Des « années de plomb » singulières

Olivier Doubre  • 1 novembre 2007 abonné·es

Si, à la fin des années 1960, une part de l’extrême gauche dans différents pays s’engage dans la lutte armée, l’Italie connaît une montée de la violence politique dont l’ampleur est sans équivalent parmi les autres États industrialisés. Elle s’insère en effet dans ce que les historiens appellent la « stratégie de la tension ». Aujourd’hui bien documentée, celle-ci est conçue dès 1967 au sein de certains secteurs des forces de l’ordre liés à l’extrême droite et des services secrets proches de la CIA. Il s’agit de faire progresser dans l’opinion la demande sécuritaire, en développant l’agitation sociale et une violence diffuse.

Ainsi, alors que s’achève l’« automne chaud » de 1969 ­ les plus grandes grèves ouvrières de l’après-guerre ­, une bombe explose le 12 décembre dans une banque de piazza Fontana à Milan, faisant plusieurs morts et blessés. Des anarchistes sont alors accusés, mais il apparaît rapidement que l’enquête se détourne volontairement de la piste la plus vraisemblable, celle de groupuscules d’extrême droite. Des militants d’extrême gauche parmi les plus conscients, fortement marqués par l’histoire de la Résistance italienne, décident alors de s’armer, autant contre « l’agression fasciste » que pour tenter d’ouvrir la voie à un processus révolutionnaire.

Dès lors, la violence ensanglante l’Italie. Les groupes d’extrême droite multiplient les attentats : déraillement du train express Italicus en 1973, bombe dans un meeting syndical àBrescia en 1974, plasticage de la gare de Bologne bondée, le 2 août 1980, qui fait plus de 80 morts et des centaines de blessés…

Or la justice italienne n’a jamais été aussi sévère pour les auteurs de ces attentats aveugles que pour les actes, d’abord sans effusion de sang, commis par les groupes armés d’extrême gauche. Ce n’est pas un hasard si le plus important d’entre eux par sa longévité et le nombre de ses militants, les Brigades rouges, se mettent à enlever, après quelques contremaîtres des usines où elles sont implantées, certains juges particulièrement féroces envers le movimento contestataire.

Après l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, la répression s’abat alors durement sur la plupart des organisations à la gauche du PCI. S’il faut quelques années à l’État pour vaincre l’extrême gauche armée, celle-ci a pourtant joui de soutiens importants : en 1980, le ministère de l’Intérieur estimait à 150 000 les soutiens potentiels aux clandestins et à près d’un million les personnes sympathisantes idéologiquement. Une ampleur sans commune mesure avec les groupes armés des autres pays industrialisés à la même époque.

Société
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Aux États-Unis, l’habit fait le trumpiste
Analyse 12 décembre 2025 abonné·es

Aux États-Unis, l’habit fait le trumpiste

Entre exaltation d’une féminité à l’ancienne, nostalgie d’une Amérique fantasmée et stratégies médiatiques, l’esthétique vestimentaire se transforme en arme politique au service du courant Maga. Les conservateurs s’en prennent jusqu’à la couleur rose d’un pull pour hommes.
Par Juliette Heinzlef
Naturalisation : des Palestiniens sous pression de la DGSI
Enquête 11 décembre 2025 abonné·es

Naturalisation : des Palestiniens sous pression de la DGSI

Convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure alors qu’ils demandaient la nationalité française, trois Palestiniens racontent les entretiens durant lesquels on leur a suggéré de fournir aux Renseignements des informations sur le mouvement associatif palestinien.
Par Pauline Migevant
« La surveillance des Palestiniens en Europe est très répandue »
Entretien 11 décembre 2025

« La surveillance des Palestiniens en Europe est très répandue »

En Europe, les Palestiniens sont de plus en plus ciblés par les surveillances numériques ou les fermetures de comptes bancaires. Layla Kattermann, responsable de la veille pour l’European Legal Support Center, revient sur ce standard européen de surveillance.
Par William Jean
À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives
Reportage 6 décembre 2025 libéré

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives

Sur la plage de Gravelines, lieu de départ de small boats vers l’Angleterre, des militants d’extrême droite britannique se sont ajoutés vendredi 5 décembre matin aux forces de l’ordre et observateurs associatifs. Une action de propagande dans un contexte d’intimidations de l’extrême droite. Reportage.
Par Pauline Migevant et Maxime Sirvins