Faites taire le vieux!

Michel Soudais  • 1 novembre 2007
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Si l’on accepte de se mettre trente secondes dans la peau d’un ministre du gouvernement, Giscard est un boulet! Voilà un type qui, parce qu’il a présidé la Convention pour l’avenir de l’Europe, à l’origine du projet de Constitution européenne avortée, ramène sa science à tout bout de champs. Et surtout à contretemps. C’est vrai, c’est pas le moment de dire que «le texte des articles du traité constitutionnel est à peu près inchangé» dans le traité prétendument «simplifié» de Lisbonne. Les électeurs français à qui Sarkozy (aidé par les Solférinistes) refuse un référendum pourraient se sentir grugés.

Me faisant ce raisonnement, j’étais curieux de voir comment le gouvernement allait tenter de faire taire l’ancêtre trop bavard. Surtout depuis la tribune qu’il a publié dans Le Monde le 26 octobre et dont on ne recommandera jamais assez la lecture.

C’est fait, depuis aujourd’hui. Et c’est le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes qui s’y est collé. De loin, puisque c’est en Finlande que Jean-Pierre Jouyet, sous-ministre débauché, incarnation de la compatibilité des «oui» de droite et de gauche, a estimé, en réponse aux déclarations de Valéry Giscard d’Estaing, que le nouveau traité européen était «différent» du traité constitutionnel.

Jugeons de l’argumentation.

«C’est un traité qui est différent, qui n’est pas une constitution, qui modifie les traités existants et qui va permettre à l’Europe d’agir» , affirme Jean-Pierre Jouyet. La belle affaire. L’abandon du mot « constitution », comme celle des symboles de l’Union (qui laissaient penser qu’il s’agissait d’un Etat), ne change rien au constat de tous les juristes sérieux: Même sans l’appellation, le traité modificatif se présente comme une loi fondamentale modifiant les traités existants qui, eux-mêmes, forment déjà une constitution qui ne dit pas son nom, la supériorité de la norme européenne sur la loi nationale étant déjà un fait acquis.

«Chacun doit se féliciter, et Valéry Giscard d’Estaing doit se féliciter du
fait que nous ayons maintenant un projet de traité qui permette à l’Europe d’agir, de décider, de fonctionner efficacement dans un cadre élargi»
, prétend encore M. Jouyet, satisfait qu’après «quinze ans» de réflexion on ait enfin «des institutions efficaces, et qui permettent à l’Europe de fonctionner» . Là je m’amuse. Où a-t-on vue que l’Europe à 27 ne fonctionnait pas. Elle est bien parvenue à décider d’une norme commune pour l’élevage des poulets en batterie, et de tant d’autres sujets de première importance. Quant à croire qu’elle fonctionnera mieux après l’adoption définitive du traité modificatif… c’est oublier un peu vite ce que les Polonais ont arraché. Dans les nouveaux domaines où s’appliquera la majorité qualifiée (avec son nouveau mode de calcul) un Etat pourra refuser une décision s’il l’estime contraire à ses intérêts jusqu’en… 2017. D’ici là, on pourrait bien avoir oublié Sarkozy, c’est dire si ce n’est pas demain.

«On a repris des choses importantes de la Convention mais dans le même temps, on a répondu à toutes les critiques qui avaient été exprimées en France à cette époque» , assène enfin Jean-Pierre Jouyet. Plus c’est gros… Qu’est-ce qu’il connaît des critiques, lui qui a toujours dit oui? Oui à la gauche, oui à la droite…
Où est l’Europe plus démocratique que réclamaient ceux qui ont voté «non» au référendum du 29 mai? Où est l’Europe plus sociale? Et la remise en cause de l’Union définie comme «un marché ouvert où la concurrence est libre»? J’arrête car l’énumération serait trop longue.

Le cauchemar de l’Elysée

Dernier détail, que précise la dépêche AFP qui rend compte des propos de M. Jouyet: ce dernier répondait à une tribune de Giscard publiée mardi par le quotidien britannique The Independent (centre-gauche). Notre ex-plus-jeune-président-de-la-République y expliquait exactement la même chose que dans sa tribune du Monde (ce n’est pas à son âge qu’on change d’idées). Pourtant c’est bien la publication britannique qui inquiète l’équipe sarkoziste au pouvoir. Et là on mesure la nature du cauchemar qui a dû saisir l’Elysée.

Passe encore que Giscard revendique une part de la paternité du nouveau traité dans son pays. Vu comment Sarko s’y est pris pour verrouiller toute expression démocratique de la souveraineté populaire, vu surtout que les principaux responsables du PS s’entendent avec lui pour la faire taire (voir mon précédent post), peu importe que le papy de l’Europe vende la mèche.

Mais imaginez un peu le bazar si ce nigaud se met en tête de dévoiler le pot-aux-roses aux quatre coins du continent. Et dans des pays réticents où l’opposition réclame une consultation populaire, en plus! L’inconscient!
Je ne serai pas étonné qu’après l’avoir encensé les élites européistes n’aient désormais qu’une seule idée en tête: faire taire le vieux!

Temps de lecture : 4 minutes
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