Quimper et Veolia sous pression

Des habitants du quartier du Braden vont en justice contre la ville et le distributeur d’eau, Veolia : des conduites éclatent en raison d’une pression excessive, et des fuites entraînent des factures astronomiques.

Patrick Piro  • 15 février 2007 abonné·es

Encore sept nouveaux témoignages, début février : au Braden, quartier verdoyant perché sur un coteau sud de l’Odet, à Quimper, des conduites d’eau éclatent, dans les jardins, sous les terrasses et les dalles des habitations. Près de 130 sinistres recensés depuis mai 2004. Le compteur de Yannick Pouliquen a affiché la consommation astronomique de 2 100 m3 [^2]. Dans un immeuble, elle est montée à 4 000 m3.

Quimper, comme de nombreuses villes en France, a confié depuis 1986 la distribution de l’eau à un délégataire, la Compagnie générale des eaux (CGE, aujourd’hui Veolia). Bien qu’avertie des incidents par plusieurs réclamations, elle envoie quelques dizaines de factures extrêmement salées au Braden. Certaines approchent 6 000 euros… Hors frais de réparation. Seul garde-fou, contractuel : en cas de fuite, le montant est plafonné au double de la moyenne précédemment constatée. À condition d’en faire la demande.

« Ce n’est pas de notre responsabilité » , affirme la compagnie : les éclatements ont lieu « en aval » du compteur, dans le domaine privatif. Mais la pression de l’eau délivrée par la CGE n’était-elle pas excessive ? Elle a été mesurée jusqu’à 10 bars chez un particulier, alors que les équipements ménagers sont généralement prévus pour fonctionner à 3 bars. Et pourquoi une telle « épidémie » ?

Illustration - Quimper et Veolia sous pression

Édouard Ryckeboer, vice-président de l’association des habitants du Braden. DR.

Le Braden est jeune – les premières habitations ont été construites en 1980. Le quartier n’en possède pas moins une solide réputation d’agitateur, le plus à gauche d’une ville repassée à droite en 2001. L’Association des habitants du Braden, forte de 140 adhérents, se saisit de l’affaire et ne la lâchera plus. Premier réflexe : saisir la ville, afin qu’elle intervienne auprès de son délégataire. Une réunion est organisée en octobre 2004, elle restera dans les mémoires : les habitants se heurtent à un front commun d’élus municipaux et de cadres de la CGE, symbolisé par un jeu de mots involontaire de l’adjointe en charge du dossier : « Nous ne céderons pas à la pression. » La ville ne se départira jamais de sa position, refusant d’assumer une quelconque responsabilité, et encore moins d’accéder aux demandes d’indemnisation des habitants, ce qui constituerait, à son sens, une « rupture d’équité » envers les autres Quimpérois. « Nous avons été profondément choqués par cette collusion entre la ville et la CGE » , s’indigne Claude Franc, qui ne cache pourtant pas ses sympathies pour la municipalité UMP-UDF.

Depuis deux ans et demi, l’association, laissée à elle-même, a réalisé un minutieux travail d’enquête. Collecte porte-à-porte des témoignages : dans certaines ruelles, près d’une habitation sur deux a été sinistrée ; investigations auprès des professionnels : ils affirment que les matériaux utilisés pour les raccordements au réseau, à l’époque des constructions, étaient bien conformes aux contraintes techniques ; étude du contrat de délégation : dans d’autres communes bretonnes (comme Landernau ou Châteaugiron), la CGE est tenue d’installer gratuitement des « réducteurs de pression » pour protéger les installations des particuliers ­ c’est aux frais de ces derniers à Quimper, etc.

Régulièrement interpellée, la ville finit par nommer un expert, qui rend en novembre 2005 un rapport très instructif : le Braden a connu proportionnellement trois fois plus de fuites d’eau que le reste de la ville, le réseau y subit d’importantes variations de pression, et un vieux « surpresseur », qui pulse l’eau jusqu’au Braden et au-dessus, n’a pas été remplacé depuis 1965.

