Le social dans la campagne

Faute d’un projet antilibéral dominant, les questions sociales ne parviennent pas à primer dans le débat. Qu’en est-il du logement, de l’emploi, de la redistribution et des services publics dans les programmes ?

Thierry Brun  et  Patrick Piro  et  Jean-Baptiste Quiot  • 19 avril 2007 abonné·es

Le social, au nom de la croissance ?

Le volet social du programme des présidentiables ­ réduction du chômage et création d’emplois ­ est traditionnellement articulé avec la pompe économique supposée le financer : la croissance. Sa compatibilité environnementale (impact, durabilité, etc.) est beaucoup plus rarement envisagée. Quelle est donc la position des candidats ? Les partisans du « plus de croissance » , chez qui on trouve les candidats de droite (Sarkozy, Le Pen, de Villiers), considèrent que la décroissance est une absurdité dangereuse, voire incompatible avec la vision occidentale du monde.
Les défenseurs d’une « autre croissance » estiment qu’il faut rendre la croissance plus humaine (Bayrou), voire plus juste socialement et pour la planète, afin de créer des emplois et des services pour tous (Royal, Buffet). Plus radicaux, ceux qui soutiennent la « remise en question de la croissance » n’ont pas peur du mot « décroissance » et posent la question de la modification des modes de production et de consommation, sans esquiver le paramètre social, qu’ils mettent au centre de leurs préoccupations (réduction du temps de travail, par exemple). Ainsi, Olivier Besancenot insiste sur la centralité de la redistribution des richesses ; Dominique Voynet, sur l’universalité des bénéfices d’un projet à faible empreinte écologique ; et José Bové, sur la responsabilité des multinationales et d’une production industrielle qui induit des besoins factices.

Tous propriétaires ou des logements pour tous ?

Les difficultés d’accès au logement n’ont jamais été aussi importantes, sur fond de spéculation immobilière et de discriminations. Sur ce terrain, deux logiques s’affrontent. « La propriété est le rêve de chacun d’entre nous » , affirme Nicolas Sarkozy, qui souhaite « renforcer le capitalisme familial » avec une déduction des intérêts des emprunts immobiliers des impôts sur le revenu. Ségolène Royal, elle, veut créer 120 000 logements sociaux et, comme François Bayrou, entend faire appliquer la loi SRU qui impose 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 50 000 habitants. Les trois se rejoignent sur la nécessité d’en finir avec les cautions de locataires, à condition de sécuriser les propriétaires. Cet ensemble de mesures se distingue nettement de celles des candidats de la gauche antilibérale, prêts à en découdre avec la propriété privée. José Bové veut mettre en place un « service public de l’habitat » et assurer le droit au logement pour tous. Ce service permettra « la réquisition des logements vides et la création de 600 000 logements sociaux ». Les Verts souhaitent « la municipalisation des friches industrielles vacantes » . Le PCF estime impératif « d’interdire les expulsions » et « de supprimer les cadeaux fiscaux aux plus riches qui louent à des loyers inaccessibles ».

Gagner plus avec un travail décent ?

On assiste « à une forme de renoncement de la part des politiques à prétendre changer le quotidien » en matière d’emploi, avoue Bernard Thibault, de la CGT. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal glosent sur la « valeur »* du travail et oublient ses conditions dégradées. L’UMP s’attaque aux précaires : « Il n’est pas acceptable que certains refusent de travailler alors qu’ils le pourraient ». Grâce à la « sécurité sociale professionnelle », il ne « sera plus possible de refuser plus de deux emplois sans justifications » . Sur le même registre, François Bayrou veut inciter les entreprises à créer deux emplois sans charges pendant cinq ans. « La Présidente du travail pour tous » (Royal) veut « conditionner les aides publiques aux entreprises à l’engagement de ne pas licencier et de ne pas délocaliser ». Et aider les jeunes avec une mesure contestée, le Contrat première chance : « un CDI » mêlé d’une période « de tutorat » , payé pendant un an par les régions. Un nouveau CPE, mais de gauche, disent les antilibéraux. Le PCF note l’absence de propositions sur « la sécurisation de l’entrée dans l’emploi et des parcours professionnels, à l’opposé de la précarisation » . Aucun des principaux candidats ne tient compte de la future directive européenne sur le temps de travail. En l’état, celle-ci autorise à déroger aux 48 heures hebdomadaires. Et ils ne disent pas un mot « de l’aggravation des conditions de travail, qui va parfois jusqu’au suicide au sein de l’entreprise, et de l’insécurité des travailleurs devant l’emploi », fustige LO, qui veut interdire les licenciements aux entreprises qui font du profit. Le PCF veut un « congé de reclassement amélioré », la LCR défend les 35 heures et le passage aux 32 heures pour une meilleure qualité de vie et davantage d’emplois. José Bové exige « dix milliards d’euros pour l’allocation d’autonomie des jeunes en formation ou sans emploi » .

« Réformer l’État » ou renforcer le service public ?

À droite, réformer l’État signifie s’attaquer aux services publics. Nicolas Sarkozy prône un service minimum pendant les grèves et, comme François Bayrou, la réduction massive du nombre de fonctionnaires. La candidate du PS veut annuler la suppression de 5 000 postes de professeurs. Elle souhaite aussi « assurer de façon pérenne le financement de l’hôpital public ». Non sans contradiction puisqu’elle veut « réformer » l’État pour réaliser des économies. Les candidats de la gauche antilibérale s’opposent à cette pensée unique. « EDF et GDF seront rendus au secteur public à 100 % et fusionnés » , martèle José Bové. La LCR propose de nationaliser l’enseignement privé. Les Verts souhaitent « le renforcement des services publics dans les territoires urbains et ruraux en difficulté ». Et le PCF prévoit de « créer des services publics européens forts dans les secteurs de l’énergie, des transports et de la communication » .

Une « France plus juste » ou plus de justice sociale ?

Nicolas Sarkozy croit en une « éthique du capitalisme » fondée sur des baisses d’impôts. Le candidat de l’UMP souhaite instaurer un bouclier fiscal plafonné à 50 %, une exonération de 90 % des droits de succession et une TVA « sociale » très inégalitaire. La candidate du PS propose une conférence sur les salaires et un Smic à 1 500 euros bruts. Mais pas question d’augmenter les impôts des « hauts revenus » (au-dessus de 4 000 euros). Une réalité échappe aux trois principaux candidats : la formidable financiarisation de l’économie. Les candidats antilibéraux (LCR, PCF et Bové) veulent « une redistribution générale des richesses ». Il faut « reconquérir la part des salaires de la valeur ajoutée telle qu’elle était au début des années 1980 » , affirme José Bové. Ce dernier et la LCR entendent porter le Smic à 1 500 euros nets. La redistribution par l’impôt est donc favorisée, avec notamment l’instauration d’une taxation sur les transactions financières et l’élargissement de l’assiette de l’ISF. José Bové veut également supprimer CSG, CRDS et TVA sur les produits de première nécessité. En somme, une autre « éthique » que celle du capitalisme.

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