Un marché de dupes ?

Les associations s’engagent avec circonspection dans le « Grenelle de l’environnement », qui devrait se tenir fin octobre. Elles craignent une récupération par le gouvernement et une division de leurs troupes.

Patrick Piro  • 12 juillet 2007 abonné·es

Jeudi dernier, lors d’une réunion « vérité » dans le bureau de Nathalie Kosciusko-Morizet, une note émise la veille par le cabinet de la secrétaire d’État à l’Écologie met le « Grenelle de l’environnement » au bord de l’implosion, avant même son lancement officiel : au lieu d’une négociation multipartite [^2], il n’est plus question que d’un simple processus de proposition destiné à inspirer un plan d’action gouvernemental ! Démenti gêné de « NKM »… avant confirmation, lundi, de son patron Jean-Louis Borloo ! « La situation se tend nettement, c’est un vrai rapport de force , déplore Sandrine Mathy, présidente du Réseau action climat (RAC). Un pas en avant, deux en arrière, on navigue de surprise en surprise. Par exemple, on a découvert que l’agriculture avait disparu des thématiques… » Avant d’être rétablie. Mais sans les OGM, simplement cantonnés aux questions sanitaires. Le stockage du CO2, très controversé par les associations, a surgi dans la thématique « énergie-climat », etc. Le Grenelle de l’environnement s’annonce-t-il déjà un marché de dupes ? Passage en revue des points de friction.

Illustration - Un marché de dupes ?

Neuf « grandes associations » écologistes ont été initialement convoquées pour lancer cet événement : Greenpeace, WWF, France nature environnement (FNE), la ligue Roc (pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs), la Fondation Nicolas-Hulot (FNH), la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ainsi que les Amis de la terre, le RAC et Écologie sans frontière, représentant l’Alliance pour la planète, plate-forme de 77 associations créée pour intervenir pendant les campagnes électorales. Certaines ont une forte légitimité (Greenpeace, WWF, FNE, Amis de la terre, FNH, etc.), mais la présence d’Écologie sans frontière, notamment, fait grincer des dents. Pratiquement inconnue, l’association connaît une notoriété soudaine, à l’occasion, par exemple, d’une étude sur la pollution de l’air parisien, publiée il y a un mois. « S’agit-il d’un plan de crédibilisation ? s’interroge Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau sortir du nucléaire. Ses positions modérées correspondent bien à ce que Sarkozy pourrait accepter. Est-ce un hasard ? »

Le casting de ce groupe dit « de contact » remonte au 31 mars. Nicolas Sarkozy, répondant au coup de gueule de Nicolas Hulot, qui déplorait la disparition de l’écologie dans la campagne présidentielle, avait reçu ce dernier, qui s’était adjoint des représentants d’associations : celles qui forment l’actuel groupe des neuf, validé ce jour-là par le futur Président, tout comme l’idée d’un Grenelle de l’environnement, émise par… Écologie sans frontière [^3].

L’Alliance pour la planète est déjà fragilisée par les premières manœuvres : le Réseau sortir du nucléaire a quitté le collectif, qui refuse de faire de l’abrogation de l’arrêté gouvernemental autorisant la construction du réacteur nucléaire EPR un préalable à sa participation ; FNE s’est retirée, tout comme la FNH, pour avoir les mains libres lors des négociations. Nicolas Hulot renforce son rôle central dans le processus, et les associations historiques voient leur rôle amoindri. Ainsi, le RAC a dû laisser sa place à Good Planet, ONG créée en 2005 par le très médiatique photographe Yann Arthus-Bertrand. Et, alors qu’Alain Juppé avait décrété le nucléaire non négociable la veille de sa première rencontre avec les associations, le Réseau sortir du nucléaire (800 associations membres) se retrouve marginalisé, bien qu’ayant mis dans la rue 60 000 personnes contre l’EPR le 17 mars dernier.

Quelle est la légitimité des acteurs associatifs cooptés ? Le monde associatif est bien est en peine de répondre à cette question gênante, alors qu’il ne s’est jamais doté de critères de représentativité. Circonstance aggravante, le gouvernement tente de tirer parti de cette faiblesse pour imposer les représentants des associations au sein des groupes de travail (voir encadré). En particulier, l’Alliance, qui voit sa reconnaissance mise en question, compte durcir sa position.
Mais c’est aussi la marche forcée voulue par le Président qui met les associations en situation délicate. « Le rythme est démentiel, on n’a pas les moyens de travailler » , reconnaît Yannick Jadot, de Greenpeace. Le Grenelle, initialement prévu en septembre, a été repoussé à fin octobre. « Mais c’est insuffisant pour une concertation aussi importante , juge Stéphen Kerckhove, directeur d’Agir pour l’environnement. On voudrait nous faire croire que l’urgence écologique justifie l’urgence médiatique orchestrée par Sarkozy, ce qui va rendre très difficile l’émergence de positions et de limites communes. Nous nous mettons en situation de subir sa logique de “coup”. »

Trop dense aussi, ce Grenelle, qui pourra débattre « de tout » , a prévenu Nicolas Sarkozy. « Mais comme il veut déboucher sur des mesures, va-t-on devoir hiérarchiser les crises ? , s’inquiète Stéphen Kerckhove. L’environnement n’est pas une foire au troc… » Figure couramment citée de ce dilemme : lâcher prise sur le nucléaire (au nom du climat) pour gagner sur les OGM. « Le risque du clientélisme thématique existe, reconnaît Yannick Jadot. Il faut l’éviter en bâtissant une plate-forme de propositions et en renforçant la loyauté entre nous. »

Il n’est pas trop tôt pour parler de lignes rouges… Greenpeace signale d’ores et déjà qu’il ne se voit pas négocier quoi que ce soit lors d’un Grenelle alors que des militants écologistes seraient emprisonnés : des activistes de l’association, à la suite d’actions antinucléaires, ou des faucheurs d’OGM condamnés – José Bové, Jean-Émile Sanchez, Gilles Lemaire, etc.

Le mouvement associatif en a conscience : le rouleau compresseur du Grenelle de l’environnement risque de le diviser, facilitant la récupération de la mise par le gouvernement. Pourtant, estime Arthur Le Floc’h, des Amis de la Terre, « nous n’avons pas non plus intérêt à laisser trop de temps au gouvernement pour s’organiser ». Pour une frange des ONG, les cafouillages de ces dernières semaines traduiraient la crainte du Président d’être piégé par la machine qu’il a enclenchée. « L’enjeu est considérable, et la perspective d’une vraie négociation lui fait peur , estime Yannick Jadot. Nous avons pour nous la crédibilité de décennies d’expertise, et, dans l’opinion publique, la légitimité. Le gouvernement ne peut pas se payer le luxe d’un échec, et surtout pas de nous voir claquer la porte. »

[^2]: En référence aux accords négociés entre syndicats, patronat et gouvernement en pleine crise de Mai 68.

[^3]: Qui n’aurait pas d’accointances avec le Président.

Écologie
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