Dix idées fausses sur le Traité

Non, ce n’est pas un « mini-traité » ; non, il n’est pas « moins libéral » ; et non, il ne va pas permettre de « débloquer » l’Europe… Explication de texte.

Michel Soudais  • 6 décembre 2007 abonné·es

1. Il s’agit d’un mini-traité.

Présenter ainsi le traité dit « de Lisbonne » confine à l’escroquerie. Le « Traité modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne » ­ c’est son intitulé exact, mais par commodité nous le désignerons sous les initiales TME dans la suite de cet article ­ n’est « mini » ni par son volume ni par l’étendue des retouches apportées aux traités de Rome et de Maastricht. Le corps du traité comporte 152 pages, auxquelles il convient d’ajouter un préambule (2 pages), 13 protocoles additionnels (77 pages), 68 déclarations (28 pages). Le TME réécrit presque intégralement le Traité sur l’Union européenne (TUE) ; il modifie totalement plus d’un tiers des 314 articles du Traité instituant la Communauté européenne, qui change d’appellation pour devenir le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Illustration - Dix idées fausses sur le Traité


Nicolas Sarkozy, lors du sommet européen de Lisbonne.
FEFERBERG/AFP

Parler d’un « mini-traité » est essentiellement un artifice de communication qui poursuit un double objectif. D’abord, faire croire que le nouveau traité a une portée limitée et ne nécessite pas un recours au référendum pour sa ratification tant il semble admis qu’on ne demande pas au peuple de se rendre aux urnes pour des broutilles. Ensuite, tenter de convaincre que Nicolas Sarkozy a imposé son point de vue aux vingt-six autres chefs d’État et de gouvernement puisque la conclusion rapide d’un « mini-traité » qui débloquerait l’Europe était l’une de ses promesses de campagne.

2. Il s’agit d’un traité simplifié.

Qualifier ainsi ­ et Nicolas Sarkozy ne s’en prive pas, comme on a pu le voir le 13 novembre, lors de son discours devant le Parlement européen ­ un texte encore plus indigeste et illisible que le traité établissant une constitution pour l’Europe (TCE) est proprement stupéfiant.

Certes, d’un point de vue formel, le TME ne compte que 7 articles. Le premier, qui s’étend sur 38 pages, comprend 62 points qui constituent au moins autant de modifications du TUE puisque certains points sont eux-mêmes subdivisés en sous-points a), b), c)… Le second article, dont la rédaction compte… 120 pages (un record pour un texte juridique !), recense toutes les modifications apportées au Traité instituant la Communauté européenne qui devient le TFUE ; il ne rassemble pas moins de 294 points. Les cinq derniers articles constituent les « dispositions finales » du traité. Si chaque point avait été présenté comme un article, le TME n’en comporterait pas 7 mais 361, ce qui en volume le différencie peu du TCE, qui en comptait 448 en incluant les 69 articles de la Charte des droits fondamentaux. Or, comme dans le TCE, la reconnaissance de celle-ci est actée à l’article 1-8 du TME, qui précise qu’ « elle a la même valeur juridique que les traités » .

Cette collection d’amendements enfilés comme les perles sur un collier rend impossible la compréhension du TME à quiconque n’a pas sous les yeux les deux traités fondateurs qu’il modifie. Si certains « points » procèdent à une réécriture complète de leurs articles ou en ajoutent de nouveaux, la plupart sont rédigés comme celui-ci (art. 1-31) : « L’article 14 [du TUE] est modifié comme suit :

(a) au paragraphe 1, les deux premières phrases sont remplacées par la phrase suivante : « Lorsqu’une situation internationale exige une action opérationnelle de l’Union, le Conseil adopte les décisions nécessaires. » ;

(b) au paragraphe 2, première phrase, les mots « … d’une action commune, » sont remplacés par « … d’une décision visée au paragraphe 1, » et le mot « action » est remplacé par « décision ». La dernière phrase est supprimée ;

(c) au paragraphe 3, les mots « … actions communes… » sont remplacés par « … décisions visées au paragraphe 1… » ;

(d) le paragraphe 4 est supprimé et les paragraphes qui suivent sont renumérotés en conséquence ». Et il y en a des dizaines rédigés de cette manière.

