L’invasion des « gros culs »

En dépit de la pollution et d’un nombre d’accidents en hausse, le trafic des camions ne cesse de s’intensifier sur nos autoroutes. Alors que des alternatives sont négligées.

Claude-Marie Vadrot  • 26 juillet 2007 abonné·es

Impossible d’écouter un bulletin d’information sans apprendre que, quelque part, un camion renversé obstrue une route ou une autoroute. Ce n’est guère surprenant : depuis dix ans, la progression du trafic en France a été légèrement supérieure à 25 %, et elle approche 30 % pour l’Union européenne. Celle-ci devrait prochainement faire « mieux » grâce à la participation des camions roumains.

Partout, les autoroutes contribuent à la croissance du trafic. C’est le cas pour la France, avec ses 567 000 poids lourds, qui s’ajoutent à la marée grandissante de « gros culs » en provenance de l’étranger. L’axe Espagne-pays du Nord est particulièrement gâté, notamment grâce au transport des fruits et légumes. Cette situation qui, certains jours, frôle la saturation n’incite pas la France à ralentir son programme autoroutier, alors que son réseau est majoritairement utilisé (à 70 %) par des camions venant d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie et de Belgique pour le trafic international de marchandises.

La route, en France et en Europe, est le seul mode de transport de marchandises en progression depuis dix ans. Les pays d’Europe orientale sacrifient leur réseau ferré parce qu’ils spéculent sur les bas salaires de leurs chauffeurs, bien plus mal payés qu’en France, en Allemagne ou en Espagne. Cette évolution, qui ressemble à une déréglementation (et surtout à une délocalisation silencieuse), a réduit la part du fret ferroviaire à 8 % pour la France et à 7 % pour l’Union européenne.

Ces chiffres proviennent des études de la Commission de Bruxelles, qui font remarquer qu’aux États-Unis la part du fret ferroviaire est de 40 %. De quoi faire rêver sur un continent européen qui ferme près d’un millier de kilomètres de chemin de fer par an… Participant à la décroissance d’un transport moins polluant, la SNCF débarrasse à la fois les gares et les voies : la plupart des gares de marchandise de la Creuse ont été fermées au cours des dernières années, ce qui entraîne le transport par camion ­ sur des routes étroites ­ des arbres qu’exporte ce département>

D’autres régions subissent ces restrictions discrètes et ignorées : le fret par rail n’est plus considéré comme un service public. Cet engrenage du transport « tout routier », les pouvoirs publics l’évoquent le moins possible, et il faut fouiller longtemps dans les statistiques pour trouver des éléments montrant sa progression et l’accidentologie qui en découle. Le lobby du transport routier et celui des autoroutes, en extension, sont puissants, et personne ne se risque à les contrarier. Voilà pourquoi les routes des vacances, comme le reste de l’année, sont de plus en plus encombrées par des « trains » de camions. Au point qu’en désespoir de cause, il y a quelques jours, le ministère des Transports a ordonné que les poids lourds (et les caravanes) soient interdits de dépassement sur certains tronçons de l’autoroute A7 jusqu’au 8 septembre. La même mesure a été expérimentée dans le Sud-Ouest, après que les autorités eurent constaté que, depuis dix ans, le nombre de camions par jour était passé d’un peu plus de 5 000 à près de 8 000 unités.

Autre façon de considérer les chiffres : le trafic des poids lourds représente 6 % du kilométrage parcouru par les véhicules à quatre roues, mais la proportion des accidents mortels est de 9 %. Distorsion qu’il est possible de présenter ainsi : pour les véhicules légers, le nombre de personnes tuées est de 6,5 pour cent accidents, alors que le chiffre est de 16,10 pour les poids lourds. Autre façon de raisonner : les camions représentent 5 % des accidents corporels et 12, 4 % des accidents mortels.

Face à ce déferlement, la seule innovation, lancée le 2 juillet dernier, est une liaison par voie ferrée des camions entre le Luxembourg et Perpignan. Un transfert qui, au mieux, prendra en charge 40 poids lourds par jour. Le projet, toujours discuté et toujours remis, d’un ferroutage de 175 km entre la France et l’Italie reste un voeu pieux. Alors que le trafic de camions par l’autoroute du sud de la France à la frontière de Menton a doublé depuis dix ans.

Dernier point : le trafic des camions génère évidemment des pollutions. En produisant de l’oxyde d’azote, des microparticules de suie et des gaz à effet de serre. D’ailleurs, les différents plans climat évitent de s’en prendre à ce trafic en hausse, et ce n’est pas le pâle commissaire européen aux Transports, Jacques Barrot, qui y changera quelque chose. Lui qui, il y a quelques mois, rappelait que, depuis dix ans, le trafic des marchandises par la route avait augmenté de 35 % contre 6 % pour le rail, prévoyant à l’horizon 2020 une croissance supplémentaire de 55 %, alors que le fret par voie ferrée augmentera au mieux de 13 %. En attendant les « super-poids lourds » de 25 mètres de long et de 60 tonnes que préparent les Allemands…

Écologie
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