Recomposition, décomposition

Michel Soudais  • 5 avril 2007 abonné·es

Il y a la campagne et « l’après ». Certains y pensent et posent des jalons. C’est le cas d’Olivier Besancenot, qui rêve de rassembler la gauche anticapitaliste, mais aussi d’un groupe de hauts fonctionnaires « sympathisants ou militants socialistes » qui, sous le pseudonyme collectif « Les Gracques », appellent à une « alliance » du PS avec François Bayrou pour « une coalition de progrès » .

« Il faut rassembler sans sectarisme les forces anticapitalistes de ce pays » , affirme le candidat de la LCR, qui veut former « une opposition politique crédible en cas de victoire de la gauche molle » . Le plus connu des facteurs de France a profité d’un meeting à Nantes, le 27 mars, pour faire cette « proposition unitaire » à Arlette Laguiller, José Bové et Marie-George Buffet. « Si Ségolène Royal est au pouvoir » , il veut qu’ « elle ait, à la différence de Jospin, une opposition politique crédible pas simplement à sa droite mais aussi à sa gauche » . « Une opposition politique, pour l’instant on en est très loin » , admet-il, mais « il n’est jamais trop tard pour bien faire, et on ne part pas de zéro » . Que n’y a-t-il songé plus tôt !

Si la LCR n’avait pas refusé de s’engager dans le processus unitaire des collectifs antilibéraux, la gauche antilibérale ne présenterait peut-être pas trois candidats. Et, comme le dit crûment Francine Bavay, « Besancenot ne manque pas d’air. Après avoir été un des diviseurs, il prend dans la dernière ligne droite une posture de rassembleur. Aucun de ceux qui ont tenté de bâtir une candidature unitaire ne sera dupe ». La porte-parole de José Bové a péché par optimisme. Michel Onfray, signataire de la pétition en faveur d’une candidature du leader paysan « trait d’union entre les différents courants politique de la gauche antilibérale » , applaudit à la proposition de Besancenot. Sur son blog, le philosophe assure que le candidat de la LCR fait « la meilleure campagne à la gauche de la gauche ». Les sondages ne le placent-ils pas « en tête du peloton antilibéral » ? Désespérant « de découvrir les fins de non-recevoir », il veut croire que la proposition de Besancenot vaut pour les législatives et conclut qu’il n’oubliera pas « ce geste […]. Y compris dans l’isoloir » . Ce revirement est critiqué dans l’espace tribune de notre site Internet par Yannis Youlountas, qui avait cosigné avec lui un appel aux libertaires à s’engager dans la campagne de José Bové ( Politis , n° 937).

C’est aussi à une « recomposition politique » qu’appellent les Gracques dans le Point , les 22 et 29 mars. Celle-ci devrait se faire, selon eux, autour de deux pôles, l’un conservateur, l’autre social-démocrate, allant des Verts à l’UDF. Ils y voient la condition du « salut de la France ». « Si on veut un PS qui tienne la route, il faut qu’il se réforme » et coupe les ponts avec l’extrême gauche, PCF compris, « car ce n’est pas avec l’extrême gauche que l’on aura une base législative pour entreprendre les réformes à faire » , explique Roger Godino, porte-parole du groupe. « Il est plus facile de travailler avec certains de l’équipe Bayrou qu’avec l’extrême gauche » , poursuit ce rocardien de 67 ans, pilier des clubs « La Gauche, en Europe », qui rassemblent les proches de Dominique Strauss-Kahn.

La plupart des quelque vingt hauts fonctionnaires qui composent ce groupe exercent désormais dans le privé : Denis Olivennes, patron de la Fnac, Mathieu Pigasse, vice-président de la banque Lazard, Ariane Obolensky, directrice générale de la Fédération bancaire française, Guillaume Hannezo, associé de Rothschild & Cie, François Villeroy de Galhau, Bernard Spitz, Gilles de Margerie… Sans oublier Jean-Pierre Jouyet, ami depuis l’ENA du couple Hollande-Royal, qui fut un des membres des très deloristes clubs Témoins. Ces « Gracques 40 » , comme les moque le fabiusien Guillaume Bachelay, fondent leur proposition d’alliance avec le centre sur un constat : la candidate PS n’a « pas de majorité » au regard du faible niveau de la gauche dans les sondages (35 à 39 %). Pour l’heure, Ségolène Royal estime qu’ils ne sont « pas les mieux placés » pour prôner le changement. Sans répondre sur le fond. Dommage, car cette recomposition, qui a ses partisans à la tête du PS ­ on se souvient des appels du pied de DSK à Bayrou dans le Monde , le 10 mars ­, serait une décomposition de la gauche. Elle validerait certes les analyses d’Olivier Besancenot, mais renverrait pour longtemps la gauche, la vraie, aux marges de la politique.

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