De la Sarkophobie

Bernard Langlois  • 3 mai 2007 abonné·es

« Mais pourquoi tant de haine ? » J’vais vous dire, M’sieur Sarkozy, laissez-moi vous expliquer, c’est très simple.

Certains commentateurs de vos amis cherchent à brouiller les pistes, et les esprits. Ils nous expliquent que la « sarkophobie » (le mot est d’eux, on le trouve, par exemple, sous la plume de Franz-Olivier Giesbert, le distingué directeur du Point ) ne serait au fond qu’une variété de racisme, due à vos origines étrangères. Le fait que vous soyez « fils de Hongrois et descendant de juifs de Salonique » , comme écrit votre récent ami Max Gallo dans ce même hebdomadaire, où l’on ne vous veut que du bien. Et l’ancien disciple de Chevènement de vous comparer à de Gaulle, en butte à la haine de l’OAS, ou à Blum, harcelé par celle des cliques antisémites. (Rien que ça, Max ? Ah, le zèle des convertis !)

Ceux qui vous critiquent auraient sombré dans le lepénisme. « De gauche » , précise Giesbert.

Je vais vous dire, M’sieur Sarkozy, ne croyez pas à cette explication simpliste, vous vous égareriez.

Certes, Jean-Marie Le Pen a utilisé l’argument (votre, selon lui, trop récente appartenance à la nation française) pour contester la légitimité de votre candidature à la charge présidentielle. Mais il est à peu près le seul. Et, en tout cas, aucun de vos adversaires de gauche ne lui a emboîté le pas. Vos zélateurs et griots sont au demeurant assez culottés de venir nous chercher des poux lepénistes au moment même où vous n’hésitez pas, vous, sans crainte d’en attraper les puces, à caresser l’électorat frontiste dans le sens du poil ; oh, pour la bonne cause ! Il ne s’agit que de l’arracher à son vieux chef pour « le réintroduire dans le débat républicain » , chacun l’a bien compris. Ce n’est jamais que l’application du vieux principe maoïste : « Qu’importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape la souris ! » L’opération a du reste plutôt réussi, comme l’a noté un ancien fidèle de Le Pen (Simonpieri, l’ex-maire de Marignane, aujourd’hui rallié à votre bannière) : « Beaucoup d’électeurs FN ont constaté que Nicolas Sarkozy disait les mêmes choses que Le Pen, mais que lui avait une chance de les mettre un jour en application. Ils ont donc voté utile. » CQFD.

Si lepénisation il y a, donc (et il y a, d’évidence), elle n’est pas à chercher dans notre camp, n’en déplaise à Giesbert, Gallo et compagnie. Croyant voler à votre secours, ces fidèles supporteurs vous égarent, M’sieur Sarkozy ! Ils vous condamnent à ne rien comprendre à cette « haine » qui vous accable.

Laissez-moi vous expliquer. C’est vrai que nous sommes nombreux à ne pas trop vous aimer. À redouter de vous voir élu. À tenter de tout faire pour vous barrer la route de l’Élysée. Il y a des tas de bonnes raisons à cela, M’sieur Sarkozy. Et croyez bien que vos origines n’ont rien à y voir : seriez-vous berrichon ou auvergnat depuis dix générations que nous aurions envers vous la même aversion.

