Le poids de la famille

Un film, un documentaire et un portrait consacrés à la mafia. Sombre tableau.

Jean-Claude Renard  • 5 juillet 2007 abonné·es

C’est évidemment une source d’inspiration pour romanciers et cinéastes. Francesco Rosi en a usé pour des oeuvres remarquables, de Salvatore Giuliano (1961) à l’Affaire Mattei (1972) ou Cadavres exquis (1975). La réalité est plus sombre encore que sur la pellicule et remet loin. Les origines de la mafia sont à l’image de l’organisation clandestine. Troubles. Elle naît probablement au mitan du XIXe siècle, en opposition à toute idée de soumission à un État central. Son nom relèverait d’une origine arabe, la mûafât , signifiant courage et protection.

D’un rôle de résistant, la mafia est passée à la criminalité, au service d’intérêts privés, soudoyant juges, policiers et politiques, pratiquant le racket (le pizzo en italien) tout en endossant le titre d’«~honorable société~», une société apparentée à une famille (au sens large du terme), avec ses règles, ses codes d’honneur, ses lois ancestrales. Un État dans l’État. Et, de-ci de-là, plié aux soubresauts de l’histoire.

Mussolini, en duce voulant tout régir, tente de la briser, en envoyant sur place un préfet aux pleins pouvoirs. Sans conséquence. C’est aussi dans le contexte antifasciste que les Alliés se sont adossés à la mafia pour faciliter le débarquement de juillet 1943 sur les côtes de l’île. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, investie dans les milieux économiques et politiques, tissant sa toile telle une araignée, ou s’agrippant telle une pieuvre (on parle souvent de « piova » pour la désigner), la mafia possède ses clans, ses têtes d’affiche. Lucky Luciano, Vito Genovese, puis Luciano Liccio, originaire de Corleone (dont la petite cité a donné son nom au clan des Corleonesi), Salvatore Riina, Bernardo Provenzano… Les rivalités internes s’accompagnent des assassinats de ceux qui entravent sa bonne marche. Scaglione, procureur de Palerme, est tué en 1971, La Torre, chef du Parti communiste sicilien, et le général Dalla Chiesa sont exécutés en 1982, les juges Falcone et Borsellino en 1992. Quelques arrestations spectaculaires se succèdent, comme celle de Riina en 1993 et de Provenzano, le parrain des parrains, en 2006, après quarante-trois ans de cavale.

C’est précisément, après le film Donnie Brasco de Mike Newell (avec Al Pacino), un portrait du « dernier parrain » que propose cette soirée thématique consacrée à la mafia. Réalisé en 2004, le film de Marco Amenta échappe à l’arrestation de Provenzano. Il n’en livre pas moins les ressorts qui permettent à l’organisation d’échapper au droit, et pointe les partis politiques mouillés (la Démocratie chrétienne en particulier). Les années Berlusconi, fortes du clientélisme, ont tout naturellement favorisé le capital de la mafia (l’un des bras droits du cavaliere , Marcello Dell’Utri, a été condamné à neuf ans de prison pour association mafieuse).

Après le Dernier Parrain, suit un portrait, réalisé par Daniela Zanzotto, de Letizia Battaglia, photographe engagée contre la mafia (et qui serait le pendant de Franco Zecchin, photographe «~officiel~» de Cosa Nostra). Aujourd’hui, sans doute affaiblie, l’honorable société parvient encore à se tailler des monopoles dans le béton, le transport, les agrumes. Internet est un moyen de blanchir l’argent sale, tandis que la construction du gigantesque pont au-dessus du détroit de Messine, reliant l’île à la péninsule, est d’ores et déjà perçue comme une nouvelle manne financière. Moins la construction que ses à-côtés : les fabriques de sable, le transport de détritus, de l’approvisionnement des chantiers. De quoi « faire bouillir la marmite pour tous » , selon l’expression mafieuse.

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