« Une décision faite d’arbitraire et de lâcheté »

Avocate, avec Jean-Jacques De Felice, de réfugiés italiens des « années de plomb », Irène Terrel défend Marina Petrella depuis son arrivée en France. Elle s’insurge contre toute remise
en cause d’une promesse d’asile faite par la France à
ces quelques centaines
de personnes,
il y a plus
de vingt ans.

Olivier Doubre  • 1 novembre 2007 abonné·es

Qui est Marina Petrella, arrêtée en août dernier en banlieue parisienne ? Que lui reproche-t-on et quelle est aujourd’hui sa situation judiciaire en France et en Italie ?

Irène Terrel : On lui reproche ce qu’on reproche à tous les autres réfugiés italiens arrivés en France dès le début des années 1980, c’est-à-dire d’appartenir à cette mouvance accusée dans leur pays d’insurrection armée contre l’État. Marina Petrella a été membre des Brigades rouges et, avec la législation sur les repentis, condamnée à la réclusion à perpétuité. Or, son histoire est surtout intéressante du point de vue des délais des procédures judiciaires à son encontre. La notion de délai « raisonnable » est aujourd’hui, grâce notamment à la Cour européenne des droits de l’homme, largement analysée au regard des grands principes fondamentaux et implique un certain nombre de seuils qu’on ne peut pas dépasser. Marina Petrella a passé en Italie six années en détention provisoire puis cinq sous contrôle judiciaire. Sa procédure a donc duré onze ans. Elle a ensuite assisté à ses deux procès, conclus en 1992 par une condamnation à perpétuité pour des faits datant de 1981 et 1982. Mais, lorsque la peine est prononcée, elle n’est pas arrêtée à l’audience, ce qui signifie que les magistrats italiens considèrent qu’elle ne représente plus de dangerosité, ni sociale ni criminologique, et l’ordre d’exécution de sa peine n’est signé qu’après un an. Elle a alors le choix : ou bien assumer son destin italien, ou bien opter, non pas pour la cavale ­ j’insiste énormément ici ­, mais pour l’asile français, accordé officiellement par le président Mitterrand depuis les années 1980. Elle choisit donc l’asile, en particulier parce qu’après sa longue détention provisoire elle a récupéré sa première fille, née en prison, qu’elle élève depuis plusieurs années. Son arrivée en 1993 sur le territoire français est publique : Me De Felice et moi-même la présentons immédiatement aux autorités françaises. Jusqu’en août 2007, elle mène une existence normale et travaille comme assistante sociale pour des collectivités territoriales. Entre-temps, en 1999, un titre de séjour valable dix ans lui a été délivré par une préfecture en toute connaissance de cause. Que signifie donc une décision qui, quinze ans plus tard, renie la promesse de la France et tend à détruire l’existence d’une femme qui s’est reconstruite ici ? Car Marina Petrella a eu depuis une seconde fille, française, aujourd’hui âgée de 9 ans…

Pour quelles raisons, selon vous, la France semble depuis quelque temps revenir sur l’asile accordé depuis plus de vingt ans à quelques centaines d’anciens activistes italiens des « années de plomb » ?

Il me semble que nous baignons ici en pleine « déraison d’État », pour reprendre le mot de Pierre Vidal-Naquet. Je crois en fait que ces réfugiés sont surtout victimes d’un certain climat, apparu depuis les attentats du 11 septembre 2001. Paolo Persichetti a été le premier à en subir les conséquences puisqu’il a été arrêté le 25 août 2002, quelques jours avant une rencontre entre les deux ministres de la Justice français et italien, Castelli (Ligue du Nord) et Perben, qui s’est tenue… le 11 septembre 2002 ! Mais, parallèlement, on n’a pas l’impression que la France ait adopté une ligne politique claire en la matière puisque, après Paolo Persichetti et avant Marina Petrella, seul Cesare Battisti a été arrêté, avant qu’il tente d’échapper à tout cela. Aujourd’hui, ce qui arrive à Marina Petrella semble être le résultat d’une machine judiciaire capable de s’enclencher à tout moment. Heureusement, il y a encore en France quelques consciences, tels l’ambassadeur de France Stéphane Hessel ou Jean Lacouture, qui ont le courage d’aller contre l’air du temps, fait d’arbitraire, de lâcheté et d’opportunisme. Il s’agit de reconnaître le caractère collectif de cet asile, de même que le caractère politique et collectif des années 1970-1980 en Italie, où toute une jeunesse fut embarquée, au sens sartrien du terme, dans la lutte armée. Et il faut savoir tourner des pages : ces gens ont droit à une autre vie.

Vous avez défendu un grand nombre de ces réfugiés italiens. De quelles épreuves, de quelle souffrance traversées avez-vous été témoin les concernant ?

Je les ai beaucoup côtoyés depuis toutes ces années, et des liens se sont inévitablement formés. Tout d’abord, il faut rappeler combien l’exil est une épreuve, synonyme de souffrance. Au-delà de la question de la précarité des situations, vivre loin de son pays d’origine, sans pouvoir rentrer, est toujours très dur. Ainsi, certains n’ont pas pu assister aux obsèques de leurs parents. Mais leur précarité a également duré très longtemps, avec l’angoisse de ne jamais savoir si on est véritablement sain et sauf. Il y a en effet toujours eu des arrestations, et nous avons dû affronter beaucoup de procédures qui, à chaque fois, empêchaient ces gens qui ont rompu avec leur passé de penser réellement qu’ils pouvaient enfin poser leurs sacs et reconstruire leur vie.

Malgré des conditions difficiles, ils ont quand même fini par bénéficier de ces possibilités, surtout après la lettre de Lionel Jospin, en 1998, qui réaffirmait sans aucune ambiguïté l’asile qui leur est accordé par la France. Cette décision a d’ailleurs permis l’octroi de titres de séjour valables dix ans et aurait dû mettre un point final à cette situation, admise et gérée par tous les gouvernements français successifs depuis vingt-cinq ans, toutes couleurs politiques confondues. Or, globalement, cela n’a pas été remis en question, puisque l’on sait très bien où vivent ces réfugiés, qui figurent dans l’annuaire, travaillent et paient des impôts. Mais cet asile reste pourtant précaire et incertain, à cause de l’éventualité d’une décision inique, comme celle qui a été prise à l’encontre de Marina Petrella.

Société
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