Cette opacité du texte est volontaire et inhérente à son mode d’élaboration, décidé lors du Conseil européen des 21 et 22 juin, sous la présidence de l’Allemagne et de sa chancelière, Angela Merkel. Après des mois de consultation, les Vingt-Sept s’entendent alors sur le principe d’un « nouveau traité européen » et convoquent une Conférence intergouvernementale (CIG) pour le rédiger. Le mandat de cette CIG, rendu public le 26 juin, est toutefois si précis qu’il fait douter qu’il reste des points à négocier. À l’ouverture de la CIG, le 23 juillet, le Portugal, qui a pris la présidence semestrielle de l’Union, présente un avant-projet qui sera peu modifié. Durant un peu plus de deux mois, le bébé est entre les mains de juristes, qui le peaufinent dans le plus grand secret. Quand leur travail est achevé, le 2 octobre, la présidence portugaise de l’Union vent la mèche en adressant ce texto aux journalistes bruxellois : « Les experts juridiques ont trouvé un accord aujourd’hui, le projet de traité est prêt. » C’est ce projet qui est adopté, à Lisbonne, dans la nuit du 18 au 19 octobre, par les chefs d’État et de gouvernement, moyennant deux petits aménagements de dernière minute réclamés par la Pologne et l’Italie.

En quoi a consisté le travail des juristes ? « Les juristes n’ont pas proposé d’innovations. Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d’amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992) » , écrit Valéry Giscard d’Estaing dans une tribune adressée à vingt-sept quotidiens nationaux et publiée le 26 octobre dans le Monde . L’ancien président de la Convention à l’origine du traité constitutionnel rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas déplore que le nouveau traité remplaçant le sien soit « illisible pour les citoyens » . Il voit cependant un « intérêt » à cette « subtile manoeuvre » de multiplication des amendements aux traités antérieurs : « D’abord et avant tout d’échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel. »

3. Ce n’est pas une constitution.

L’illusion serait de croire que les dispositions du TME ne sont pas gravées dans le marbre, comme l’auraient été celles du traité constitutionnel. Elle se fonde sur une différence de pure forme entre les deux traités. Les Vingt-Sept, convaincus que le mot « constitution » avait favorisé la création d’une coalition d’opposants, ont donné mandat à la CIG de ne pas donner de « caractère constitutionnel » au TUE et au TFUE, précisant même que « la terminologie qui y sera utilisée reflétera ce changement » . Le mot lui-même est soigneusement évité, de même que tout ce qui aurait pu faire assimiler l’Union à un État : le « ministre des Affaires étrangères de l’Union » est appelé « haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité » ; les termes « loi » et « loi-cadre » sont abandonnés au profit du maintien des termes actuels de « règlements », « directives » et « décisions » ; aucun article ne mentionne les symboles de l’UE tels que le drapeau, l’hymne ou la devise. Disparaît aussi l’article du TCE qui affirmait la primauté du droit communautaire sur le droit des États membres.

Qu’est-ce que cela change ? Rien. « Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l’existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice » , affirme avec raison un avis du service juridique du Conseil repris dans la déclaration additive n° 27. Qu’on les pare ou non des oripeaux d’une constitution, les traités européens constituent la loi fondamentale commune à toutes les institutions européennes, Parlement européen compris, mais aussi à tous les États membres. Notons à cet égard que le TME donne à l’article 1-54 « la personnalité juridique » à l’Union, lui permettant d’exister sur la scène internationale, en lieu et place des États membres, et de conclure des traités dans le champ de ses compétences.

« On avance encore dans la « constitutionnalisation des traités sans Constitution » , se félicitait Mario Telò, président de l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles, le 9 juillet dans le Soir. C’est ce que d’ailleurs l’Europe a fait avec succès depuis les traités fondateurs. »

4. Ce n’est qu’un traité institutionnel.

Le TME reprend certes quasiment toutes les innovations du TCE :
­
– la création d’un poste de président du Conseil européen pour un mandat de 2 ans et demi renouvelable une fois, au lieu d’une présidence tournante semestrielle ;
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– la création d’une nouvelle fonction de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ;
­
– la réduction du nombre de commissaires à deux tiers du nombre des États membres et le renforcement du rôle du président de la Commission ;

