Retour en régie à Paris ?

Le maire de Paris a décidé que la gestion de l’eau potable de la capitale retournerait dans le service public, après vingt-cinq ans aux mains de Veolia et Suez.

Patrick Piro  • 8 novembre 2007 abonné·es

Un gros pavé dans la mare ! » , commente Jean-Luc Touly, du Collectif pour la remunicipalisation de l’eau à Paris, à l’annonce de Bertrand Delanoë, lundi dernier : le maire de la capitale souhaite confier « à un opérateur public unique » toute la chaîne de l’eau potable ­ production, distribution et peut-être même la facturation des clients.

À ce jour, seule la production est maîtrisée par la municipalité, qui détient 70 % de la société Eau de Paris. Alors que, depuis 1985, la distribution ­ 1 800 km de canalisations, le morceau de choix ­ est concédée à deux filiales de Veolia eaux (Vivendi) et de la Lyonnaise des eaux (Suez) : respectivement la Compagnie des eaux de Paris, pour les clients de la rive droite, et Eau et force pour ceux de la rive gauche. Le gâteau avait été partagé par Jacques Chirac, maire à l’époque.

Illustration - Retour en régie à Paris ?


Bertrand Delanoë visite la nouvelle usine d’affinage des eaux de Saint-Cloud, le 16 avril 2007. DEMARTHON/AFP

Les deux mastodontes, aujourd’hui premières multinationales de l’eau, obtiennent jusqu’à fin 2009, et sans le moindre appel d’offres, la jouissance de contrats en or. Les investissements les moins rentables sont laissés à la collectivité, et les rapports de gestion sont totalement opaques ­ nature des travaux de maintenance, justification des énormes provisions financières pour travaux futurs, productivité des services, taux de fuite du réseau, etc. Argument récurrent des privés, à Paris comme ailleurs : l’eau est un domaine complexe, dont il est difficile de calculer la rentabilité. Officiellement, leurs deux filiales privées n’ont pas à se plaindre, déclarant au total environ 15 millions d’euros de bénéfices annuels. « Pourtant, au seul vu de leurs comptes, nous les estimons à 23 millions d’euros , corrige Anne Le Strat, présidente-directrice générale d’Eau de Paris. Et eu égard aux pratiques de facturations internes entre filiales des groupes, il faut bien y ajouter 10 % ! »

À la suite de plusieurs rapports accusateurs, dont certains engagés par son prédécesseur, Jean Tiberi, Bertrand Delanoë tente de reprendre le contrôle. En 2003, la municipalité obtient des deux sociétés l’obligation d’effectuer pour 153 millions d’euros de travaux supplémentaires avant fin 2009. En mars dernier, Eau de Paris évince de son capital Veolia et la Lyonnaise, qui siégeaient au conseil d’administration, s’assurant un droit de regard sur toute la chaîne de l’eau !

Les élus Verts ­ dont Anne Le Strat ­ et les communistes poussent en faveur d’une remunicipalisation, mais ce n’est encore qu’une des hypothèses, mi-octobre, parmi des montages public-privé, où Veolia et la Lyonnaise semblent pouvoir sauver les meubles. Car Bertrand Delanoë, qui se méfie des options idéologiques, n’affiche pas d’ a priori favorable, d’autant que certaines régies parisiennes (déchets, analyse de l’eau) ne donnent pas satisfaction.

Sur le dossier de l’eau cependant, outre l’intérêt financier, les arguments techniques sont solides. Et d’abord celui de la cohérence. ÀParis, le partage de la gestion, de la source au robinet, vire parfois à l’ubuesque. Eau de Paris vend l’eau potable aux deux distributeurs, mais comme les réservoirs sont situés au Sud de Paris, les mètres cubes livrés à la Compagnie des eaux de Paris transitent par le réseau rive gauche (géré par Eaux et force), mesurés par des compteurs des deux côtés de la Seine. Entre l’aqueduc de la Vanne et le réservoir de Montmartre, de lieux de stockages en canalisations, un litre d’eau change dix fois d’exploitants !

Le point le plus délicat est certainement celui de la « compétence » du public. « Nous voulons démontrer qu’il sait gérer » , défend Anne Le Strat, pressentie pour jouer un rôle important dans la restructuration parisienne [^2]. Le modèle français, qui a connu un succès important à l’étranger ces dernières années (voir Politis n° 893, mars 2006), est en effet celui de la délégation au privé, qui alimente en eau les trois quarts des Français, très majoritairement sous contrôle de Veolia (39 %) ou de la Lyonnaise (22 %) : meilleur service, expérience technique, effet d’échelle, etc., ont-elles systématiquement argumenté. La décision de Bertrand Delanoë devrait donc avoir pour elles des conséquences importantes, alors que nombre de ces contrats privés arrivent à échéance lors du mandat des prochaines équipes municipales, dont celui de l’énorme Syndicat des eaux de l’Île-de-France (Sedif) composé de 144 communes franciliennes [^3]
.

Reste que la prise de position du maire de Paris, déjà en campagne pour sa réélection, n’était pas attendue aussi tôt. Elle aurait été précipitée par la sortie, il y a une semaine, d’une enquête de l’UFC-Que choisir sur le prix de l’eau en France, la deuxième après celle de janvier 2006. Elle confirme les bénéfices « faramineux » de Veolia et Suez, dus à des marges très abusives. À Paris, elle serait de 37,9 % ! Signal aux électeurs, Bertrand Delanoë assigne notamment pour objectif à la future régie municipale « la stabilité des prix de l’eau (pour la partie dépendante de la Ville) au moins pendant la prochaine mandature » .

[^2]: En rupture avec les Verts Paris, qui lui refusent une bonne position éligible aux municipales, elle est courtisée par Bertrand Delanoë.

[^3]: Le 8 décembre, environ 200 associations soutenant le retour des services de l’eau en régie municipale tiennent des États généraux à Toulouse.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes

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