Élection nationale, enjeux locaux

Si l’élection d’une majorité parlementaire constitue le principal enjeu du scrutin des 10 et 17 juin, c’est surtout sur des thèmes locaux que les candidats aux législatives font campagne.

Michel Soudais  • 31 mai 2007 abonné·es

José Bové se fait rare. L’ex-candidat à la présidentielle a participé samedi 26mai à une réunion de soutien à José Espinosa, candidat du comité antilibéral du XIIe arrondissement de Paris dans la 8e circonscription de la capitale. Ce sera sa seule apparition « sur le territoire national » dans cette campagne législative. Le syndicaliste paysan s’est envolé ensuite vers la Nouvelle-Calédonie pour faire campagne « dans les colonies » , aux côtés des deux candidats de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), la principale force syndicale du territoire ayant décidé de se lancer dans le combat électoral. Dans son intervention, José Bové retrace la démarche des antilibéraux qui l’ont soutenu à la présidentielle et déplore une nouvelle fois « les logiques de division » qui ont été « tragiques » . Avant d’assurer que cette campagne avait été un « point de départ » , que près de 130 candidats en poursuivent la démarche aux législatives et que celle-ci continuera aux municipales en 2008 et aux européennes en 2009.

À ses côtés, le candidat et sa suppléante, Corinne Perron, une infirmière urgentiste, syndicaliste et altermondialiste, représentante en France de l’USTKE, acquiescent. José Espinosa est un élu communiste. Désigné à l’unanimité par un comité local constitué de citoyens de cultures politiques diverses ­ le « laboratoire d’une nouvelle façon de faire de la politique » dit José Bové ­, il plaide pour l’unité de la gauche antilibérale, quand le PCF et la LCR présentent chacun leur candidat dans ce quartier très disputé : on y dénombre pas moins de 20 candidats. Mais pour tenter de convaincre que, député, il ne serait « pas le plus manchot » , c’est surtout son action, comme conseiller de Paris et maire-adjoint de l’arrondissement, dans les luttes pour la défense des services d’urgence des hôpitaux du quartier ou d’un service postal et celle contre les ventes à la découpe ou pour les sans-papiers que José Espinosa met en avant. Et quand, en réponse à une question, il détaille les propositions de loi qu’il présenterait, s’il était élu, celles-ci visent d’abord à répondre aux « problèmes concrets » des habitants de l’arrondissement.

Ainsi va la campagne des législatives. Hormis sur les plateaux de télévision et dans les grands meetings, il est peu question de l’enjeu national de ce scrutin. Dans son fief de la Sarthe, le Premier ministre lui-même n’en parle guère. Sur sa circonscription, où Nicolas Sarkozy a obtenu un modeste 50,4 %, François Fillon soigne davantage son image d’élu local implanté depuis vingt-six ans. Et lorsqu’un maire non-inscrit s’excuse presque de ne pas avoir « encore l’habitude de [l’] appeler monsieur le Premier ministre » , la réplique fuse : « Ah non, pas de ça ! »

« Les législatives sont devenues 577 élections locales », affirme Jean-Christophe Lagarde. Ce député est l’un des très rares UDF à avoir suivi François Bayrou au Mouvement démocrate (Modem). Mais maire de Drancy depuis 2001, député de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis depuis 2002, qu’il a enlevée au PCF avec 22 voix d’avance, M. Lagarde se présente sans étiquette autre que celle de « Bobigny-Drancy », pour rester un homme « libre » . Le 6 mai, Ségolène Royal est arrivée en tête dans sa circonscription.

« L’élection législative n’est pas la même que l’élection présidentielle » , soutient aussi Jean-Louis Bianco. Le codirecteur de la campagne présidentielle de Ségolène Royal, qui brigue un troisième mandat dans la 1re circonscription des Alpes-de-Haute-Provence, est menacé par Éliane Barreille, une conseillère régionale UMP et maire de Malijai, une commune de 1 700 habitants qui mise sur une vague bleue et le score de Nicolas Sarkozy (52,44 %). « Il y a des électeurs qui ne sont pas de gauche, mais qui votent pour moi, compte tenu de mon action , fait valoir celui qui fut secrétaire général de l’Élysée, sous François Mitterrand *. J’ai à mon actif un bilan et un travail considérables, et une capacité à agir au plus haut niveau, même quand ce n’est pas ma famille politique qui est aux commandes. J’ai l’avantage de connaître l’ensemble des ministres. »* Président du conseil général, M. Bianco se targue d’avoir contribué à la prochaine installation de la première usine de silicium à usage solaire au monde sur le site Arkema à Saint-Auban. Autre réussite dont il espère que les habitants se souviendront, l’implantation d’un lycée international à Manosque pour les enfants du personnel du site du réacteur Iter et la tenue d’un forum pour l’emploi il y a un an, « qui a permis 500 embauches dans le département » .

L’enjeu local l’emporte dans de nombreuses circonscriptions, complexifiant un peu plus la lecture d’un scrutin pourtant national. À Lyon, l’ancien ministre des Transports Dominique Perben ne cache pas vouloir conquérir la mairie. Pour cela, l’ancien édile de Châlons-sur-Saône doit réussir son parachutage dans la 4e circonscription lyonnaise, la plus ancrée à droite. Son implantation était menacée par le maintien du député sortant Christian Philip (UMP). Le 18 mai, ce dernier a jeté l’éponge et obtenu du Premier ministre, dont il est un proche, une mission sur la francophonie, qui doit déboucher sur un secrétariat d’État. Opposé à la conseillère régionale Najat Vallaud-Belkacem, 29 ans, l’une des figures montantes du PS, porte-parole de Ségolène Royal durant la campagne présidentielle, Dominique Perben devra néanmoins se méfier d’une éventuelle triangulaire avec le Mouvement démocrate (22 % à la présidentielle).

À Paris, c’est au nom de la défense du droit démocratique des socialistes du XXe arrondissement à choisir leur candidat que Michel Charzat est entré en dissidence. Député sortant et maire de l’arrondissement, il avait accepté que la direction du PS réserve cette circonscription à une femme, puis à une candidate de la « diversité ». Trois des quatre candidates, dont Sophia Chikirou, répondaient à ce critère. Mais cette jeune femme de 28 ans, d’origine kabyle, avait le défaut d’être fabiusienne, comme Michel Charzat, dont elle est l’assistante parlementaire et aujourd’hui la suppléante. Pour représenter une minorité qui ne l’était pas encore, les Domiens de métropole, Solferino a donc imposé George Pau-Langevin, une avocate de 58 ans originaire de Guadeloupe, chargée des associations et de l’outre-mer au cabinet de Bertrand Delanoë. Le vote de ratification promis à la section n’a jamais été organisé.

Pour faire la différence avec sa concurrente socialiste, imposée par le national, Michel Charzat a opté pour « une campagne ouverte sur les acteurs de la vie locale » . S’il s’engage à défendre la laïcité et le respect du « non » au traité constitutionnel européen, l’élu défend aussi des projets plus municipaux : installation d’une cité des ONG du développement durable et des droits humains, création d’une technopole (jeux vidéos, design) en lien avec la remise à niveau des jeunes des cités… Et quand il parle du pouvoir d’achat et des petites retraites à revaloriser, il le fait en localisant sur une carte où habitent les populations les plus concernées. « Nous voulons allier la gauche décomplexée que prône Fabius et la gauche du réel dont parle Dominique Strauss-Kahn » , explique Sophia Chikirou. Le local peut aussi traduire une vision plus globale.

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