Un journal à la botte

Michel Soudais  • 13 mai 2007
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Moins de 24 heures. C’est le temps qui s’est écoulé entre le «premier cas de censure de l’ère Sarkozy» et sa révélation publique par le nouveau site internet Rue89. Cette célérité est plutôt rassurante même si l’anecdote confirme l’effet délétère de la mainmise économique des amis du président sur les grands médias.

Cécilia n’a pas voté…

Les faits sont simples. En cherchant à retracer comment Nicolas et Cécilia Sarkozy avaient passé la journée du 6 mai, jour du second tour, «les journalistes du JDD ont découvert, en consultant le registre (public) du bureau de vote, que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté» , raconte Rue89. Après avoir «pris un cliché de la liste d’émargement» , nos confrères envisageaient samedi matin de faire état de leur découverte.

Arnaud Lagardère exige le silence

Selon Rue89, à ce moment là l’article a été «mis au « menu » du journal» alors qu’ «un second article qui mentionnait de vifs échanges, au cours de la soirée électorale, au sein du couple» était déjà recalé par la rédaction en chef. « Dans la journée de samedi, le directeur de la rédaction, Jacques Espérandieu, a demandé aux journalistes d’appeler la nouvelle « première dame » avant de publier l’information.»

»Une façon de tuer l’info… Sans surprise, Cécilia Sarkozy a répondu « no comment ». A la suite de quoi, plusieurs membres de la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy sont intervenus. Il s’agirait de Claude Guéant, Laurent Solly, et Franck Louvrier. Finalement, Arnaud Largardère, patron du groupe Lagardère, a exigé que l’article soit remis dans un tiroir. Ce qui fut fait vers 20 heures.»

Chut! c’est privé

Le scoop de Rue89 s’est si vite répandu sur la toile qu’il était difficile de se connecter au site cet après-midi. Comme lors des révélations du Canard enchaîné sur la bonne affaire immobilière du couple Sarkozy, l’agence de presse Reuters a été plus rapide que l’AFP, qui dispose pourtant de plus de moyens: la première dépêche de l’agence britanique sur la censure du JDD a été diffusée à 15h13, celle de l’agence française à… 18h35.

Interrogé par l’AFP, le directeur de la rédaction mis en cause, Jacques Espérandieu, dément toute pression de l’entourage de Nicolas Sarkozy et de son actionnaire principal. Il affirme que n’ayant pas obtenu de réaction de Cécilia Sarkozy ou de son entourage, il a «beaucoup réfléchi» , s’est dit qu’il s’agissait de la «sphère privée» et que «le vote est une affaire personnelle» . Comme s’il pouvait être indifférent de savoir que l’épouse d’un candidat qui se prévaut fréquemment du soutien de sa moitié s’était abstenue de voter pour lui.

«J’ai donc décidé de ne pas passer ce papier et j’en ai averti l’auteur de l’article» , assure-t-il, ajoutant avoir «eu un certain nombre de coups de téléphone de gens insistant sur le côté très privé et très personnel de l’information» .

«C’est moi qui ai pris la décision de ne pas passer le papier, j’assume
totalement en mon âme et conscience»
, a encore dit Jacques Espérandieu. En bon petit soldat, l’éditorialiste du JDD connaît la leçon. Son ancien supérieur au Parisien , Christian de Villeneuve, directeur général des rédactions de Lagardère Active Media, structure qui coiffe le JDD, l’a faite récemment aux journalistes de Paris-Match qui s’étaient émus que leur hebdo ait envisagé de faire sa Une sur Sarkozy, au lendemain du premier tour: «Vous travaillez pour Lagardère, c’est un choix qu’il vous faut assumer!»

Temps de lecture : 3 minutes
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