Quand la coupe déborde

Avec la Coupe du monde de rugby, qui s’ouvre ce vendredi à Saint-Denis, un sport qui avait jusque-là échappé à la surmédiatisation devient un enjeu politique et financier.

Denis Sieffert  • 6 septembre 2007 abonné·es

Nous sommes nombreux à entretenir avec le sport de compétition un rapport ambigu, voire gentiment hypocrite. Critique avant et après le match, passionné pendant. C’est que, quoi qu’on en dise, et quoi qu’on en sache, le foot, le rugby, le cyclisme, l’athlétisme font partie d’une culture populaire qui nous renvoie souvent à l’héritage paternel et à la petite enfance. Lire Camus évoquant les matchs de foot sur les terrains vagues de Kouba, près d’Alger, entre « gosses arabes et français » . Que celui qui n’a jamais porté les « couleurs » du CMS Pantin (ou d’un semblable) me jette la première pierre ! Cela n’empêche pas d’être lucide : depuis Athènes et Rome, les jeux du cirque ont toujours eu une double fonction politique de dérivatif et d’exaltation des sentiments d’appartenance communautaire. En termes modernes, cela donne l’abrutissement et le nationalisme. Reste à savoir si l’esprit de clocher qui anime les pittoresques supporters de Figeac quand leur équipe joue contre Cahors, ou ceux de Villeneuve quand ils vont à Marmande, porte vraiment en germe le nationalisme des Jeux olympiques de 1936 ou de la Coupe du monde de la dictature argentine de 1978…

Illustration - Quand la coupe déborde

Avant le match qui oppose l’équipe de France à celle de la Nouvelle-Zélande en novembre 2002. FIFE/AFP

Le débat est sans fin. Mais la dialectique hégélienne nous a tout de même appris que la quantité changeait sérieusement la qualité. Autrement dit, que la mesure, la compétition cantonnée dans certaines limites, et tenue dans certaines règles, pouvait préserver des vertus éducatives. Hélas, c’est la démesure qui domine aujourd’hui. Moins celle du nationalisme que celle du fric, avec son corollaire, le dopage. Au point que même pour un passionné, brillant adepte du déni de réalité, le Tour de France n’est plus aujourd’hui ni crédible ni regardable.

La démesure, c’est aussi l’arrivée des droits de télévision, dans les années 1980, de l’invasion publicitaire autour des événements sportifs ­ principalement le foot ­, de l’explosion des salaires des joueurs, et de l’exaltation délibérée et organisée des clubs de supporters. Jusqu’à ce que les apprentis sorciers fassent mine de s’émouvoir de leur créature. Les nazis du virage de Boulogne du parc des Princes ont longtemps fait d’excellents supporters du Paris-Saint-Germain…

Il est vrai que le rugby n’en est pas là. Pas encore. Sa culture à la fois rurale et universitaire lui épargne, pour un temps au moins, d’être le prétexte d’affrontements d’un lumpenprolétariat urbain en perdition. Certains pensent ­ et il faut lire l’intéressant entretien qui suit avec l’ex-rugbyman Serge Simon ­ que ce sport porte en lui des valeurs intrinsèques qui le préservent de ces folies. D’autres estiment que l’arrivée massive du fric le pourrira comme il a pourri d’autres disciplines. </>

Encore un débat sans fin. La chance du rugby est qu’il ne sera peut-être jamais assez attractif pour les publicitaires (cela n’empêche pas certains clubs d’être des officines d’une droite évidemment… musclée). Mais des événements surmédiatisés comme la Coupe du monde le précipitent tout droit dans la démesure. D’ores et déjà, en nommant Bernard Laporte au gouvernement, Nicolas Sarkozy a fait de cette compétition un enjeu politique, jusqu’à la caricature.

Société
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