Israël en accusation

Deux associations, l’une française et l’autre américaine, dénoncent dans un rapport les « crimes de guerre » commis au Liban pendant le conflit de l’été dernier.

Claire Demont  • 7 juin 2007 abonné·es

Dans un rapport rendu public le 9 mai, l’Union juive française pour la paix [^2] et l’Association américaine de juristes [^3] dressent la liste des violations du droit international et du droit international humanitaire commises, selon elles, par l’armée israélienne durant le conflit israélo-libanais du mois d’août dernier. Les auteurs ont adressé un document de 110 pages, fruit de leurs investigations, au procureur de la Cour pénale internationale.

L’enquête s’appuie sur de nombreux témoignages. Les auteurs ont rencontré des civils, des personnels médicaux, des responsables du Hezbollah ainsi que de partis politiques et des associations humanitaires libanaises. Selon eux, les préjudices endurés par les civils ne constituent en aucun cas des « dommages collatéraux » mais résultent d’attaques délibérées généralisées et systématiques.

Les deux associations rapportent que l’armée israélienne reconnaît avoir déversé près d’un million de bombes à fragmentation sur le territoire libanais. Dans les villages, on les surnomme communément les « bombes chocolat ». Et pour cause, « il s’agit de bombes pièges sous forme de cadeaux, de grenouilles ou de chocolat qui attirent, tout d’abord, la curiosité des enfants » , détaille l’enquête. Elle raconte l’histoire d’Abbas Abbas, 6 ans, qui a ainsi été victime d’une « bouteille de parfum » ramassée dans le jardin de ses parents le 26 août, c’est-à-dire une fois la guerre finie. L’enfant a été blessé au bas ventre et à l’abdomen. Il a subi plusieurs interventions chirurgicales. Et son bras gauche souffre désormais de paralysie totale. Les enquêteurs précisent que « ce type de munition a été utilisé de manière indiscriminée et délibérée par les forces armées israéliennes sur l’ensemble du territoire libanais et plus particulièrement au sud » .

Ils affirment qu’ « en tout, les forces armées israéliennes ont détruit 109 ponts et 137 routes », ce qui a « empêché, dans de nombreux endroits, l’accès aux civils, tout comme le départ de nombreux civils ». Les rapporteurs ont recueilli le témoignage d’Ali Abbas, 69 ans, laboureur. Le 21 juillet, ce dernier a été enseveli sous les décombres d’une maison bombardée. Ali Abbas a été blessé au bras gauche, à l’épaule, au dos et à la cuisse droite. Aidé par sa famille, il mettra trois jours à rejoindre l’hôpital.

L’Union juive française pour la paix et l’Association américaine de juristes décrivent la destruction de l’hôpital Dar Al Hawaraa. « Fondé en 1984, ce centre est une organisation non-gouvernementale. […] Située dans le quartier populaire de Haret Hreit, d’une superficie de 1 200 mètres carré répartie sur huit étages, cette structure associative offre des soins médicaux à une population pauvre ; près de 8 000 patients par mois. Le prix des soins, contrairement aux mêmes services offerts par d’autres structures, est de quatre dollars par acte, alors qu’ailleurs, il avoisine les 20 dollars. Au tout début du conflit armé, et par mesure de précaution, le centre a été vidé de ses patients, il pouvait être une cible malgré la croix rouge peinte sur le toit. Le bombardement du centre médical a eu lieu durant la nuit du 17 juillet. L’immeuble de huit étages a été totalement soufflé ­ par une bombe à oxygène ­ en moins de dix minutes. Il ne reste plus qu’un tas de gravats haut de trois à quatre mètres. Aujourd’hui, l’ONG a dû louer un appartement de cinq pièces pour continuer son travail de soins auprès de la population. »

Selon les deux associations, deux hôpitaux publics ont, eux aussi, été rayés de la carte et trois autres considérablement endommagés, selon les auteurs.

Il y faut ajouter le désastre environnemental et ses conséquences sur les humains. Ainsi, « les réservoirs de Jiyeh ont été l’objet de plusieurs attaques aériennes. La première s’est produite le 13 juillet 2006, durant laquelle un des réservoirs d’une capacité de 10 000 tonnes de fuel a été détruit ; la seconde, le 15 juillet, a vu la destruction d’un réservoir de 15 000 tonnes. Ces destructions de réservoirs ont eu des effets dommageables sur l’environnement et sur l’écosystème méditerranéen ; des produits dangereux pour l’environnement en général, et pour la santé de la population en particulier, se sont déversés dans la mer. Une marée noire, considérée comme la pire catastrophe environnementale dans cette partie de la Méditerranée, a touché les trois quarts des quelque deux cents kilomètres des côtes libanaises, elle est remontée jusqu’à la côte syrienne entre la frontière libanaise et Tartous, à deux cent soixante kilomètres au nord-ouest de Damas ». Les deux associations assurent qu’il s’agit là encore d’attaques délibérées d’infrastructures civiles ne pouvant être considérées comme des cibles militaires.

Les rapporteurs mettent aussi en évidence la destruction de la forteresse de Khiam et, par là même, de « la mémoire historique et des traces des pratiques israéliennes ». Cette forteresse avait été édifiée pendant la colonisation française. Sous l’occupation israélienne, elle avait été transformée en centre de détention où l’on pratiquait la torture. Après le retrait des troupes israéliennes du Liban Sud, en 2000, ce centre a fermé, et la forteresse est devenue un musée de la mémoire. On y montrait les conditions de vie des prisonniers libanais. « Le site a été bombardé et entièrement détruit ; il ne reste qu’un tas de gravats et de décombres. […] Cela s’apparente à un acte de vengeance et de vandalisme ».

Les auteurs concluent que « les actes israéliens font partie d’une politique étatique, tant dans sa continuité dans le temps, dans la prolongation des actes illicites, que dans la violation systématique de la Charte des Nations unies, ainsi que du droit international en général. […] Les violations réitérées de la résolution 1701 [^4] suggèrent que dans le système des Nations unies, il y a des États qui seraient autorisés et/ou qui auraient le « droit » de violer les règles du droit international et les résolutions du Conseil de sécurité ».

En envoyant leur rapport à la Cour pénale internationale, l’Union juive française pour la paix et l’Association américaine de juristes espèrent « contribuer à la prévention et à la répression des crimes, en vue de mettre fin à l’impunité des violations du droit international » . On doute cependant que ce document ait une suite juridique, et moins encore politique. Tout au plus peut-il contribuer à faire prendre conscience à l’opinion de la gravité des événements de l’été dernier. Le bilan, aussi tragique soit-il, ne suffit pas à rendre compte de la nature de cette guerre. Et du caractère souvent délibéré des crimes qui ont été commis.

[^2]: L’Union juive française pour la paix (UJFP) milite depuis 1994 pour la paix au Proche-Orient et pour un dialogue judéo-arabe en France.

[^3]: L’Association américaine de juristes, fondée au Panama en 1975 par des juristes de l’ensemble du continent américain, a pour objectif de combattre l’impérialisme et de promouvoir la paix par le droit.

[^4]: Résolution adoptée le 11 août 2006 par le Conseil de sécurité concernant le respect du cessez-le-feu à l’égard du Liban et d’Israël.

Monde
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