– l’instauration du système de vote au Conseil à la double majorité (55 % des États représentant 65 % de la population de l’UE) ;

– l’extension du champ des décisions prises à la majorité qualifiée à une quarantaine de nouveaux domaines, principalement la coopération judiciaire et policière ;

– l’extension des domaines où s’applique la codécision (Parlement européen et Conseil) aux questions de justice, de sécurité et d’immigration légale ;

– la possibilité pour les parlements nationaux de demander à la Commission de revoir une proposition s’ils jugent qu’elle empiète sur leurs compétences…

Mais le nouveau traité ne se limite pas à ces dispositions d’ordre institutionnel. C’est le cas lorsque l’article 1-1 ajoute dans le préambule du TUE une référence aux « héritages culturels, religieux et humanistes » , plaçant la construction européenne dans une filiation identitaire. Ou, comme on le verra plus loin, lorsqu’il veut généraliser le libre-échange.

5. Le nouveau traité permet de débloquer l’Europe.

Le principal argument avancé en faveur du TME et de son adoption rapide, sans passer par la case référendum, relève du mythe. Celui d’une Union rendue impuissante par les élargissements successifs, à qui il faudrait d’urgence redonner les moyens d’agir. La réalité n’est pas celle-là. « Avant le grand élargissement de mai 2004, il fallait en moyenne dix-huit mois entre le dépôt d’une proposition par la Commission et son adoption par le Conseil et, éventuellement, le Parlement , notait Renaud Dehousse, directeur du Centre d’études européennes de Sciences-Po, dans Libération , le 21 juin. Depuis l’entrée des dix nouveaux États membres, ce délai est passé en moyenne à… moins de douze mois. En outre, on ne vote pas moins, et même un peu plus qu’avant. Les craintes d’un blocage, y compris les miennes, étaient donc infondées. » Quand il s’agit de libéraliser des secteurs entiers (chemins de fer, poste, énergie…) chacun peut d’ailleurs constater avec quelle célérité l’Europe avance.

Cela n’empêche pas nombre de nos élites, de droite comme de gauche, de prétendre que le nouveau traité permettra d’ « améliorer le fonctionnement » de l’Europe, notamment grâce à l’extension des domaines où les décisions seront prises « à la majorité qualifiée ». Notons déjà que le nouveau système de vote du Conseil n’entrera en vigueur qu’en 2014 au mieux, voire en 2017, après un compromis complexe avec la Pologne. Et interrogeons-nous sur l’amélioration dont il est question. Car la procédure de vote, loin d’être idéologiquement neutre, détermine la nature de l’Europe. Libérale, en l’occurrence.

Il est significatif que, dans le domaine de la fiscalité, le nouveau traité prévoie toujours que toute mesure d’harmonisation européenne des taux suppose… l’unanimité des États membres. Qu’un seul gouvernement soit contre l’harmonisation, et la concurrence fiscale peut continuer ! Pourquoi ne pas « améliorer le fonctionnement » de l’Union dans ce domaine-là ?

De même, en vertu de nouvelles dispositions introduites à l’article 57 du TFUE, qui traite des « mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux » , le Parlement européen et le Conseil statuent « conformément à la procédure législative ordinaire » quand il s’agit de libéraliser ces mouvements. Mais pour les restrictions à cette libéralisation, seul le Conseil est compétent, ses décisions requérant alors… l’unanimité.

6. Les revendications des tenants du « non » ont été prises en compte.

C’est le type même de l’argument publicitaire. Si les Vingt-Sept ont bien tenté de lever les craintes des souverainistes en gommant les apparences constitutionnelles, comme on l’a vu, aucune des critiques du « non » de gauche n’a été entendue. Seuls Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, deux transfuges de la gauche auprès de Nicolas Sarkozy, tentent de le faire croire. « Des préoccupations exprimées par la gauche ont été défendues par le Président français et la chancelière allemande, tous deux issus de la droite » , écrivent-ils dans Libération , le 24 octobre.

