Une peau de chagrin

Un budget en baisse, la création précarisée, l’action culturelle décimée, le désengagement de l’État est patent en matière de culture. Avant l’annonce des derniers arbitrages mi-décembre, les professionnels réagissent.

Christophe Kantcheff  • 29 novembre 2007 abonné·es

Au cours du mois de novembre, les cris d’alarme se sont succédé. De la part des directeurs d’opéras en région, des employeurs du spectacle vivant ­ tous réunis, publics et privés, une fois n’est pas coutume ­ et des organisations qui oeuvrent pour l’action culturelle cinématographique. Le propos est aisé à résumer : non aux baisses sévères de crédits qui se profilent. La ministre de la Culture, Christine Albanel, joue l’étonnement, avec un cynisme d’autant plus décomplexé que les derniers arbitrages, qui devraient être connus mi-décembre, sont pris dans le secret des cabinets. Les milieux culturels se feraient peur avec de fausses rumeurs ? Trop facile…

La langue de bois et les tours de magie ne peuvent tromper indéfiniment. La ministre répète comme un mantra que son budget 2008 est « satisfaisant » . À l’entendre, il serait en hausse de 3,2 %, passant de 2,694 millions d’euros en 2007 à 2,770 millions d’euros en 2008. Dommage qu’elle oublie de préciser quelques détails. Ainsi, dans un document décryptant ce budget, le PS souligne que le ministère parvient à ce résultat en rebudgétisant une taxe de 70 millions d’euros, créée l’an dernier par le gouvernement Villepin, à l’intention du Centre des monuments nationaux. Ajout artificiel. Dès lors, la hausse du budget n’est plus que de 0,25 %, tandis que celle de l’inflation devrait atteindre 2 %, selon les prévisions de la Commission européenne. Un budget « satisfaisant » , donc, mais en baisse.

Pour François Le Pillouër, président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndéac) et directeur du Théâtre national de Bretagne, à Rennes, l’équation est simple : « Si, à l’inflation, on ajoute le coût des nouveaux projets [comme, par exemple, celui du grand auditorium de La Villette, NDLR] *, on obtient ce qui reste pour tous les autres secteurs. »* Résultat en ce qui concerne le spectacle vivant : – 17,9 % pour la démocratisation culturelle, – 0,5 % pour la création.

Plus encore, Christine Albanel a annoncé un gel de « 6 % des crédits » . Tout en soulignant que cette « réserve de précaution » concernait tous les ministères. Ce qui ne console personne. La promesse de revoir cet argent si le budget de l’État est respecté ne rassure pas non plus grand monde. Nombreux sont ceux qui pensent qu’après les municipales, en mars prochain, il faudra attendre longtemps le dégel…

Dans une lettre envoyée à Nicolas Sarkozy par les employeurs du spectacle vivant, ceux-ci précisent les conséquences d’une telle politique : « Non seulement des coupes claires devraient être faites dans les programmations, mais encore des dédits coûteux et de nombreux licenciements seraient inéluctables, entraînant une fragilisation accrue de l’emploi dans nos professions et la disparition de bon nombre de structures légères, donc plus fragiles, qui participent au foisonnement et à la diversité de la création française. » Il va sans dire que la crise des intermittents, qui ressurgira en 2008 avec la remise à plat de toutes les conventions Unedic, ne fera qu’ajouter du sel sur ces plaies ouvertes.

De leur côté, les directeurs des opéras d’Avignon, de Metz et de Tours ont devancé ce qui s’annonçait comme une très mauvaise nouvelle : la suppression pure et simple de leur subvention ministérielle, en 2008 pour les deux premiers, sur deux ans pour le troisième. « Des opéras installés dans des villes moyennes, où il a fallu batailler pour constituer un public », commente Pierre Médecin, président de la chambre professionnelle des directeurs d’opéra. Que signifierait la suppression de la subvention d’État ? Pour Avignon, par exemple, les 440 000 euros versés financent quatre productions sur les cinq programmées dans l’année. Une hécatombe. Mais il semble qu’à Tours, Renaud Donnedieu de Vabres, qui vise la mairie, ait fait jouer ses relations « maison » pour récupérer la subvention. C’est le fait du prince… favorisé par l’opacité qui préside aux décisions finales.</>

Dans la même logique obscure et malthusienne, ce sont les conseillers des directions régionales des affaires culturelles (Drac) pour le cinéma qui sont actuellement contraints de faire des choix drastiques. Sont dans le collimateur les festivals et les associations impliquées dans « la diffusion culturelle des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ». Dans le budget global des Drac, la diffusion culturelle du cinéma ne représente que 5 millions d’euros. Mais pour un État qui, d’emblée, a fait cadeau de 15 milliards avec le paquet fiscal, il n’y a plus de petites économies, surtout quand celles-ci risquent de ne pas soulever de grandes tempêtes médiatiques parce qu’elles concernent la vie culturelle des territoires. En effet, une dizaine de festivals parmi les plus en vue ne seraient pas inquiétés, désormais pris en charge par le CNC (qui n’a pas répondu à nos questions). Outre Cannes, qui l’est déjà, on peut imaginer, par exemple, que les festivals d’Annecy, de Clermont-Ferrand, ou Premiers Plans à Angers, respectivement les plus réputés pour l’animation, le court-métrage et le cinéma européen, seront mis à l’abri. Mais qu’en sera-t-il de toutes ces manifestations, notamment celles qui se déroulent dans des banlieues ou en milieu rural, qui permettent à des populations éloignées des salles d’avoir accès à des films du patrimoine ou de cinématographies peu diffusées, souvent d’une grande exigence artistique ?

« L’offre diminuant, ce n’est pas seulement la transmission des oeuvres qui est atteinte , explique Antoine Leclerc, délégué général de Carrefour des festivals, association qui réunit une cinquantaine de manifestations cinématographiques et audiovisuelles. Les conséquences économiques sur la filière ne seront pas négligeables. En outre, le ministère prétend que l’éducation aux images n’est pas concernée par ces diminutions budgétaires. Mais comment continuer à l’assurer si les structures qui en sont le relais sont démantelées ? » Pas étonnant que l’association Les Enfants de cinéma, qui pilote le dispositif École et cinéma, se déclare solidaire. De même que la Société des réalisateurs de films et le Bureau de liaison des organisations de cinéma, à un niveau plus général.

Sans le dire officiellement, le ministère renvoie les acteurs culturels vers les collectivités territoriales, en particulier les régions. Christine Albanel dément pourtant tout désengagement de l’État. Elle refuse aussi toute négociation d’ensemble ou de remise à plat ( « un Grenelle de la culture » , réclament les employeurs du spectacle vivant). Une attitude qui rend crédible une rumeur selon laquelle le ministère disparaîtrait dans les trois ans, ou serait mis sous la tutelle d’un autre ministère, celui de l’Éducation par exemple.

Là comme ailleurs, c’est vers Nicolas Sarkozy que les professionnels se tournent. N’est-il pas l’auteur de cette grande phrase : « Je propose que l’État se donne trois priorités : l’entretien et la mise en valeur de notre patrimoine, la démocratisation culturelle à travers l’enseignement culturel et artistique, et naturellement le soutien à la création » ? Il est vrai qu’elle figurait dans sa calamiteuse lettre de mission à la ministre, où les termes clés étaient : « répondre aux attentes du public », « rendre compte de la popularité des interventions » , « obligations de résultats »

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