La ville, fidèle à sa ligne, retient que rien ne désigne sa responsabilité. Idem pour la CGE. « Les raccordements installés chez les particuliers sont sous-dimensionnés, du type « tuyau d’arrosage » , résume Alexandre Le Ster, directeur de l’agence locale de la CGE, au vu du rapport de ses techniciens. Ils auraient dû tenir au moins 13 bars de pression. » À l’association, on s’étrangle : « La CGE ne veut pas reconnaître qu’elle ne maîtrise pas ses pressions ! »

Mais pour Édouard Ryckeboer, son vice-président, la bataille technique n’épuise pas la polémique : « Nous avons obtenu le règlement de service, qui fixe les obligations CGE-Veolia et de la ville. Plusieurs articles ne sont pas respectés, et d’abord celui qui obligeait à faire distribuer ce document à tous les clients dès 2001 ! » Il stipule aussi que les variations de pression chez les clients doivent rester faibles, qu’ils doivent en être avertis, que les dégâts qui en résulteraient chez eux sont à la charge du distributeur… et que l’application de ce règlement est de la responsabilité du maire.

En octobre dernier, ce dernier oppose une ultime fin de non-recevoir à la demande d’une solution à l’amiable de l’association. Qui se décide à saisir le tribunal de grande instance, avec l’appui de l’association de défense des consommateurs CLCV.

La ville et la CGE se disent satisfaits de voir la justice en charge de déterminer les responsabilités. En apparence ? Car l’affaire déborde désormais le cadre d’une algarade de quartier. L’opposition municipale a interpellé le PDG de Veolia-environnement, une réunion avec le responsable régional de l’entreprise a déjà eu lieu. Le médiateur de la République est saisi. Et la droite quimpéroise laisse paraître quelques inquiétudes. « Nous avons commis une erreur d’appréciation sur ce dossier , reconnaît Allain Le Roux, adjoint du quartier, mais certains ont cherché à le politiser… » Visé : Édouard Ryckeboer, militant Alternatif, qui a des ambitions municipales. « J’aurais préféré qu’on n’en arrive pas là, que des réducteurs de pression soient payés aux habitants , convient également André Guénéguan, adjoint à l’urbanisme. Si nous dirigeons encore la ville, nous serons plus vigilants lors de la négociation du prochain contrat de délégation, pour 2011. »

S’il en est un jour question. « Car la « petite » affaire du Braden a mis en lumière les dysfonctionnements de la relation de la ville avec son prestataire » , souligne Daniel Le Bigot, élu Vert de l’opposition. Ainsi est remonté à la surface le rapport de la chambre régionale des comptes qui avait sérieusement tancé la ville pour le contrat signé en 1986 pour quinze ans avec la CGE. Le maire actuel, l’UMP Alain Gérard, était alors premier adjoint. Entre 1997 et 2000, lit-on, « il a permis au délégataire de s’octroyer une rémunération supplémentaire » allant jusqu’à près de 8 millions d’euros, « répercutée […] sur le prix du m3 d’eau assainie ».

En 2001, à échéance du contrat, la municipalité ­ alors PS-PC-Verts ­ avait lancé un nouvel appel d’offre. « Les écologistes défendaient un retour en régie municipale » , rappelle Daniel Le Bigot. Mais la CGE l’avait finalement emporté en consentant une réduction de 20 % de ses tarifs. « Mais pourquoi n’avoir pas exigé de plus une compensation pour les prélèvements indus, qui ont coûté, de 1997 à 2000, jusqu’à 500 euros par abonné quimpérois ? » , interroge Édouard Ryckeboer. Qui envisage, comme Lille et Bordeaux l’ont fait, de porter également ce cas devant les tribunaux.

[^2]: Moyenne : une cinquantaine de m3 par trimestre pour quatre personnes.

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes

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