La guerre du Liban dans les livres

Quatre ouvrages de genres différents, mais tous
d’un grand intérêt, reviennent sur la guerre du mois d’août dernier.

Denis Sieffert  • 22 février 2007 abonné·es

Les guerres et les révolutions inscrivent souvent dans l’histoire leur durée. Il y eut les « dix jours » qui ébranlèrent le monde, les « cinquante-cinq » jours de Pékin, la « guerre des six jours », voici celle des « trente-trois jours ». Comme s’il fallait s’étonner chaque fois que tant de bouleversements aient pu s’accomplir en si peu de temps. Trois des quatre ouvrages parus au cours des dernières semaines à propos de la guerre du Liban mettent en évidence, dans leur titre, le contraste entre sa relative brièveté et ses effets dévastateurs. Deux d’entre eux, celui du pacifiste israélien Uri Avnery et de la journaliste à Libération , Annette Lévy-Willard, relèvent de la chronique. Leurs auteurs ont réuni des textes écrits à chaud alors même que l’événement se poursuivait. Un mot, une anecdote, en marge de la guerre, ont parfois retenu leur attention, plus que la guerre elle-même. Ainsi, cette observation d’Uri Avnery, qui note le 26 août 2006 : « Dans son dernier discours, qui a irrité tant de gens, le Président syrien Bashar al Assad a prononcé une phrase qui mérite attention : « Chaque nouvelle génération arabe déteste Israël plus que la génération précédente. » » « De tout ce qui a été dit sur la seconde guerre du Liban, conclut Avnery, ces mots sont peut-être les plus importants. Le principal produit de cette guerre est la haine. » À sa manière, Annette Lévy-Willard montre surtout le trouble qui gagne Israël, et décrit la migration du nord vers le sud de ceux qui ont les moyens de fuir les missiles du Hezbollah, tandis que les autres s’enferment dans des caves. Elle pointe aussi l’aveuglement du Premier ministre, Ehud Olmert, incapable d’entendre les conseils lucides de celle qui est devenue sa rivale au sein de son propre parti, Tzipi Livni, qui préconisa de faire avant la guerre ce qu’on se résolut à faire après : c’est-à-dire déployer une force internationale dans la zone de contact.

À l’opposé, les deux autres ouvrages ont pris du champ par rapport à l’événement. Ils remontent loin en amont pour nous proposer des analyses l’un et l’autre de grande qualité. Figure du mouvement antiguerre, enseignant, originaire du Liban, Gilbert Achcar fait cause commune avec notre ami Michel Warschawski, dirigeant du Centre d’information alternative de Jérusalem, pour nous éclairer à contre-courant du récit dominant. Leur grand mérite est de réinscrire « la guerre des 33 jours » dans un contexte infiniment plus vaste qui est celui de la « guerre mondiale » de Washington. Ils citent à l’appui de leur thèse cette phrase de l’éditorialiste du Washington Post , Charles Krauthammer : le Hezbollah « est aujourd’hui le fer de lance d’un Iran assoiffé de nucléaire […] *, l’Amérique veut, l’Amérique a besoin d’une défaite décisive du Hezbollah. » « Or,* ajoute Krauthammer, il y a un débat virulent aux États-Unis sur la question de savoir si Israël, dans le monde de l’après-11 Septembre, est un atout pour les États-Unis ou, au contraire, un fardeau » . Et les deux auteurs montrent bien comment la « contribution » israélienne ne s’arrête pas à la guerre, mais à son explication qui renvoie toujours, dans la presse israélienne, et parmi les intellectuels, à un choc des cultures et des civilisations. Un livre clair et incisif, indispensable pour qui veut comprendre les ressorts profonds du conflit.

C’est aussi le cas de l’ouvrage collectif dirigé par Franck Mermier et Elizabeth Picard, Liban, une guerre de 33 jours . Il s’agit là d’un véritable livre de références écrit par quelques-uns des meilleurs spécialistes de la région, parmi lesquels Alain Dieckhoff, Hanna Jaber, Henry Laurens et Olivier Roy. Les enjeux israélo-libanais (« la terre, l’eau, la sécurité ») et internationaux sont disséqués. Là encore, la guerre est replacée dans le contexte plus vaste de la stratégie américaine. Ici, comme dans l’ouvrage précédent, on envisage la nature et la place du Hezbollah dans sa complexité, et non plus seulement comme une organisation terroriste à la solde de l’Iran… Et ce que Christophe Ayad et Caroline Donati appellent la « rupture de la solidarité arabe ». On y découvre que le Hezbollah est presque aussi diabolisé au Caire et à Riyad qu’il l’est en Israël. L’antagonisme chiites-sunnites, activé par les États-Unis, est l’une des données nouvelles de cette guerre meurtrière… de 33 jours.

Idées
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