Cours obligatoires sous peine d’exclusion

Le Contrat d’accueil et d’intégration impose des leçons de français aux primo-arrivants. Les associations redoutent que cet apprentissage serve de nouvel outil de régulation à une politique d’immigration choisie.

Léonore Mahieux  • 17 mai 2007 abonné·es

Comprendre des horaires de train, indiquer la nature d’un problème de santé, compléter un formulaire… Le 7 mai, pour la première fois, 76 migrants passaient le nouveau Diplôme initial de langue française (Dilf). « C’est un examen très concret, très pratique, de niveau élémentaire, explique Bernard Malblanc, examinateur. Un niveau qui n’avait jamais été validé par un diplôme. Pour des personnes en situation difficile, c’est un premier pas dans un cursus d’apprentissage. » C’est surtout une condition désormais sine qua non au renouvellement d’un titre de séjour en France.

Créé par décret le 19 décembre 2006, ce diplôme vient valider une formation linguistique obligatoire pour tout candidat à un séjour durable en France. Depuis le 1er janvier 2007 et l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, les nouveaux entrants sur le territoire doivent, pour obtenir leur première carte de séjour, signer un Contrat d’accueil et d’intégration (CAI) avec l’État. Ils s’engagent ainsi à « à respecter les valeurs fondamentales de la République française », à suivre une formation civique « centrée sur les principes et valeurs de la République, les droits et devoirs fondamentaux du citoyen » , et une formation à la langue française. Le texte de loi précise que « le respect du contrat est pris en considération pour apprécier la condition d’intégration pour l’accès à la carte de résident ». Dans un texte destiné aux nouveaux arrivants, l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (Anaem), chargée de la mise en place du CAI, explique : « La formation linguistique fait l’objet d’un suivi nominatif. Si vous n’assistez pas aux cours, le préfet peut mettre fin au contrat puis refuser le premier renouvellement de votre carte de séjour temporaire et la délivrance de votre carte de résident de dix ans. » 36 500 CAI ont été signés depuis le début de l’année.

Jusqu’à cette loi dite « loi Sarkozy » de juillet 2006, seuls les candidats à la naturalisation étaient soumis à un test de langue. « Il y a eu un glissement de ces exigences », explique Jean-François Martini, permanent du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), qui rappelle combien la notion même d’intégration est récente dans les politiques d’immigration : « En matière d’accès au séjour, la connaissance du français n’a jamais été une condition. Cette nouvelle exigence et la notion même d’intégration sont apparues en 2003 dans la première loi Sarkozy [qui concernait alors les candidats à la naturalisation, NDLR] *. »* En fait, lors d’un discours du 14 octobre 2002, Jacques Chirac, alors président de la République, a déclaré vouloir « donner une nouvelle vigueur à notre modèle d’intégration » et a souligné « la nécessité d’aider les nouveaux arrivants à mieux s’insérer dans notre société ». Jusqu’en 2006, cette volonté s’est traduite par des plateformes d’aide aux familles. « On proposait un bilan social, une formation linguistique , explique Jean-François Martini. Mais il s’agissait d’une aide, pas d’une condition à l’obtention d’une carte de séjour. Il n’y avait aucun caractère obligatoire. »

Pour Yolande Mulet, directrice générale adjointe de l’Anaem, « la généralisation du CAI est une avancée. L’obligation de formation linguistique a permis une création de places : l’accès à des cours de langue est aujourd’hui beaucoup plus rapide ». Mais Sophie Étienne, chargée de mission à la fédération nationale de l’Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et leurs familles (AEFTI), nuance. Si cet accès est plus rapide, c’est peut-être parce qu’il exclut certaines catégories de migrants : « Les personnes qui ne rentrent pas dans les cases du dispositif, comme des réfugiés qui n’ont pas encore le statut ou des personnes qui sont là depuis longtemps, ont du mal à accéder à la formation. » Elle met aussi en garde : « Le Dilf est un outil intéressant. Le problème réside dans l’usage qu’on en fait. Il peut devenir un instrument de gestion des flux migratoires, ce qui serait inquiétant. » La langue française, nouvel outil de régulation d’une immigration toujours plus choisie ?

Ni le Gisti ni la Cimade ne remettent en cause le fait de proposer des cours de français. « L’apprentissage de la langue du pays où l’on vit est, bien entendu, très important, nous l’avons toujours dit , rappelle Marie-Jo Descolonges, responsable du service formation à la Cimade. C’est le droit à la parole pour chacun. » « Ce qui est critiquable, c’est de subordonner l’accès au séjour à la connaissance de la langue et de la culture françaises, précise Jean-François Martini. Cela revient à introduire une nouvelle raison de refuser un titre de séjour. » Marie-Jo Descolonges dénonce elle aussi cette « instrumentalisation » de l’apprentissage de la langue *. « Cette manière de réguler les flux migratoires par le biais linguistique est inacceptable. C’est une manière de nier des droits fondamentaux, comme le regroupement des familles ».* En effet, le CAI concerne principalement les tenants d’une immigration à motif familial : 62 % des signataires arrivent dans le cadre d’un rapprochement familial (membres de famille de Français ou regroupement familial stricto sensu ).

Marie-Jo Descolonges pointe aussi les contradictions d’un système qui fonctionne sur la contrainte. Si l’objectif est de faciliter l’apprentissage du français, la méthode pourrait se révéler contre-productive : « L’apprentissage d’une langue se fonde sur le désir de parler avec celui qui est à côté. Personne n’apprend une langue à coups de bâton ou pour des raisons fonctionnelles. » Des propos qui font écho aux déclarations du collectif national du Français langue étrangère (FLE) : « Plutôt que de travailler à l’intérieur d’un cadre lié à « la » culture française, le FLE tient compte de la diversité culturelle dans un universalisme démocratique et laïc qui favorise un dialogue entre les cultures, seul à même d’éviter les dérives communautaires et chauvines. […] L’intégration en France est un fait social qui ne concerne pas que les étrangers mais la société tout entière. » Un aspect complètement absent de la loi sur l’immigration de juillet 2006.

Société
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