’urgence, ne va-t-on pas, à court terme, manquer de places d’urgence ? Un état des lieux semble en effet impératif pour ne pas, une fois encore, gaspiller des fonds à poser un sparadrap sur une jambe cassée.

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