Prendre soin d’elles

Act Up-Paris, le Planning familial et Sida info service montent à nouveau le colloque organisé en 1997 sur le thème « Femmes et VIH » pour tirer un bilan avec les premières concernées et rappeler leur spécificité face à la maladie.

Ingrid Merckx  • 29 novembre 2007 abonné·es

En 1997, les trithérapies débutaient à peine. Le sida était encore majoritairement « la maladie des homosexuels ». Des femmes, il n’était question qu’à propos des risques de transmission du virus de la mère à l’enfant. Dix ans plus tard, la situation a changé : les femmes représentent plus de 50 % des nouvelles contaminations. En parallèle, les trithérapies ont permis à une bonne partie des femmes séropositives d’envisager un avenir. Dès lors, la question n’était plus « Comment survivre au sida ? », mais « Comment vivre avec le sida » ? Comment avoir des enfants, certes, mais aussi gérer sa vie affective, sexuelle, professionnelle ? Comment supporter, à la longue, des traitements très lourds et mal adaptés ? Comment participer à son parcours de soin ? Comment changer le regard sur cette maladie et éviter stigmatisation, solitude, précarité ?

Illustration - Prendre soin d’elles


Désormais, les femmes représentent plus de 50 % des nouvelles contaminations par le sida. MULLER/AFP

Le 30 novembre et le 1er décembre, journée mondiale contre le sida, Act Up-Paris, le Planning familial et Sida info service montent à nouveau, à la demande de la Direction générale de la santé et avec seize associations de lutte contre le sida [^2]
, le colloque organisé en 1997 sur le thème « Femmes et infection à VIH en Europe ». Premiers objectifs : rendre accessibles à toutes les connaissances existantes ­ médicales, sociologiques, épidémiologiques ­ mais surtout faire entendre la parole des femmes vivant avec le VIH.

« Au colloque de 1997, il n’y avait presque pas de femmes dans la salle, se souvient Catherine Kapusta-Palmer, responsable de la commission traitements et recherche à Act Up-Paris et coordinatrice de la rencontre 2007. Or, l’expérience des femmes séropositives est indispensable à la progression des connaissances sur le sida. » Aujourd’hui encore, les femmes ne représentent que 20 % des participants dans les essais cliniques : les traitements étant testés principalement sur des hommes, les effets indésirables sont basés sur les réactions d’un corps masculin. « Ce qui veut dire , résume Catherine Kapusta-Palmer, que les femmes testent les traitements au moment où elles les prennent. » Qu’en est-il des lipodystrophies (atteintes de la masse graisseuse), des maladies cardiovasculaires, des dérèglements hormonaux, des cancers du col de l’utérus précoces qu’entraînent les antirétroviraux ? « On ne soigne pas les femmes comme les hommes ! , insiste Catherine Kapusta-Palmer. Il ne s’agit pas de féminisme, mais de faire comprendre que le corps d’une femme n’est pas le même que celui d’un homme et qu’il ne réagit pas de la même façon à la maladie et aux traitements. » Autre exemple : puisque les femmes séropositives ont pu vieillir, et que des femmes de 50 et 60 ans sont contaminées par leur conjoint ou leur mari, comment concilier les bouleversements causés par la ménopause avec ceux engendrés par la maladie ? Reflet d’une réalité sociale : l’inégalité hommes-femmes face au sida reste problématique. De quoi interpeller les pouvoirs publics sur les nouveaux enjeux de prévention quand les campagnes visent des publics ciblés : homosexuels, toxicomanes, migrants… « Il faut développer la prévention en direction des hétérosexuels » , martèle Catherine Kapusta-Palmer.

« Depuis le début de l’épidémie, la Direction générale de la santé a publié un seul document de prévention à l’attention des femmes, déplorait Carine Favier, du Mouvement français pour le planning familial, aux premiers états généraux Femmes et sida organisés en mars 2004. On a pu constater que tout ce qui est « vécu spécifique », que ce soit au niveau des traitements, du vécu de la séropositivité, n’a fait l’objet de quasiment aucun essai, aucune recherche « genrée » […]. Un appel clair est fait aux chercheurs pour développer des travaux dans ce sens, car nous en avons vraiment besoin. » Si le premier jour du colloque 2007 est précisément consacré à faire le point sur la recherche ­ spécificité des femmes face à l’infection, outils de prévention (préservatif féminin, diaphragme, microbicides) ­ et les représentations, des ateliers de travail sont prévus, le deuxième jour, sur des thèmes comme « Le dire, ne pas le dire, témoigner », « Prévention et réduction des risques », « Précarité et droits », « Corps, désir et séropositivité ». « Ça se voit que je suis séropositive ? Qu’est ce qui se voit ? Qu’est ce qui me gêne quand je me regarde ? Qu’est ce qui me gêne dans le regard des autres ? »

Écoute et parole : deux volets essentiels. Pour les militantes associatives, qui, engagées dans des structures majoritairement homosexuelles, se sentent parfois un peu seules avec leurs « spécificités ». Mais pour toutes les femmes séropositives, qui combinent la plupart du temps isolement et précarité. « Contrairement aux homosexuels, qui ont développé un véritable système d’entraide, les femmes séropositives ont une nette tendance à s’isoler », révèle Nicole Marchand-Gonod. Psychologue, elle a monté en 1997 un groupe de parole pour les femmes atteintes du VIH au service des maladies infectieuses de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. « Il est difficile d’élargir ce groupe de parole et d’en inciter d’autres. La plupart vivent leurs problèmes en cachette et, quand elles entrent dans un système d’entraide, elles préfèrent garder l’anonymat. Impossible de les faire témoigner en public par exemple. » Le poids du regard social ? « Chez les Africaines, sans aucun doute. Du côté des Européennes, il arrive qu’elles aient conservé leur travail, que leur partenaire soit séronégatif, que la famille ne soit pas au courant… Elles ne veulent pas être reconnues. Elles craignent des représailles. »

Du colloque, cette psychologue attend qu’il fasse prendre conscience à celles qui n’osent pas qu’elles doivent « rejoindre le mouvement ». Parce qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer la prise en charge de toutes, médicale comme psychologique. Si la maternité n’est plus un problème, de nombreuses interrogations restent sans réponse. Comme au niveau de la sexualité : « Nous sommes confrontées à une gestion ardue d’une libido plus ou moins importante, une envie indéfinie, voire une abstinence par peur de contaminer. Et que dire de l’image de soi qui subit les méfaits de l’âge, du virus ainsi que des effets néfastes des traitements ? Comment trouver un équilibre entre toutes ces situations afin de tout simplement vivre le plus paisiblement possible ? » « Il est temps, déclare Nicole Marchand-Gonod, que les femmes séropositives vivent leur maladie comme une maladie chronique qui ne les empêche pas d’avoir une vie familiale, professionnelle, sexuelle… » En finir avec la honte, l’oubli, la mise à l’écart. « Mais les femmes africaines disent bien, rappelle Catherine Kapusta-Palmer, que cela ne se fera pas sans l’aide des hommes. C’est ensemble qu’on se protège. »

[^2]: « Femmes et VIH-10 ans après », 30 novembre et 1er décembre au théâtre du Gymnase, à Paris.

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