«~La poésie est dans la rue ~»

Jean-Claude Renard  • 26 juillet 2007 abonné·es

Florilège de mots~: « Ici on spontane » ~; « Exagérer, c’est commencer d’inventer » ~; « Ne vous emmerdez pas, merdifiez » ~; « Nous refusons d’être HLMisés, diplômés, recensés, endoctrinés, sarcellisés, sermonnés, matraqués, télémanipulés, gazés, fichés. » Dans ce printemps 1968, il n’y a pas que les pavés qui volent. Le langage se veut au diapason. « La poésie est dans la rue. » Avec un discours où caracolent phrases et sentences, où poulopent les adjectifs, s’enhardit tout un bastringue verbal. L’impertinence se fait rimbaldienne, voire dadaïste. « À bas le réalisme socialiste. Vive le surréalisme. » Méli-mélo de revendications, d’injonctions, de suggestions. En période révolutionnaire, il faut bien aussi que le verbe passe à tabac. Foin de Paul Bourget plus qu’à moitié, d’un discours académicien au phrasé qui sent le sapin. « Jamais plus Claudel » , lit-on sur un mur de Nanterre. Balayé De Gaulle avec son sens de la formule, fort d’un ou deux mots (le « machin » ou la « chienlit » ), mais surtout pas libertaire. Or, « si vous continuez à faire chier le monde, le monde va répliquer énergiquement » . Justement, il s’y emploie. Et demande « l’impossible » (ce qui en soi est une pensée philosophique). Il s’agit donc d’explorer « le hasard » . Ou plus, quand l’heure est à « À bas » : la « charogne stalinienne » comme « la société de consommation » . Car « on ne revendiquera rien, on ne demandera rien, on prendra, on occupera » , est écrit à la Sorbonne, tandis que sur l’avenue de Choisy, le conseil est plus précis~: « Ne prenez plus l’ascenseur, prenez le pouvoir. »

Surtout, c’est là un langage trempé d’oralité. « CRS SS » qu’on souffle à la gueule du casqué, masqué, bâtonné. Au reste, l’uniforme en prend ici pour son grade~: « L’aboutissement de toute pensée, c’est le pavé dans ta gueule, CRS » ~; « À vendre, veste en cuir spéciale manifestation, garantie anti-CRS, grande taille, prix 100 F » ~; « Mettez un flic sous votre moteur » ~; « La plus belle sculpture, c’est le pavé que l’on jette sur la gueule des flics. » Érigé en symbole, le pavé est devenu le plat de consistance (en lieu et place du pavot). Même lorsqu’il s’agit d’amour~: « Je t’aime~!!! Dites-le avec des pavés. » À bien des égards, il s’est agi de muer les mots d’ordre en jeux de mots. Et de substituer au travail salarié aliénant de la société de consommation le travail du langage et du corps, tant les deux sont inséparables d’une économie libidinale révolutionnaire~: « Jouissez ici et maintenant. » Voilà le désir libéré, et ses idées sont inséparables d’une forme ludique et jouissive.

À l’évidence, le ras-le-bol exprimé au cours de ces quelques semaines s’est piqué d’utopie (« Sous les pavés la plage »~; quoique~: les pavés parisiens reposent en effet sur un lit de sable). Et à l’intérieur de cette utopie (façon structure en oignon, véritable synecdoque de ce mois de mai), la dérision ­illustrée par la série des Shadoks, inaugurée le 28 avril 1968 et interdite dès le 13 mai. Cette dérision que précisément l’autorité ne peut maîtriser.

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Dans 56 journaux télévisés, moins de 3 minutes sur Gaza
Palestine 12 novembre 2025 abonné·es

Dans 56 journaux télévisés, moins de 3 minutes sur Gaza

Un mois après le « plan de paix » signé sous l’impulsion de Donald Trump, Benyamin Netanyahou a relancé les bombardements sur Gaza, en violation de l’accord. Depuis trois semaines, les médias français semblent passer sous silence la reprise de l’offensive israélienne.
Par Kamélia Ouaïssa
« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »
Palestine 11 novembre 2025

« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »

Jeudi 6 novembre, le collectif Palestine Action France a perturbé la tenue du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris. Des militants se sont fait violemment frapper par des spectateurs. Pour la première fois, une participante prend la parole pour expliquer sa version des faits.
Par Pierre Jequier-Zalc
Philharmonie de Paris : le contenu des deux plaintes pour violence volontaire
Révélations 10 novembre 2025

Philharmonie de Paris : le contenu des deux plaintes pour violence volontaire

Lors de l’action contre la tenue du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, jeudi 6 novembre, deux militants propalestiniens se sont violemment faits frapper. Blessés, ils ont porté plainte pour violence volontaire.
Par Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes
Enquête 5 novembre 2025 abonné·es

Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes

Une plainte pour « abus d’autorité » a été déposée contre le préfet des Hautes-Alpes par une famille expulsée illégalement en septembre. Celle-ci était revenue en  France traumatisée et la mère avait fait une fausse couche, attribuée au stress causé par l’expulsion.
Par Pauline Migevant