Ce que dément Francis Wurtz, le président du groupe GUE au Parlement européen : « Les dispositions extrêmement précises qui fixent le cadre des politiques économiques ­ monétaires, budgétaires, financières, commerciales… ­ qui étaient au coeur de la contestation exprimée le 29 mai 2005 restent inchangées. »

7. La troisième partie a disparu.

Sur son blog, Valéry Giscard d’Estaing se félicite que cette partie qui a « justifié le rejet de 2005 […] ne se retrouve désormais plus dans le traité de Lisbonne » . « La troisième partie n’existe plus » , assurait aussi Laurent Fabius, le 22 octobre, sur RMC. Pour ceux qui l’auraient oublié, la troisième partie du TCE, qui était aussi la plus volumineuse, reprenait essentiellement, en y ajoutant quelques modifications, des dispositions des traités ayant trait aux politiques et actions internes de l’Union. De l’avis général, celles-ci n’avaient rien à faire dans une « constitution » puisque cela revenait à graver dans le marbre constitutionnel des politiques qui relèvent ordinairement du débat et du rapport de force politiques.

Le TME ignore-t-il ces dispositions ? Non. D’abord parce que « les innovations de la troisième partie » , figuraient bien dans l’accord adopté par les Vingt-Sept le 23 juin, comme l’a relevé le président de l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles, Mario Telò, dans un entretien au quotidien belge le Soir (9 juillet). Il en est des mineures comme celle de l’article 2-129b, qui exclut désormais explicitement « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres » dans le domaine de la politique industrielle. D’autres peuvent être plus conséquentes. C’est le cas notamment des articles portant sur la politique commerciale commune (2-157 et 158), comme on le verra plus loin.

Enfin, les amendements de l’article 2 du TME (le plus volumineux) visent pour l’essentiel des articles du traité de Rome qui étaient repris dans la partie III du TCE, avec les amendements qu’apporte le nouveau traité. Or, comme le souligne la députée européenne socialiste Marie-Noëlle Lienemann, en procédure parlementaire, approuver un amendement vaut approbation de l’intégralité de l’article.

8. Le traité garantit les services publics.

On ne sait pas très bien où Bertrand Delanoë a pu voir dans le texte du TME « une meilleure garantie des services publics, avec la perspective d’une législation européenne protégeant leur mission » . Sur le fond, la législation continue d’opérer une distinction entre les Services d’intérêt économique général (SIEG) et les Services d’intérêt général (SIG). La nécessité d’assurer aux premiers les conditions « économiques et financières qui leur permettent d’accomplir leur mission » est reconnue à l’article 2-27 du TME, qui indique que « le Parlement européen et le Conseil […] établissent ces principes et fixent ces conditions » . Mais la mise en oeuvre de cet article reste subordonnée aux articles 86 et 87 du TFUE, qui soumet drastiquement les SIEG aux règles de la concurrence et rend quasi impossible toute aide de l’État.

Les SIG, quant à eux, apparaissent pour la première fois dans un texte de portée juridique équivalente aux traités (Protocole 9, art. 2), qui protège les « services non économiques d’intérêt général » des règles de la concurrence. Mais qu’est-ce qu’un service non économique ? Un arrêt de la Cour de justice indique que « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné » . Et la Commission a toujours refusé d’établir a priori une liste des SIG devant être considérés comme non économiques. Le 20 novembre, devant le Parlement européen, José Manuel Barroso a jugé « inutile » d’envisager une loi-cadre européenne pour clarifier la place des services d’intérêt général. « Nous n’aurons jamais de consensus sur la question, il est inutile de perdre du temps » , a-t-il insisté, estimant qu’il n’était pas possible de « faire mieux en termes de valeur légale » que le protocole du TME. Les incertitudes juridiques qui pèsent sur les SIG vont donc perdurer.</>

9. Le nouveau traité est moins libéral que les traités existants.

    L’argument, censé convaincre les électeurs de gauche qui avaient voté « non » au TCE de ne pas s’opposer au TME, est décliné de plusieurs manières.

