Le même tapis rouge

TF 1 et France 2 ont été très consensuelles dans le traitement de la passation de pouvoir présidentiel.

Jean-Claude Renard  • 24 mai 2007 abonné·es

Pour qui se souvient des matchs de tennis en fond de court entre Yvan Lendl et Björn Borg, laborieux et soporifiques, façon Roland-Garros en 1981, la passation de pouvoir d’un président à l’autre y ressemble furieusement. Un événement, à l’instar d’un « cinq sets », de bout en bout retransmis. Il n’était pas dix heures, ce mercredi 16 mai, que TF~1 et France 2 prenaient l’antenne. PPDA et Claire Chazal d’un côté ; David Pujadas et Élise Lucet de l’autre. Sur TF~1, Catherine Nay en consultante ; Michèle Cotta sur France 2. Maquillées en Belphégor, avec vue sur l’Élysée. Voilà pour le décor, et une antenne en direct pour six heures, entrecoupées par le journal de 13 heures et débarrassées, même sur TF~1, des pages de publicité.

Garde républicaine, voiture officielle garée pile poil devant le tapis rouge, ce même tapis rouge épousseté milli, des journalistes qui se prêtent à un micro-trottoir des personnalités politiques et des anonymes, les ronflements de la Marseillaise , le passage des troupes en revue, des caméras fixant des poignées de main, des sourires crispés, la grille du coq (sans cocorico), un crépitement de flashs, une berline noire métallisée qui file vers le quai Voltaire (foin du Fouquet’s), une descente des Champs-Élysées en majesté, à la manière de Kennedy, un décorum hésitant entre l’Empire et la Restauration. Une mosaïque d’images vues d’en haut, vues de moto, vues du trottoir… Une oasis d’ennui dans un désert de pimpantes banalités.

Dans son allocution, le maire de Neuilly ajoute une couche à sa rupture. Il a tué le père. Ça ne suffit pas. Il s’essuie les pieds dessus. In fine , il s’offre Guy Môquet, passant outre le fait qu’il était militant des Jeunesses communistes, et le Chant des partisans . De quoi flouter les repères.

À vrai dire, sinon à voir Élise Lucet en transe d’orgasme, les chaînes se valent, poulopent sur les mêmes images de la SFP, s’enivrent devant la famille (re)composée aux allures princières pour papier glacé, cette nouvelle génération, le beau tableau de la nouvelle France en Prada. Pour le téléspectateur en quête de sens, il fallait revenir en amont.

Au discours de Chirac, par exemple. Douze années d’Élysée. Cinq minutes et quarante-cinq secondes (douche comprise) de paroles ineptes vissées sur un prompteur pour un adieu. Peu importe, la télé se veut enthousiaste et surtout très émue. Quoique. Ce lundi 14 mai, TF~1 ouvre son journal sur la météo capricieuse, et France 2 sur un maire démissionnant de l’UMP, avant d’enchaîner sur l’hypothèse Kouchner et les distorsions du PS. PPDA s’accorde huit secondes pour dire que Cécilia Sarkozy «~n’aurait pas voté~». Rien sur France 2 quand l’info a couru toute la journée sur toutes les ondes. Rien non plus le lendemain.

De l’autre côté de France Télévisions, Audrey Pulvar, dans son JT national sur France 3, fait son travail. Ce mardi 15 mai, au service, elle brosse le bilan pitoyable de Villepin au soir de sa démission de Matignon. Puis coup droit lifté sur les trois procès susceptibles de remplir l’emploi du temps du retraité Chirac, revers sur le dernier parachute doré d’un patron (douze millions d’euros) et volée sur la lettre ouverte des journalistes du Journal du dimanche à l’égard de Lagardère, s’élevant contre toute pression et censure (que Cécilia n’ait pas voté n’est évidemment pas le problème, mais bien la censure de cette info).

Le lendemain, tandis que Pujadas, en fond de court, inscrit volontiers en double avec Pernaut, évoque les rapaces dans le Sud de la France (!), Audrey Pulvar smashe avec un petit dossier sur la retraite des élus, soulignant celle, confortable, de Chirac (30 000 euros par mois). À ce rythme-là, elle ne tiendra pas cinq sets. Ni cinq ans.

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