Clémentine Autain, Keny Arkana : attention pasionarias !

À l’occasion de la Journée des femmes,
nous avons demandé à la rappeuse Keny Arkana et à Clémentine Autain, l’animatrice des collectifs antilibéraux, de nous parler de leur engagement.

(Retrouvez les extraits sonores de l’interview de Keny Arkana sur www.pour-politis.org)

Clotilde Monteiro  • 8 mars 2007 abonné·es
Clémentine Autain, Keny Arkana : attention pasionarias !

L’une chante, l’autre pas. Elles ont à peine plus de cinquante ans à elles deux, et leur point commun est l’engagement. L’une a choisi le rap, l’autre le féminisme et la politique. Keny Arkana et Clémentine Autain veulent changer le monde et s’y emploient en militant. Le prétexte du 8 mars, Journée des femmes, était donc tout trouvé pour les réunir dans ces colonnes. Ces deux femmes incarnent la relève car elles portent sur leurs jeunes épaules l’espoir de leur génération. Elles se battent pour les mêmes idées de partage des richesses et de lutte contre toutes les oppressions, mais empruntent des chemins bien distincts pour les faire avancer.

Illustration - Clémentine Autain, Keny Arkana : attention pasionarias !

AFP/Joel Saget

Clémentine Autain découvre l’engagement en militant à l’Unef à la fac. Sa rencontre avec le mouvement féministe est déterminante. Celui-ci l’aidera à se reconstruire après une agression subie à l’âge de 21 ans. En 1997, elle crée, avec sa bande, l’association Mix-Cité, « pour reformuler un féminisme à la sauce jeune », comme elle le déclarait récemment dans le Monde .

Sa détermination et son bagou plein de fraîcheur ont convaincu Bertrand Delanoë de lui confier, à 27 ans, un poste d’adjointe à la jeunesse à la mairie de Paris. Malgré sa fonction dans l’équipe du maire socialiste, cette apparentée communiste, codirectrice du mensuel Regards , reste résolument à gauche de la gauche et s’engage dans la dynamique unitaire issue du « non » au référendum.

Si l’ex-candidate à la candidature des collectifs antilibéraux fait désormais partie du paysage, Keny Arkana est encore une inconnue pour les non-initiés.

Illustration - Clémentine Autain, Keny Arkana : attention pasionarias !

Dimitri Coste

Mais le public de la planète hip-hop n’a pas attendu que d’autres lui tressent des couronnes pour la reconnaître. Sa parole radicale aux accents méridionaux a su se faire entendre par-delà les tours des quartiers de Marseille, où son audience est énorme. D’abord sur la Toile, où elle revendique cette « sale envie de tout cramer ». Sa chanson « la Rage » s’est répandue comme une traînée de nitroglycérine.

Désormais, ses textes insurrectionnels passent aussi en boucle sur la FM et sur MTV.

À son corps défendant. Car cette fille à la silhouette gracile, aux manières de garçon manqué attrapées dans la rue, vomit le système et refuse de lui appartenir. « J’avais exigé de ma maison de disques qu’elle n’envoie pas mon album à Skyrock [^2]. Il faut croire qu’ils sont allés l’acheter. » Keny Arkana nous a confié avoir refusé de participer sur cette même radio à l’émission « Planète Rap », le tremplin incontournable de tout rappeur qui sort un album. Celle qui se décrit comme une « contestataire qui fait du rap » préfère « rester en bas », refuse de se bercer d’illusions et se fiche pas mal de sa carrière. Cette pasionaria du rap garde le cap en évitant toute compromission avec un « système capitaliste » qu’elle ne cesse de dénoncer. Elle vient d’ailleurs d’annuler sa tournée de concerts, au risque de décevoir ses fans, pour se consacrer à son Appel aux sans-voix. Une série de forums initiés par son collectif militant, LaRage du peuple, au lendemain des révoltes des banlieues.

Keny Arkana est, selon son expression, « une enfant de foyer » marquée au fer rouge par un passé disciplinaire. Très tôt, elle devient une adepte de la fugue pour esquiver cet univers coercitif. Sa chanson « Eh ! connard » est comme un poing serré balancé à la face de ceux qui, à l’intérieur de l’institution, martyrisent ces enfances orphelines. Dès l’âge de dix ans, Keny Arkana écoute le rap contestataire de Public Enemy ou de NTM et ressent le besoin d’exprimer à son tour sa révolte, stylo en main. Deux ans plus tard, Keny Arkana arrête l’école et découvre la dure loi de la rue. Elle devient une sans-logis à Marseille, et se met au rap. Sa conscience politique, elle se la forge seule. Elle saura faire son miel des rencontres avec des militants argentins écoutés dans des conférences au moment de la banqueroute de leur pays. Si sa mère est française, les origines argentines de son père, qu’elle ne connaît pas, la poussent à aller voir là-bas ce qui se passe. Ces voyages l’initient à la lutte politique et spirituelle qui caractérise le continent sud-américain. Keny Arkana s’éveille à l’altermondialisme en fréquentant les forums sociaux. Pour cette militante résolue, il y a urgence à s’auto-organiser.Elle a « la conscience aiguë d’être de la dernière génération à pouvoir faire quelque chose ».

[^2]: La radio du rap la plus écoutée de la bande FM.

Société
Temps de lecture : 4 minutes

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