    À l’Élysée, on a ainsi prétendu que Nicolas Sarkozy avait obtenu de la présidence allemande l’abandon de la référence à la « concurrence libre et non faussée » dans le traité. Le tour de passe-passe était assez grossier : si celle-ci disparaît des objectifs de l’Union (TUE, art. 3), elle fait l’objet d’un protocole additionnel (n° 6) qui corrige toute erreur d’interprétation en spécifiant que « le marché intérieur » défini dans cet article « comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée » . Et pour bien montrer que cet objectif n’est pas théorique, le protocole précise que « l’Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités » . D’ailleurs, note Francis Wurtz, « les contraintes qu’induit ce principe libéral fondamental sont toutes reconduites : libre circulation des capitaux, obligation d’ouvrir les entreprises publiques de service public à la concurrence, statuts et missions de la Banque centrale européenne, pouvoirs de la Commission européenne en matière de concurrence, etc. »
    Alain Lipietz, décline à sa façon le même argument sur son blog : « Si Nice gravait l’ultralibéralisme dans le marbre, le TME grave le social-libéralisme dans la craie… » Le député européen Verts aura oublié de lire la nouvelle rédaction des objectifs de la politique commerciale commune de l’Union (TFUE, art. 188B), qui reprend l’article 131 du Traité établissant une Communauté européenne en y ajoutant deux bouts de phrase révélateurs :
    – la suppression progressive des « restrictions aux investissements étrangers directs » , sujet qui est au coeur des discussions sur la globalisation des échanges au sein de l’OMC, après avoir inspiré le projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) dénoncé en 1998 par le gouvernement de Lionel Jospin sous la pression d’un important mouvement de contestation ;
    – ­ l’ajout de la formule « et autres » à la suite de la mention des barrières douanières que l’Union entend réduire signifie qu’il s’agit désormais d’oeuvrer à la suppression de toutes les protections déjà connues ou imaginables à l’avenir. Sont ainsi visées les normes sociales et environnementales qui protègent le marché européen.

    10. La charte des droits fondamentaux nous protège.

    À en croire Bernard Kouchner et Jean-Pierre Jouyet, respectivement ministre des Affaires étrangères et secrétaire d’État aux affaires européennes, avec le TME, nous aurions « une Europe davantage protectrice de ses citoyens et respectueuse des droits de l’homme, avec une charte des droits fondamentaux contraignante » . Certes, le TME crée un article 6 dans le TUE qui indique que la charte « a la même valeur juridique que les traités » . Elle sera donc « juridiquement contraignante » (déclaration n° 31). Mais les droits sociaux, comme les droits dits de troisième génération (bioéthique, informatique, protection de l’environnement et des consommateurs…), sont de bien faible portée. Il en va ainsi du « droit de travailler » ou du « droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux » (art. 34). En outre, nombre de droits, dont la liberté de la presse, qui devient « la liberté des médias » (art.11), ne sont pas « garantis » mais « respectés ».

    Même la très européiste Confédération européenne des syndicats (CES) se dit « préoccupée par le statut réduit de la Charte des droits fondamentaux » par rapport à l’ancien projet de traité constitutionnel et « doute de son degré de force exécutoire dans les États membres » . Il est vrai que le Royaume-Uni a obtenu d’en être dispensé, preuve s’il en est que ces droits prétendument fondamentaux le sont moins que le droit de la concurrence, dont on ne déroge pas.

    L’examen de la seule disposition juridique vraiment nouvelle du TME ­ elle ne figurait pas dans le TCE ­ est révélateur du peu d’impact effectif de la Charte des droits fondamentaux quand ceux à qui elle s’adresse (les institutions de l’Union) mettent en oeuvre le droit de l’Union. L’article 15bis du TFUE créé par le TME (art. 2-29) reprend en son premier alinéa un droit de la Charte ­ « Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant » ­, avant de préciser que le Parlement européen et le Conseil fixent « les règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel […] et à la libre circulation de ces données » . Mais ce droit de regard du Parlement n’est valable que pour le territoire de l’Union. Car dès lors qu’il serait question de transmettre ces données à un État tiers, l’article 24 du TUE (nouveau lui aussi) précise que la procédure n’est plus la même et que seul le Conseil (les représentants des gouvernements) est compétent. Ce cas de figure n’a rien de virtuel puisque dans un passé récent le Conseil a accepté sans mot dire de transmettre aux autorités américaines toutes les données confidentielles qu’elles exigeaient sur les passagers se rendant aux États-Unis. Au grand dam des députés européens qui n’en peuvent mais…

    Politique
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