De l’énergie (verte) à revendre

L’ouverture des marchés de l’énergie, le 1er juillet, permet aux particuliers de choisir leur fournisseur. Peut-on se risquer à quitter EDF ? Que penser des offres « vertes » ? Faut-il opposer service public et accès aux énergies renouvelables ?

Patrick Piro  • 28 juin 2007 abonné·es
De l’énergie (verte) à revendre

Petite révolution culturelle française : à partir du 1er juillet, les particuliers pourront choisir leur fournisseur d’électricité et de gaz. Et donc délaisser, si l’envie leur prend, les opérateurs historiques que sont EDF (électricité) et GDF (gaz), en position de monopole depuis 1946 ! Les défenseurs du service public dénoncent les risques pour les usagers. Mais l’apologie à tous crins de ces monopoles publics à la française fait peu de cas de leur rôle dans le choix de politiques énergétiques fort peu écologiques, au point d’apparaître aujourd’hui comme contradictoires avec l’intérêt commun.

Illustration - De l’énergie (verte) à revendre


Remise en service de lignes coupées, à Redon. EDF est le premier énergéticien au monde. MOCHET/AFP

Nombreux sont ceux qui ne découvriront le bouleversement que le 1er juillet. La faute au gouvernement, qui n’a consacré que deux millions d’euros à l’information du public. Pourtant, l’ouverture des marchés de l’énergie, organisée à l’échelle européenne par des directives de 1996 et 1998, est dans sa phase finale. La France, très attachée à son service public de l’énergie et appuyée par EDF (le premier énergéticien au monde), avait à l’époque négocié de pouvoir étirer au maximum les délais d’entrée en vigueur de la concurrence entre fournisseurs : depuis 2000 pour les gros industriels, puis 2004 pour les PME et collectivités territoriales
[^2].

Plusieurs syndicats et associations de consommateurs s’inquiètent aujourd’hui des stratégies commerciales des opérateurs privés, qui tentent de débaucher la clientèle d’EDF en lui proposant des tarifs promotionnels alléchants ou des offres « vertes », garantissant que tout ou partie des kilowattheures fournis auront été produits par des énergies renouvelables ­ hydraulique, éolien, photovoltaïque (solaire) principalement [^3].

Le passage au privé et la multiplication des concurrents peuvent-ils favoriser le développement de l’électricité verte ? Une écologie « de marché » vient-elle faire son beurre sur les brisées du service public ?

Le mouvement Attac s’est fait l’écho de ce débat. Christiane Marty, chercheuse à EDF et syndicaliste à SUD-Énergie, voit ainsi des « prestations mensongères » derrière les slogans commerciaux appelant les particuliers à acheter de l’électricité verte : cela « préserve l’environnement » , « contribue à l’essor des énergies renouvelables » , etc. En réalité, acheter de l’électricité verte sur le marché libre « ne contribue en rien au développement de sa production » . En effet, analyse-t-elle, ce n’est pas la demande d’une clientèle spécifique qui soutient la production d’électricité verte, mais un régime d’aides : pour inciter des entreprises ou des particuliers à investir dans la construction d’éoliennes, de petites turbines hydroélectriques ou de panneaux photovoltaïques, la France (comme la plupart des pays européens), a choisi de fixer des tarifs attractifs [^4] pour l’achat de leur électricité, compensant des coûts de production plus élevés qu’avec les énergies conventionnelles
[^5] et offrant même, pour les grosses centrales éoliennes, des taux de rentabilité financière parmi les meilleurs du marché. Deuxième volet du mécanisme : EDF a obligation d’acheter tout kilowattheure (qu’il soit « vert » ou non) qu’un producteur souhaite vendre. C’est une contrepartie au monopole de la distribution qui lui a historiquement été concédé. Enfin, EDF est remboursée du surcoût que représente l’achat de cette électricité verte par le biais d’une contribution au service public de l’énergie (CSPE), qui apparaît sur la facture de tous les consommateurs d’électricité. « D’ores et déjà, les particuliers financent donc le kilowattheure vert » , fait remarquer Christiane Marty.

Prix administrés, obligation d’achat par EDF, redevance des consommateurs : l’économie de l’électricité verte, en France, est donc sous régime fortement administré. Et EDF, en quelque sorte, assurerait déjà des missions de service public de développement de l’électricité verte… Conclusion de la chercheuse : quel intérêt dès lors, pour un client préoccupé par l’environnement, d’opter pour l’offre « verte » d’un fournisseur privé : « même Enercoop » ? Jacques Weber, membre d’Attac, s’inquiète du « raccourci rapide et fâcheux » consistant à assimiler cette initiative au « néocapitalisme vert » de négociants surfant sur la vague écologique pour faire du profit.

Singularité, parmi la dizaine de fournisseurs d’électricité que comptera le marché libre au 1er juillet [^6], Enercoop est une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), agréée « entreprise solidaire ». Elle a été créée en 2005 à l’initiative d’associations écologistes comme Greenpeace et Hespul, avec pour objectif de remettre en cause le modèle énergétique actuel : promotion des économies d’énergie, relocalisation de la production pour limiter le transport d’électricité sur de grandes distances (dispendieux et générateur de pertes), appui aux petits producteurs d’électricité verte.

« On voudrait parfois nous faire un sort en dépeignant une dichotomie simpliste entre un secteur public 100 % vertueux et un secteur privé 100 % néfaste pour l’intérêt collectif » , s’insurge Patrick Behm, directeur d’Enercoop, qui interroge : jusqu’où l’entreprise publique s’occupant d’électricité répond-elle au besoin collectif ? A-t-elle engagé la transition énergétique, la marche active vers une réelle sobriété, la décentralisation de la production fondée sur de petites unités à énergie renouvelable, avec des choix transparents et une gouvernance démocratique ? « EDF a longtemps confondu « service public » avec « incitation à consommer » pour écouler sa surproduction nucléaire , souligne Benjamin Dessus, économiste et spécialiste des questions d’énergie. Le monopole public a conduit à un modèle de production hypercentralisé, basé sur le tout-nucléaire au détriment des autres filières, provoquant un important retard dans le développement des nouvelles filières d’énergies renouvelables. »

Pour Jacques Weber, la faiblesse du soutien reçu par EDF lors de son changement de statut est en partie due aux divisions qui opposent mouvements « écologistes » et mouvements « sociaux » à son sujet. « Ne nous trompons pas d’ennemi » , prévient-il, distinguant même dans la coopérative Enercoop une forme représentative d’un service public moderne, décentralisé, regroupant autour d’une même table salariés, collectivités locales et usagers.

[^2]: Pour l’électricité, la déréglementation est en vigueur depuis 1996 en Suède, et même 1990 au Royaume-Uni.

[^3]: Ce débat ne concerne pas GDF ni le gaz naturel, énergie primaire non transformée à la différence de l’électricité.

[^4]: Jusqu’à 0,55 euro par kilowattheure pour le photovoltaïque.

[^5]: Nucléaire, fioul, gaz, charbon, largement subventionnés pendant des décennies.

[^6]: Ils ne visent pas tous les particuliers. Voir le site mis en place par le gouvernement : .

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes