Correcteur d’infos

Loin d’une information livrée à plat, Hubert Vieille conduit sur France Culture un journal où la rigueur s’ajoute au sens critique.

Jean-Claude Renard  • 6 décembre 2007 abonné·es

Le journal égrène ses informations, relate bonnement les nouvelles. Voilà pour l’ordinaire, avec parfois un traitement médiatique soumis à l’ordre, correct, politiquement, complaisant. Façon speakerine, un encéphalogramme plat assez commun, aux phrasés de perroquet. Il existe d’autres voi(es)x. Pas des bottes. Mais celle d’Hubert Vieille notamment, discordante (a fortiori par les temps qui courent), au journal du soir de France Culture. Du relief, un journalisme pugnace, sans pinailler sur le commentaire. Foin du bal des dupes mais un sens critique bardé d’une pointe d’humour en plus. Hubert Vieille tient les rênes de ce remarquable 22 heures quelques jours par semaine. Comme un bol d’air dans l’information. De la dentelle d’ondes. En quinze minutes, une actualité française et internationale. Un principe à lire entre les lignes d’une élocution suave et calorifée : qu’on le sache. Le principe se mâtine d’un dicton : qui ne dit mot consent.

Mercredi 21 novembre, dans l’information dense du jour (mise en examen de Chirac, huitième jour de grève, manif des buralistes, législatives roumaines), il livre sans fard deux infos passées ailleurs à la trappe : « Loin du bruit généré par les grèves dans les transports, une Marocaine d’une quarantaine d’années, menacée d’expulsion, a tenté de se suicider à Dijon. Elle vit en France depuis huit ans et travaille comme aide-ménagère chez des personnes âgées. » Une poignée de secondes et d’infos plus tard, il poursuit par « cette autre manifestation moins télégénique : plus de deux cents personnes ont protesté devant la préfecture de Seine-et-Marne, à Melun, contre l’expulsion possible d’un lycéen tunisien sans papiers » .

Le lendemain, Hubert Vieille insiste sur « l’incroyable disparition de deux CDRroms bourrés d’informations sensibles sur des milliers de familles britanniques » , annonce au micro que « soixante-cinq immigrés clandestins qui tentaient de quitter la Somalie pour le Yémen sont morts dans le golfe d’Aden » , avant de ponctuer les élections en Australie par le programme des conservateurs sortants, où, in fine , « rien n’est dit sur le devenir des aborigènes » . S’agit de dire (et lire) les choses derrière les choses. Dans le sens (et l’essence) du journalisme, Hubert Vieille souligne, reprend, ajoute. Avec rigueur, une verve, un style coloré qui se pique de concision, pour un journal d’infos incontournables, naturellement, garni d’à- côtés, jusqu’aux intervalles dans l’ombre, avec sources, notes et bref appendice. La dépêche tenue au collet.

Affaire de métier. De premier métier peut-être. Avant le journalisme, le temps d’une décennie, Vieille a exercé d’abord en orthophoniste. Soit un travail pour une prononciation normale, un traitement visant à la correction des défauts d’élocution. Hubert Vieille applique les mêmes règles à son journal. Correcteur d’infos. L’expérience dans la musette. Vieille n’est pas une première voix, ni une première main. Voilà cinq lustres d’exercices, de bourlingues en diables Vauvert, du Jura en Afrique. Le Jura, massif des premières piges journalistiques. Puis Paris et Radio France. Il ne tient guère en place sur une chaise. Au mitan des années 1990, il décanille pour le Burundi, pour créer alors « une radio de la paix dans un pays en guerre civile » . Mécano des ondes. Le grésillement en sainte horreur dans l’entrelacs des réseaux. Postes d’infortune contre plateaux pépères du XVIe arrondissement parisien. Deux ans de pédagogie diffusée. Puis Hubert Vieille rempile, à travers le canal des Nations unies pour former, équiper de radios les villages au Laos. Un autre bout du monde, une autre tambouille aux confins de la solidarité.

Vieille est plié à sa double marotte : la radio et le développement. L’un n’empêche pas l’autre. Il y a matière. À enseigner aussi. Il s’y cogne à l’école de journalisme de Lille. Dépasser le savoir par un faire savoir ; le faire par un savoir-faire. L’insondable n’a qu’à bien se tenir aux chapitres des sonorités. Avant de revenir en capitale. Et tenir ce journal de 22 heures, sur France Culture. Presque un septennat déjà. En toute indépendance. Sans se leurrer : il n’y a probablement pas les mêmes enjeux (ni pareille audience) pour un journal de 22 heures comme pour un autre, à 7 heures ou à 20 heures. Ça laisse une marge dans l’expression, de quoi s’y engouffrer. Le tempérament s’y presse volontiers. « J’ai une liberté que je n’ai pas le droit de gâcher. Liberté rime avec responsabilité. » Toujours cette question de sonorité fourrée de sens. Bientôt, il repiquera à l’orthophonie. Pas de quartier pour la mauvaise langue. En attendant, il persiste. Et signe à 22 heures : « Le journal vous est présenté par Hubert Vieille. »

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