Pour une opération vérité

Denis Sieffert  • 17 mai 2007 abonné·es

On connaît la formule du cardinal de Retz : « Nommer un ministre, c’est faire dix envieux et un ingrat. » Nicolas Sarkozy en vérifie sans doute la justesse ces jours-ci. Il paraît même que la grogne (l’envie ?) gagne son plus proche entourage. Il est vrai que le nouveau président de la République s’est créé un certain nombre de contraintes qui ressemblent à la quadrature du cercle : quinze ministres et pas un de plus, parité hommes-femmes (ce qui avec un nombre impair est déjà une gageure !), des centristes, des socialistes, des vrais durs, des faux mous, des fidèles et même des ennemis potentiels dont il faut réduire le pouvoir de nuisance… La mixture est indigeste. Mais, dans cet exercice, c’est aussi un autoportrait que le nouveau locataire de l’Élysée est en train de brosser. Un début de réponse à cette lancinante question : plutôt idéologue ou plutôt pragmatique ? Homme de conviction ou cynique ? Il faut reconnaître que Sarkozy s’emploie à brouiller les pistes. Quand il propose à Hubert Védrine le ministère des Affaires étrangères, il fait un joli coup politique. Mais il ne se facilite guère l’existence. L’ancien ministre de Jospin n’est pas un ectoplasme. Sa grille de lecture n’est pas vraiment le « choc des civilisations ». L’analyse qui est la sienne de la situation au Proche-Orient, par exemple, est aux antipodes de celle, très « américaine », de Nicolas Sarkozy. Que serait-il advenu si Védrine avait accepté ? Sinon une étonnante dyarchie ? Il paraît que la question ne se pose plus et que le Quai d’Orsay serait finalement offert à Bernard Kouchner. Avec lui, au moins, point de tracas ! Cet éternel rallié se fondra dans le sarkozysme avec souplesse.

Voilà qui nous mène tout droit au Parti socialiste. Après tout, les soucis de Nicolas Sarkozy, mêmes dramatisés par le cardinal de Retz, ne sont rien à côté des déboires de la rue de Solferino. La pagaille est d’ailleurs telle que les ralliés au sarkozysme en mériteraient presque l’indulgence. Quand le port d’attache est dans la brume (une épaisse brume idéologique), on ne peut en vouloir aux naufragés. À sa façon, Bernard Kouchner révèle une vérité profonde sur l’identité du parti socialiste. Il« décomplexe » une partie de ses amis qui n’osent pas toujours dire qui ils sont ni où ils vont. Ainsi, dans la novlangue socialiste, il ne faut pas dire « recentrage » et encore moins « droitisation », mais « rénovation » et « modernisation ». Ne jamais dire « social-libéralisme », mais « social-démocratie ». Ce goût de la litote, comme, par exemple, les pudeurs à s’afficher aux côtés de Tony Blair (cet autre « décomplexé » de la gauche européenne), tout cela a un sens que la gauche du Parti socialiste devrait méditer. Ces faits ne sont pas seulement révélateurs de la difficulté qu’éprouvent certains dirigeants à s’assumer, mais aussi de la juste idée qu’ils se font de la base de leur parti. S’ils n’osent pas trop dire leur projet, c’est qu’ils n’ignorent pas que la base sociale du PS reste profondément ancrée à gauche. Ils ont pleinement conscience de la contradiction qui existe entre leurs calculs électoraux, les raccourcis qui mènent au pouvoir en passant par le centre et l’aspiration des militants à un véritable parti de gauche.

On rêve cette fois d’un débat politique à découvert. Hélas, ça ne se passe jamais ainsi au Parti socialiste. Bad Godesberg (lieu de ce congrès-vérité du SPD en 1959) est définitivement en Allemagne. Il serait urgent pourtant que les fausses unanimités explosent. C’est DSK qui semble aujourd’hui le plus proche de cette opération-vérité. Qu’il aille au bout de sa logique. Mais la remarque vaut aussi bien pour la gauche du parti. Ou du moins pour ceux qui, en mai 2005, ont accompli cet acte politique majeur de se prononcer pour le « non » au référendum européen.

Le pire serait que MM. Fabius ou Montebourg, pour ne citer qu’eux, continuent de faire mine d’être d’accord avec tout et tout le monde, laissant aux observateurs le soin de décrypter des intonations ou un regard. François Hollande promet des Assises pour l’automne. Mais il est l’homme du « non-dit » et des affrontements toujours différés. L’homme du bilan d’avril 2002 qui n’a jamais été tiré. Est-il « compatible » avec les nécessités du moment ? Après tout, une droitisation assumée contraindrait chacun à se déterminer. Et la question ne se poserait pas seulement au sein du PS, mais à toute la gauche. Elle rendrait d’autant plus urgente la refondation d’une véritable gauche de transformation sociale. Une vaste opération-vérité en somme pour une gauche française qui vit depuis trop longtemps dans le mensonge. Que ceux qui veulent aller avec MM. Bayrou et Sarkozy le disent. Que les autres en tirent les conséquences. Car la gauche sociologique et cuturelle existe toujours dans ce pays. Elle est tout simplement orpheline.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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