Best of colonial

Dans « la Comédie indigène », le Tunisien Lofti Achour met en scène une histoire des clichés racistes véhiculés par les autorités politiques, culturelles ou scientifiques françaises. Pour mieux les démonter.

Gilles Costaz  • 11 octobre 2007 abonné·es

À La Villette, dans l’une des vieilles bâtisses de brique et de pierre survivant au milieu d’un monde blanc et métallique, se trouvait le Tilf, Théâtre international de langue française, haut lieu du répertoire francophone que dirigeait Gabriel Garran. Une nouvelle directrice est venue : Valérie Baran, qui a rebaptisé la salle Tarmac et qui, gardant le cap francophone en le métissant volontiers, lui a donné une orientation plus politique et souvent audacieuse. On vient y voir des spectacles mais, tout autant, des points de vue non consensuels sur les pays du Proche-Orient, l’Afrique, les Antilles, univers douloureux, exploités et riches d’artistes. Ce qui fait du Tarmac un lieu des plus fréquentables, et même des plus passionnants.

Le nouveau spectacle programmé sur cette scène prend un angle un peu différent. Conçu par un metteur en scène tunisien, Lofti Achour, il parle de nous, les Français. Plus exactement, cette Comédie indigène est un voyage dans les écrits, les propos, les discours qui ont été prononcés par des autorités françaises, politiques, militaires, culturelles, scientifiques, sur les peuples colonisés. C’est une vitrine de la pensée coloniale ! On les connaît, ces effrayants clichés sur la « fourberie » de l’Arabe, le grand sexe des Noirs, l’absence de pensée de ceux qui ont le rythme dans la peau, la laideur des femmes et des hommes qui ne sont pas comme nous… Lofti Achour est allé piocher dans le tout-venant des époques de l’Afrique, de l’Algérie et de l’Indochine dites françaises : le livret remis aux militaires partant sur le terrain, les déclarations faites à l’occasion des expositions coloniales, les interventions lors de congrès médicaux, les chansons populaires de Paris… Il est allé aussi pêcher chez les grands auteurs, Montesquieu, Hugo, Lamartine, Maupassant, Tocqueville (sans les piéger, car il montre leurs contradictions et leurs différences face aux racistes purs et durs). Et, comme c’était assez insupportable à entendre, il a fait intervenir, à petites doses, des contradicteurs, avec les superbes textes d’Aimé Césaire et d’Achille Mbembe.

Le spectacle se déroule comme une fausse conférence, avec un discoureur en costume blanc qui assène d’un air convaincu ses énormités. Régulièrement, la scène s’élargit et, passant du cliché parlé au stéréotype visuel, donne à voir ce qu’on appelait autrefois des tableaux vivants : « indigènes » ridiculisés ou transformés en fantasmes sexuels. Surprise : on entend tout à coup une déclaration de Nicolas Sarkozy, celle qu’il fit récemment à Dakar et où, sans que les pays occidentaux s’en émeuvent vraiment, il soutenait que les pays africains n’avaient pas le sens du progrès !

Ainsi défilent le temps et ces âneries terribles. Les comédiens, Thierry Blanc, Marcel Mankita et Ydire Saidi, changent de personnage à grande vitesse, la chanteuse Lê Duy Xuân distille les airs d’une voix cristalline et joue très habilement avec les images et les mots dont on a entouré les femmes d’Asie. Le choc est d’autant plus fort qu’il est asséné avec une trompeuse joliesse théâtrale. De la belle, bienfaisante et nécessaire ouvrage.

Culture
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