­ Elle est d’abord politique et relève de votre programme : on doit reconnaître que vous l’assumez comme foncièrement de droite. Ce qui veut dire, sur le plan économique et social, une rupture nette avec ce qu’on appelle encore « l’exception française » , un ensemble de dispositions, de protections, de garanties, de droits, d’arbitrages hérités de l’histoire ­ le Front populaire, la Résistance, le gaullisme, les meilleures années du mitterrandisme ­, déjà bien grignotés, rognés, édulcorés au fil des ans, mais pas encore assez du point de vue du marché mondialisé et des classes possédantes qui en goûtent les fruits juteux. Votre programme, M’sieur Sarkozy, est une gâterie pour le Medef ; une douceur annoncée pour les banques et les Bourses ; la promesse d’un régal pour votre clientèle huppée, déjà cousue d’or : l’assurance de garder le beurre et l’argent du beurre, avec en prime le cul de la fermière. Des courageux s’époumonent à alerter leurs concitoyens, en pure perte. Votre programme nous promet à la fois Thatcher, Reagan et Berlusconi ; sans compter Bush, votre grand homme, qui saura bien vous entraîner dans quelque aventure militaire, où vous pourrez donner toute votre mesure. Mieux vaut le savoir : certains des fils des braves couillons qui s’apprêtent à voter pour vous risquent fort, si vous êtes élu, de rentrer d’escapades exotiques les pieds devant, dans de grands sacs à fermeture éclair.

­ Dans le même temps (et il faut que vous sachiez comme ça suscite du mépris), vous n’hésitez pas à varier vos discours en y introduisant des thèmes, des références, des hommages aux grandes figures du passé (de préférence se situant à l’opposé de vos appartenances ­ j’allais dire de vos convictions, mais je ne suis pas sûr que vous en ayez, hein, M’sieur Sarkozy ?), en fonction des publics divers programmés sur votre feuille de route électorale. Ah, vous ne manquez pas de talent ! Tout à la fois Vichnou et Frégoli, dieu des avatars et prince des déguisements. Homme intelligent, mais de petite culture, vous vous êtes adjoint un talent en mal d’emploi chargé de truffer vos envolées des citations, des paraboles, des symboles qui vous font défaut. Sous le balcon de la Roxane républicaine, il est votre Cyrano, vous êtes son Christian. Vous récitez bien, faut vous reconnaître ça.

­ Politique encore, c’est votre parcours qui donne les boules, M’sieur Sarkozy. Je ne parle pas tant de cette ascension, parfois contrariée (il vous est arrivé de vous tromper de cheval, imprudent jockey !), mais toujours poursuivie avec une détermination sans faille, ni des cadavres (politiques) qui jonchent votre chemin, ni de la constance avec laquelle vous avez trahi amis et protecteurs : en la matière, vous n’avez jamais fait que suivre d’illustres exemples, et je connais peu, hélas, de carrières politiques vraiment franches du collier, dès qu’on atteint un certain niveau. Non, je veux évoquer ces cinq ans qui viennent de passer, où nous vous avons vu oeuvrer, véritable patron des gouvernements successifs, maire du Palais d’un roi fainéant, vous mêlant de tout, imposant vos choix et vos oukases, personnage récurrent de tous les programmes et sur toutes les antennes ; ces cinq ans où vous imposâtes au vieux monarque qui ne vous aimait point (par où donc le teniez-vous M’sieur Sarkozy ?) votre présence aux affaires ; ces cinq ans marqués de tant d’injustices, de brutalités, de dénis, d’accusations sans preuve (la Ligue des droits de l’homme en tient l’accablante comptabilité), de mensonges, de rodomontades, de provocations, jusqu’à ces flambées de violences débouchant sur un régime d’exception que la République n’avait pas connu depuis près d’un demi-siècle. Pensiez-vous que la racaille, le Kärcher, le mouton dans la baignoire, les deux p’tits gars, pauvres gosses, du transformateur de Clichy, les rafles aux portes des écoles, toutes ces vilenies (j’en oublie) ne laisseraient pas de traces ? Vous êtes bien dur avec les faibles, M’sieur Sarkozy, c’est rarement le signe de la grandeur d’âme…

