La vie en (arth)rose

Portrait de vieilles dames sans tralala, rétroviseur ni pittoresque, juste calé dans l’humanisme.

Jean-Claude Renard  • 11 octobre 2007 abonné·es

Le cadre d’abord, et surtout. Un petit rade quelconque, sur la butte Montmartre. Nom de baptême : Au fin moka . Pas de lumières tamisées, d’effets de lounge. Pas d’esbroufe. Tables en bois sur carrelage blanc, cendriers Ricard. Populaire pur jus. Un caboulot anodin, avec ses tâches ordinaires. Le percolateur qui crache ses vapeurs, le nettoyage du poêle, son allumage, la remise à charbon, le service. Ça fait plus de quarante ans que la patronne se cogne la même gestuelle. Une mémoire physique, des rythmes mécaniques. Georgette n’a plus l’âge de virevolter entre les tables. 90 ans et l’arthrose qui gagne. Elle brique quand même, essuie les verres derrière son comptoir (forcément). Avec sa blouse à fleurs, elle reste vissée à son rade comme un bec de gaz au coin de rue. Une cliente est elle aussi vissée à son verre de salers, Fernande, fidèle au blanc gouleyant, toujours assise au coin à droite en entrant, claudiquant au-dessus de sa canne. Dans ce troquet exsangue, ça cause de la pluie et du beau temps, du réchauffement climatique, de l’horoscope, des sauces « toutes faites », de la pollution, du vu à la télé, de la Traviata et du bazar du syndic. « C’est pas marrant les papiers ! »

Dans ce premier documentaire réalisé par Boris Joseph, il y a bien « la Vie en rose » de Piaf qui traîne dans la caboche de Fernande, quelques photographies cornées et défraîchies. Pour le reste, rien ne cède à la tentation du « bon vieux temps » gavé de regrets. La caméra circule dans le rade, s’échappe parfois alentour avant de revenir se fixer sur les visages creusés. Elle prend son temps sur deux solitudes. L’une en cliente, l’autre en patronne. Entre les deux, un phrasé sur le tout-venant. Acide, drôle. L’image ne s’embarrasse pas de filtres. Elle rend la vie telle qu’elle est.

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