Compatibles, qu’ils disaient

Michel Soudais  • 24 mai 2007 abonné·es

Comment qualifier la nomination par Nicolas Sarkozy de quatre hommes issus des rangs de la gauche dans le gouvernement de François Fillon ? Ouverture ou débauchage ? Aucune alliance ni négociation avec une formation représentative d’un courant politique n’ont précédé l’entrée au gouvernement de Bernard Kouchner, Éric Besson, Jean-Pierre Jouyet et Martin Hirsch, qui ne peuvent se prévaloir d’aucun soutien autre que celui par nature éphémère d’une opinion publique indéfinie. À aucun moment, le président de la République n’a laissé entendre que le programme sur lequel il avait été élu pourrait être amendé par ces nouveaux ralliés. Au contraire. Il est ainsi significatif que les figures les plus emblématiques de son « ouverture », qu’il s’agisse de notre french doctor aux Affaires étrangères ou de l’UDF Hervé Morin à la Défense, aient été nommées sur des postes qui relèvent du domaine réservé du chef de l’État. C’est donc bien à un débauchage dans les rangs de la gauche que s’est livré Nicolas Sarkozy.

Qu’il ait pu proposer le même poste à deux personnalités aux visions du monde aussi radicalement opposées qu’Hubert Védrine et Bernard Kouchner en dit long sur sa démarche. Àquelques jours des législatives, la manoeuvre élyséenne poursuit un triple objectif : empêcher la gauche et le centre de faire campagne contre l’État-UMP, priver François Bayrou de son principal dada ­ « former un gouvernement avec les meilleurs de droite et de gauche » ­, jeter le trouble dans le camp de la gauche. C’est plutôt réussi. Mais à quel prix ? L’image d’hommes politiques sans conviction et seulement mus par la recherche du pouvoir n’est jamais bonne pour la démocratie.

Le miroir renvoyé à la gauche n’est pas non plus très engageant, même s’il convient de distinguer plusieurs figures de ralliés. Celle du traître, incarné par Éric Besson, secrétaire d’État à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques, ne suscite que nausée. En idéaliste militant associatif d’une cause qui ne peut être trop différée ­ la création du revenu de solidarité active ­, Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, est bien plus respectable dans sa naïveté. Celle de l’opportuniste, Bernard Kouchner, vieil homme pressé d’obtenir le ministère des Affaires étrangères et européennes tant convoité auprès de celui qu’il accusait jusqu’au 6 mai de « pêcher dans les eaux de l’extrême droite » , ne mérite qu’indifférence. Plus intéressant est le cas de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État aux Affaires européennes.

L’entrée au gouvernement de ce membre des « Gracques », un collectif d’anciens collaborateurs des gouvernements socialistes, fervents défenseurs du social-libéralisme, qui militaient dès avant le premier tour de la présidentielle pour un « accord de gouvernement » entre le PS et l’UDF de François Bayrou, est pour le PS plus embarrassante. Et pas seulement parce qu’il est, depuis l’ENA, un intime du couple Hollande-Royal, et notamment le parrain de leur fils aîné, Thomas. L’empressement de François Hollande à assurer que son ami n’était pas membre du PS et que « ses convictions sont à droite » n’a fait que souligner le malaise suscité par sa nomination. Car, avant d’accepter ce poste, Jean-Pierre Jouyet a cosigné, en 1984, avec le futur Premier secrétaire du PS, le manifeste des Transcourants, dont Ségolène Royal passe pour être la meilleure héritière. Quand Bernard Kouchner se servait de la gauche pour ériger sa statue, lui la servait dans l’ombre des ministères. Directeur de cabinet auprès de Roger Fauroux de 1988 à 1991, puis de Jacques Delors à la Commission européenne jusqu’en 1995, il fut directeur adjoint du cabinet de Lionel Jospin à Matignon de 1997 à 2000.

À son nouveau poste, Jean-Pierre Jouyet, qui se présente comme « un Européen convaincu » , estime « pouvoir faire oeuvre utile dans un domaine où y a besoin d’une relance […] et où les clivages droite-gauche sont dépassés » . Difficile de ne pas voir dans cette profession de foi l’écho d’un credo jospinien, formulé en pleine campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen : « Il y a une compatibilité du oui de gauche et du oui de droite » , avait affirmé l’ancien Premier ministre, le 28 avril 2005. C’est cette compatibilité que M. Jouyet met (trop) ostensiblement en pratique auprès de Nicolas Sarkozy en prêtant son concours à l’élaboration d’un minitraité institutionnel qui n’a pas d’autre objet que de contourner les « non » français et néerlandais.

Politique
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