­ Un mot de l’environnement. Non, pas avec un grand E ­ le réchauffement, l’épuisement des ressources naturelles, tout ça (dont il ne me semble pas que vous soyez très préoccupé, ou si j’me trompe, M’sieur Sarkozy ?) ­, je veux parler de votre environnement rien qu’à vous, votre entourage quoi, vos proches, vos potes, vos soutiens ; c’est pas pour dénigrer, hein, mais reconnaissez que c’est pas vraiment le haut de gamme : entre les voyous politiques, les renégats emblématiques, les girouettes philosophiques, les acteurs de série B, les chanteurs pô-pô-pô-dit, les rockers en exil fiscal, les sportifs retraités, et ce brave Steevy en raton laveur pour compléter l’inventaire, ça fait un peu cour des Miracles, non ? On a connu des parterres plus reluisants. Dis-moi qui tu fréquentes… Pardon, j’oubliais : les grands patrons, les vieilles dames reconnaissantes de l’immobilier, les cadres sup’ gavés aux stock-options, les parachutistes dorés, les retraités à chapeau, tous ces sacs d’or que vous avez (ou avez eu) la chance d’administrer dans votre belle commune de Neuilly-sur-Gratin, là où le HLM reste une curiosité (au même titre qu’un facteur trotskiste) : tous avec vous, M’sieur Sarkozy, ça aide pour financer les campagnes ; mais êtes-vous vraiment crédible, pensez-vous, quand vous allez lever le poing dans les cours d’usine ?

Profil

Il resterait beaucoup à dire. Et nous n’avons pas évoqué encore votre personnalité. L’inquiétant profil psychologique qui se dégage de tant de témoignages, évoqués à demi-mot sous le sceau de l’anonymat par ceux qui craignent pour leur carrière; ou clairement énoncés par ceux qui n’ont à préserver ni un siège, ni une charge, ni un job ; ou qui jugent courageusement que c’est leur devoir de dire la vérité, dussent-ils en pâtir.

J’vais vous dire, M’sieur Sarkozy, je crois, comme beaucoup d’autres observateurs ou acteurs de la vie publique, que vous n’êtes pas en état de gouverner ce pays. Votre ego surdimensionné, votre hyperactivité, votre boulimie de pouvoir font de vous un homme dangereux pour la paix civile et la démocratie. Vos colères d’enfant gâté, qui n’épargnent pas même vos proches, révèlent un être mal fini, fracturé de l’intérieur, enclin à compenser sa souffrance, son mal-être, par un autoritarisme qui ne connaîtra plus de limites s’il devient Président, avec tous les pouvoirs que la Constitution met entre les mains du chef de l’État. Déjà, simple (!) ministre, vous avez fait tomber des têtes (notamment de journalistes) et interdire des livres qui vous déplaisaient. Vous n’hésitez pas à menacer, à insulter, à soudoyer. La liberté d’une presse prise en tenaille entre vos alliances patronales bétonnées et les connivences que vous entretenez avec les journalistes les plus influents (ceux qui ne s’y prêtent pas risquant des représailles), déjà pas bien brillante (la liberté), on l’a mesuré pendant toute la campagne à bien des occasions, pourrait bien n’être plus qu’un souvenir. Ne parlons pas de l’usage que vous ferez de la police, vous en avez déjà donné un aperçu ; ne disons rien de l’indépendance de la justice ni de la séparation des pouvoirs en général.

J’exagère ? Vous n’êtes pas si mauvais homme, dites-vous ? Je ne sais plus qui disait (Saint-Exupéry, peut-être) que dans tout homme, il y avait au moins 5 % de bon. Allez, je vous accorde les 5 % réglementaires. Vous savez, M’sieur Sarkozy, à qui vous me faites penser ? Je ne devrais pas vous le dire, ça va vous faire rosir de plaisir ; je vous le dis quand même : à George Dubbleyou lui-même, le maître du monde, votre modèle. Quand, après les attentats contre les Twin Towers, il se lamentait, comme vous aujourd’hui : « Mais pourquoi nous déteste-t-on tant ? »

À lui, comme à vous, il n’est au fond qu’une réponse : parce que vous vous comportez comme des êtres détestables.

Edito Bernard Langlois
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