La vérité sur la dette !

Liêm Hoang-Ngoc  • 12 avril 2007 abonné·es

La dette publique est devenue l’alibi du discours prônant la « réforme » de l’État social jacobin, dont les dépenses « improductives » sont accusées de peser sur les générations futures. Ce discours s’accompagne en général d’un plaidoyer en faveur de la baisse des « impôts et des charges », présumée nécessaire pour affronter la concurrence fiscale du monde « moderne ».

La thèse officielle est soutenue par le rapport Pébereau. La France vivrait à crédit. La dette augmente de 6 % par an depuis vingt-cinq ans, alors que la production nationale en volume ne s’accroît que de 2 % par an. Son poids représenterait pour chaque nouveau-né environ 17 500 euros. Il faudrait donc commencer par stabiliser le taux de prélèvements obligatoires, en engageant dans un premier temps un programme de retour à l’équilibre budgétaire sur cinq ans, avant de pouvoir le réduire. Faute de quoi, le transfert de la dette aux générations futures entamerait la capacité d’épargne de celles-ci et réduirait les ressources nécessaires au financement des dépenses porteuses d’avenir. Les taux d’intérêt seraient poussés à la hausse, ce qui s’avérerait nuisible à l’investissement et la croissance future.

Les obsédés de la dette ne précisent jamais que la part de la dépense publique dans le PIB est restée étonnamment stable depuis trente ans (la part des dépenses de l’État s’est réduite, alors que la part des dépenses sociales a augmenté). Les marges de manoeuvre pour réduire les effectifs sont faibles, sauf à considérer que la santé, l’éducation et la décentralisation ne sont pas des priorités. Ils oublient curieusement que tout compte de patrimoine inclut un passif et un actif. Ainsi, si le compte de patrimoine des administrations publiques est porteur d’un passif, il comporte aussi des actifs physiques (routes, écoles, hôpitaux, équipements…). La richesse nette des administrations est alors positive. Elle représente 19,7 % du PIB.

À la pensée unique s’oppose la thèse selon laquelle le déficit budgétaire est un instrument nécessaire de régulation macroéconomique. Il soutient la demande lorsque les entreprises n’investissent pas (ce qui est malheureusement le cas), alors qu’une abondante épargne est disponible pour financer des projets en sommeil dans l’économie réelle. Dans ces conditions, la dépense publique doit pallier le déficit de dépense privée des entreprises (celles-ci ne s’endettant pas pour investir) en mobilisant l’épargne par l’emprunt d’État. Faute de quoi, l’économie subirait une panne de croissance liée à une crise de débouchés résultant d’une épargne excessive car inemployée. Un certain volant de dette est alors justifié, d’autant plus qu’elle est désirée par les épargnants, qui raffolent aujourd’hui des obligations d’État ! La dette n’est donc pas un fardeau pour les générations futures car elle a une contrepartie en termes d’actifs aujourd’hui détenus par certains ménages. Enfin, la dette se stabilise dès lors que la croissance, soutenue par la dépense publique, est suffisamment forte pour engendrer un surcroît de recettes fiscales. Encore faut-il que la dette finance les choix porteurs d’avenir (l’investissement, la recherche-développement, la formation), car il existe aussi une mauvaise dette, causée par les choix fiscaux et budgétaires néolibéraux.

Ces mauvais choix sont à l’origine du « paradoxe de la dette », que la pensée unique passe sous silence : la dette publique s’est accrue au cours du quart de siècle passé alors que c’est précisément au cours de cette période que des gouvernements ont appliqué des politiques censées réduire le poids de l’interventionnisme public. La dette publique ne dépassait pas 25 % du PIB en 1983, lorsque la gauche était accusée d’avoir excessivement nationalisé ! Elle était de 36,5 % en 1991, avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht… Elle explosa littéralement sous les auspices d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé entre 1993 et 1997, où elle atteignit 58,5 % du PIB, plaçant quasiment la France aux limites autorisées par le traité. Cette dette fut précisément la cause d’une certaine dissolution de l’Assemblée nationale, qui devait légitimer un nouveau plan d’austérité préalable à l’entrée dans l’euro… La droite fut battue, et la dette baissa à 56 % du PIB en 1999. De retour aux affaires en 2002, la droite s’engagea à nouveau sur le chemin de la rupture avec le gaullisme. Elle mit en chantier la deuxième réforme des retraites et de l’assurance-maladie, de nouvelles privatisations et baisses d’impôts. Le taux d’endettement culmine aujourd’hui à 64 % du PIB… Les politiques néolibérales se sont révélées incapables de soutenir la croissance « par l’offre », alors que les réformes de la structure des prélèvements fiscaux et sociaux ont amplifié l’érosion des ressources fiscales de la République. Il est vraiment temps de changer de logiciel !

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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