Ronde de nuit

Franck Berthier explore le monde noir et tendre
de Fabrice Melquiot.

Gilles Costaz  • 13 septembre 2007 abonné·es

Toujours différentes et toujours identiques sont les pièces de Fabrice Melquiot, qui a été révélé naguère par Emmanuel Demarcy-Mota (le directeur de la Comédie de Reims le conserve dans son staff, à titre d’écrivain associé, et, fidèle, continue à monter une partie de sa production, prolifique), et dont beaucoup de jeunes compagnies jouent les oeuvres. C’est qu’il y a, chez Melquiot, un art moderne de traverser les apparences, une manière de représenter notre quotidien derrière ses évidences et à travers ses brisures secrètes. Son théâtre est à la fois irréel et tellement réel ! Ces tableaux de nous-mêmes nous renvoient des images tendrement distordues et follement éclairantes.

Aujourd’hui, le metteur en scène Franck Berthier s’intéresse à Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit ­ un titre lyrique et apparemment optimiste, qui cache une vision assez sombre. Tout n’est qu’errance dans ces trajectoires où chacun cherche à ne pas être seul et où chacun l’est. Melquiot écrit en introduction : « Et la vie n’est plus que ces habitudes que le sexe a prises en nous, car nous sommes des jouets. Heureusement, l’aube. » Mais l’aube est d’une clarté bien pâle !

Il y a d’abord un sosie d’Elvis Presley, casque de cheveux noirs, costume bleu aux pattes d’eph (très bon Jean-Pierre Poisson). Il chante autre chose sur les musiques d’Elvis, il est la vie rêvée et triste, le paradis artificiel des dancings. Tandis qu’il passe et repasse, la vie d’une famille et de quelques proches s’accélère. Le père, veuf, est devenu homo et traîne un épais mal de vivre. Les deux fils tournent mal, l’un plus que l’autre. Car l’un est sans scrupule et l’autre en a. L’un prend les filles à la hussarde, l’autre ne sait pas s’y prendre. La jeune fille aimée par le plus doux se réfugie dans ses bras, mais connaîtra des sensations fortes dans les bras de celui qu’elle n’aime pas. Elle est compliquée, la vie~! Elle l’est aussi pour un autre paumé, qui se croit poète et dit ses vers touchants et ridicules. Le temps agite tout ça et mène ces êtres où ils ne pensaient pas toujours aller. C’est une ronde qui ne tourne pas rond.

La scène est noire et la lumière découpe des tableaux dans l’obscurité. Des tulles créent des écrans. L’action se passe sur tout le plateau ou à l’intérieur de cadres serrés. Moments de vie frénétique, d’immobilité, de sexualité, d’intériorité. Franck Berthier déploie une belle palette de langages théâtraux. Avec peu de moyens, il trouve l’équivalent du gros plan, du travelling, du montage doux et heurté. C’est dur et attendri, violent et rêveur. Elsa Rozenknop, Daniel San Pedro, Justine Martini, Guillaume Ravoire, Patrick Palmero et Arnaud Denissel déploient un jeu physique dans le genre du cinéma noir et, tout à coup, font chanter les notes intimes du texte. C’est beau comme une chanson populaire cassée, démystifiée, qui reste lancinante.

Culture
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